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Si l'art était conté... - Page 15

  • Eugène DELACROIX, confidences

     

    Un romantique fervent admirateur du peintre flamand Paul Rubens

     

     

         « Aucun tableau ne révèle mieux à mon avis l’avenir d’un grand peintre […]. C’est là surtout qu’on peut remarquer ce jet de talent, cet élan de la supériorité naissante qui ranime les espérances un peu découragées par le mérite trop modéré de tout le reste » - Adolphe Thiers

         Adolphe Thiers parle du tableau « La Barque de Dante » présenté, pour la première fois, par le tout jeune Eugène Delacroix au Salon de 1822. Cette toile inspirée de l’Enfer de Dante, d’une conception dramatique, par ses références à Michel-Ange et Rubens, est considérée comme un manifeste du romantisme. Après « Le Radeau de la Méduse » de son camarade d’atelier Théodore Géricault peint en 1819, les critiques considèrent qu’une orientation nouvelle, un coup fatal vient d’être porté à la peinture académique.

     

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    Eugène Delacroix - La Barque de Dante ou Dante et Virgile aux enfers, 1822, musée du Louvre, Paris

     

     

         Un adolescent. Encore un gamin. Il n’a que 17 ans… Déjà, la superbe lettre ci dessous montre que, très jeune, la passion amoureuse fait entrer Eugène Delacroix dans le romantisme à venir.

     

    Lettre à son ami Achille Piron, le 20 août 1815

     

         Que de choses j’aurais à te dire, mon bon ami, si je n’avais pas perdu la tête, mais malheureusement voilà mes anciennes folies qui me reprennent et tu n’as pas de peine à deviner pourquoi. Quel moment que celui où on revoit après des siècles, un objet qu’on croyait avoir aimé et qui était presque entièrement effacé du cœur… Au milieu de tout cela je tombe de mon haut quand je songe à l’empire que j’ai eu sur moi-même hier dans cet instant délicieux et terrible qui m’a réuni pour quelques minutes à celle que j’avais eu l’indignité d’oublier. Il m’arrive souvent qu’une sensation morale, de quelque nature qu’elle soit, ne me frappe guère que par contrecoup, et lorsque livré à moi-même ou rentré dans la solitude de mon âme, l’effet s’en renouvelle avec plus de force par l’éloignement de la cause. C’est alors que mon imagination travaille et que, contraire à la vue, elle agrandit les objets à mesure qu’ils s’éloignent. Je m’en veux de n’avoir pas joui avec assez de plénitude de l’instant que le hasard m’a procuré ; je bâtis des châteaux de chimères et me voilà divaguant et extravagant dans la vaste mer de l’illusion sans bornes et sans rivages. Me voilà donc redevenu aussi sot qu’auparavant. Dans le premier instant mon cœur battit d’une force… Ma tête se bouleversa tellement que je craignis de faire une sottise : je ne faisais pas un pas sans songer que j’étais près d’elle, que nos yeux contemplaient les mêmes objets et que nous respirions le même air : lorsque je lui eus parlé et que tu m’entraînas dans l’autre salle… je t’aurais, je crois, battu et néanmoins je n’étais pas fâché d’un autre côté de m’éloigner d’elle, mais je crois que l’enfer et les démons ne seraient par parvenus à me faire quitter cette maison bienheureuse tant que j’y aurais su ma Julie. Et puis ces habits noirs, cette tête pâle et défaillante, ces tombeaux, ce froid vague qui me saisissait, cette mort que je voyais partout, ces charmes pleins de jeunesse et rayonnants de beauté, ce pied vif et léger qui foulait les froides reliques de mille générations et la poussière de quelques tyrans… que de sensations, que de choses… Une tête plus forte que la mienne n’y eût pas résisté, et ma foi, à quoi bon s’arracher de l’âme un sentiment qui la remplit si bien, qui cadre si bien avec mes idées.

         Peu à peu mes sens se rassirent : nous parlâmes, nous fîmes quelques plaisanteries, cela me calma, mais dès que je t’eus quitté, mon esprit et mon cœur furent tout aux petits Augustins.  Enfin que veux-tu, je suis le plus grand des fous ; moi, je m’en moque, il faut que je la voie, il le faut, je donnerais le diable pour en venir à bout. Tu sais à peu près à quels termes j’en suis avec elle, elle m’a contemplé hier avec une certaine attention et une fréquence qui persuade à ma vanité que je ne lui suis pas indifférent, tandis que d’un autre côté, je n’y vois qu’une simple curiosité. Il faut dans tout cela me donner au plus vite ton avis, il faut éclaircir tout ceci. Je t’en supplie par l’amitié que j’ai pour toi, cherche, travaille de ton côté, retourne-toi l’esprit de mille manières pour me trouver le moyen de la voir, de lui parler, de lui écrire. Voilà de belles choses, d’étranges folies. Que dirais-je dans un an, dans un mois peut-être si je voyais une misérable lettre comme celle-ci. Mais je suis jeune et… non je ne suis pas encore amoureux : mais c’est à toi à décider si je dois le devenir ou non.

         Réponds moi au plus vite, sur-le-champ, cherche, médite. Songe que je suis sur les épines, j’ai grand besoin que Cupidon jette sur moi un regard de compassion, car je me vois bien loin de mon but.

         Écris, écris, écris et surtout que je la voie.  Que d’obstacles ! Que de barrières à surmonter.

         Eugène

     

     

         Dans ses premières expériences picturales Delacroix est fasciné par Rembrandt, Titien et Rubens qu’il recherchera souvent au cours de ses nombreux voyages. Ensuite, il suivra sa propre voie, revendiquant une liberté de couleur et de touche.

         Cette lettre à un ami montre son immense passion pour Paul Rubens :

     

    Lettre à Charles Soulier (aquarelliste, ami de l’artiste) – Ems, le 3 août 1850

     

         Cher ami,

         Je suis un infâme paresseux : moins j’ai eu d’occupation et moins j’ai eu le courage d’écrire. Je ne veux pourtant pas revenir sans remplir ma promesse et t’écrire deux mots de la vie que j’ai menée. Je suis ici depuis trois semaines : j’en avais passée une à penser en Belgique. […] J’écris à Villot par le même courrier pour l’engager à profiter de l’occasion de la vente du roi de Hollande pour voir les tableaux de Rubens. Ni toi ni lui ne vous doutez ce que c’est que des Rubens. Vous n’avez pas à Paris ce qu’on peut appeler des chefs-d’œuvre. Je n’avais pas vu encore ceux de Bruxelles, qui étaient cachés quand j’étais venu dans le pays. Il y en a encore qui me restent à voir car il en a mis partout : enfin dis-toi brave Crillon que tu ne connais pas Rubens et crois en mon amour pour ce furibond. Vous n’avez que des Rubens en toilette, dont l’âme est dans un fourreau. C’est par ici qu’il faut voir l’éclair et le tonnerre à la fois. Je te conterai tout cela en détail pour te faire venir l’eau à la bouche. Je m’étais bien promis de consacrer huit jours à aller voir la collection de La Haye avant sa dispersion mais mes arrangements n’ont pu définitivement cadrer avec ce projet.

         Je m’en vais me consoler avec les Rubens de Cologne et de Malines que je n’ai pas encore vus. J’irais en chercher dans la lune si je croyais en trouver de tels. Je m’en vais apprendre l’allemand en revenant à Paris et je compte bien sur tes conseils pour cela, pour aller un de ces jours à Munich où il y en a une soixantaine, et à Vienne où ils pleuvent également. Comment négligent-ils au musée d’acquérir les Miracles de St Benoît ? (Toile de Rubens dont Delacroix avait fait une copie en 1844)

     

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    Eugène Delacroix - Les miracles de Saint Benoit (copie d’après Rubens), 1844, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

     

         Voilà dans de petites dimensions quelque chose qui avec la Kermesse (Toile représentant une truculente noce de village peinte par Rubens en 1635 possédée par le musée du Louvre) remplirait nos lacunes : mais quant à des grands Rubens, à moins que la Belgique ne fasse banqueroute, nous n’en aurons jamais de la grande espèce.

     

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    Peter Paul Rubens - La kermesse au village ou Noce au village, 1635, Musée du Louvre, Paris

     

         Ne me trouves-tu pas redevenu jeune ? Ce ne sont pas les eaux : c’est Rubens qui a fait ce miracle. Toutes les fois que je me suis ennuyé, je n’ai eu qu’à y penser pour être heureux. Et je me suis très peu ennuyé. […]

         Je t’embrasse

     

         Plus tard, en octobre 1860, Eugène Delacroix écrira :

    « Rubens ne se châtie pas et il fait bien. En se permettant tout, il vous porte au delà de la limite qu’atteignent à peine les plus grands peintres ; il vous domine, il vous écrase sous tant de liberté et de hardiesse. »

     

  • Une Joconde hollandaise peut en cacher une autre

     

    VERMEER Johannes - La jeune fille au chapeau rouge, 1667, National Gallery of Art, Washington

     

     

         La foule est impressionnante. Difficile d’approcher… Je contemple longuement le petit portrait installé dans une salle de la National Gallery…

         Le moins que l’on puisse dire est que cette « Jeune fille au chapeau rouge », minuscule tableau de Johannes Vermeer (22,8 x 18 cm), ne passe pas inaperçue ! La toile est tout aussi éblouissante que La jeune fille à la perle, la Joconde hollandaise qui m’avait fait l’aumône d’un sourire lors d’une visite au Mauritshuis à La Haye.

     

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    Johannes Vermeer – La jeune fille au chapeau rouge, 1667, National Gallery of Art, Washington

     

         Ma première impression, devant l’aspect du vêtement et l’étonnant chapeau rouge, est qu’il s’agit d’un jeune homme adolescent. Un regard plus inquisiteur ne peut tromper sur le sexe du personnage : un doux visage au regard curieux, des lèvres entrouvertes qui rappellent la bouche humide de La jeune fille à la perle, une boucle sous le lobe de l’oreille dans l’ombre des cheveux qui paraissent frisés.

         Nul doute, il s’agit bien d’une jeune fille, pensai-je ! Le génie du maître de Delft explosait dans cette peinture exceptionnelle de talent et de sensibilité. Je savais que certains historiens d’art, encore de nos jours, contestaient la paternité de l’oeuvre à Vermeer. Ma conviction intime est faite : seul Vermeer avait pu réaliser ce petit bijou.

         La technique est semblable aux tableaux de l'artiste peints à partir du milieu des années peinture, vermeer, national gallery, 1660 : légères touches de peinture transparente très diluée en glacis recouvrant de minces couches de pigments colorés plus opaques. Le résultat est lumineux…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

         Je remarque qu’un homme est installé à mes côtés et examine le tableau silencieusement.

         - Dire qu’elle a failli ne pas être attribué à Vermeer, lui dis-je en souriant ! Difficile de ne pas reconnaître la patte de l’artiste… Tout le talent du peintre est condensé dans ce petit portrait.

         L’homme était décomposé.

         - Ce peintre est un diable qui nous enserre dans ses griffes et ne nous lâche plus. Il utilise la technique des futurs « impressionnistes »... la lumière est disséminée sur toute la toile... mais il est meilleur qu’eux…

         Inconsciemment, il saisit mon bras et lance fougueusement :

         - Tout est admirablement peint : ce saisissant contraste de rouge vif et de bleu froid… les reflets subtils renvoyés par l’étrange chapeau à plumes rouge orangé en forme d’aile empourprant de flammèches les joues de la jeune fille… ce blanc éclatant sous le menton… tous ces rehauts clairs, virgules posées sur la robe, le chapeau et la tête de lion tout en bas… Vermeer est un magicien !

         Des gouttes de rosée étaient déposées sur la bouche et la pointe du nez. En m'approchant, je distinguai une minuscule tête d’épingle vert clair éveillant la pupille de l’œil droit. Jugeant sans doute que l’effet n’était peinture, vermeer, national gallery, pas suffisamment fort, en plein milieu de la toile, l’artiste avait brossé vigoureusement en pâte d’un blanc pur le plastron sous le menton de la femme, l’éclairant fortement et animant son visage. Vincent Van Gogh et ses pâtes épaisses écrasées puissamment aurait aimé ce travail, pensai-je…

     

     

     

     

     

         La fascination s’était installée dans le regard de mon voisin. Il va avoir du mal à s’en remettre, pensai-je, heureux pour lui.

         Troublé, je le laissai en pleine méditation et m'éloignai.

     

     

  • Voir la peinture autrement

     

    Un noir joyeux

     

     

        Esperiidae, mon amie donneuse de voix sur Litterature audio.com, site beaucoup fréquenté par les non-voyants et malvoyants, mais aussi par les curieux de littérature, m’a fait le plaisir d’enregistrer pour la quatrième fois une de mes nouvelles qu'elle sait si bien mettre en valeur.

         Hésitant lorsqu’elle m’a proposé ce projet car je m’imaginais que la vision des tableaux était indispensable à une bonne perception de ceux-ci, je découvre, une nouvelle fois, que la seule force de la voix, sa sensibilité, son timbre, ses modulations et son rythme, permettent une nouvelle approche de la peinture. Les mots parlés donnent vie aux tableaux et confirme la phrase d’un peintre suisse enseignant la peinture à des non-voyants, parlant de « Voir autrement »...

         Ce récit : « Un noir joyeux » conte l’étrange complicité unissant Edouard Manet et Berthe Morisot qui lui servit de modèle durant une quinzaine d’années. 

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  • Un sourire coquin

     

    HALS FransLa bohémienne, 1630, musée du Louvre, Paris

     

     

         C’est bien moi « La bohémienne » ! Je suis une des oeuvres vedettes de la peinture hollandaise du Siècle d’or, magnifique période de ce 17ème siècle hollandais qui rayonnait sur le reste de l’Europe.

     

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    Frans Hals, La bohémienne, 1630, Musée du Louvre, Paris

     

         A l’intérieur des salles du département des peintures hollandaises du musée du Louvre, seules les toiles du grand Rembrandt ou du mystérieux Vermeer réussissent à me faire de l’ombre. Je suis moins connue que « La Joconde » qui attire tous les visiteurs du musée. Je me demande bien pourquoi… Néanmoins, je pense - non sans une pointe d’orgueil ! - que je suis l’œuvre la plus recherchée de cette aile Richelieu où je suis accrochée, si j’en juge au nombre de personnes qui passent et s’arrêtent longuement pour reluquer mon portrait…

        Un peu gênés parfois, les regards appuyés des visiteurs m’amusent… Suis-je responsable du fait que mes rondeurs provocantes, mon sourire entendu, un peu narquois, attirent plus particulièrement la gente masculine ? Je pense que ceux-ci voient en moi une jolie bohémienne aux joues roses, à la bouche gourmande. Rien d’autre… Ma tenue légère, mes cheveux indisciplinés serrés par un ruban rouge, mon regard railleur, doivent leur apparaître comme l’expression d’une certaine jovialité… ma propre joie de vivre.

         Lorsque Frans Hals, mon concepteur, m’a peinte dans les années 1630, je passais pour une femme de mauvaise vie, aux mœurs légères. Je ne ressemblais pas aux dames respectables de l’époque cachant leurs cheveux sous des bonnets ou une coiffe, aux corsages boutonnés très haut, le cou ceinturé d’une énorme fraise. Peu m’importait : l’allure débraillée que Frans m’avait donnée me plaisait et l’opinion des gens m’indifférait !

       Sale réputation que celle de notre peuple de bohémiens dont les origines étaient mal connues ! La couleur foncée de notre peau inquiétait. Gens du voyage, nous n’avions pas de domicile fixe et nous nous déplacions constamment. Les populations se méfiaient de nous, nous dérangions : les hommes nous désiraient pour notre gaieté, notre légèreté ; les femmes nous détestaient. Nous étions souvent confondus avec les mendiants, les errants, les vagabonds qui cheminaient le long des routes, ou les pèlerins se rendant à Saint-Jacques-de-Compostelle.

        Nos pires ennemis étaient les services de police : surveillance, intolérance, condamnations pour vagabondage ou mendicité étaient notre sort habituel. Gare aux voleurs, les sanctions étaient lourdes : torture, conduite aux galères, pendaison pour les hommes ; humiliations, fouet en public pour les femmes. Certaines de mes amies avaient été tondues, menacées de bannissement si elles continuaient à « mener la vie de bohémienne », et leurs enfants avaient été conduits dans des hôpitaux.

        Je ne m’expliquais pas cette haine envers nous ! Heureux, nous chantions, dansions, aimions, riions. On ne faisait pas grand mal… à part… bien peu de choses… quelques menus larcins par-ci par-là… La mémoire de mes friponneries passées me hante toujours. Combien de fois avais-je détroussé des passants… Cela se terminait mal parfois…

        Les bons chrétiens n’appréciaient guère les pratiques habituelles de nos femmes consistant à lire dans les cartes et les lignes de la main. Nous étions étranges. Etrangers…

     

         Que se passe-t-il ? Aujourd’hui, les gens passent devant moi rapidement en me jetant un regard distrait… Même les hommes, mes clients privilégiés habituellement, ne paraissent guère intéressés par mon décolleté aguicheur ? Pourtant, je fais des efforts pour me mettre en valeur : œil enjôleur, sourire espiègle… Ton pouvoir de séduction s’étiole ma fille, me dis-je, dépitée !

         « Chérie, viens voir cette jeune bohémienne. Elle est bien gironde ! »

         Un homme, attardé devant mon portrait, appelait sa femme qui continuait sa visite.

       Je me redresse subitement, bombe le torse et envoie un sourire coquin en direction de l’homme.

     

     

     

  • Paul Cézanne, Emile Zola : Confidences

     

    Une amitié de jeunesse

     

     

           Heureux temps du lycée Bourbon à Aix-en-Provence.

         Paul Cézanne et Emile Zola se connaisse très tôt, ils sont inséparables. Au début de l’année 1858, devant rejoindre sa mère à Paris, Zola part finir ses études dans la capitale. Jusqu’en 1861, date à laquelle Cézanne se décidera à monter lui-aussi à Paris, une correspondance régulière va s’installer entre les deux très jeunes amis.

         En avril 1858, Paul s’ennuie : « Depuis que tu as quitté Aix, mon cher, un sombre chagrin m’accable ; je ne mens pas, ma foi. Je ne me reconnais plus moi-même, je suis lourd, stupide et lent. […] Je gémis de ton absence. »

         Dans les courriers de cette période, le ton du jeune Cézanne est libre, joyeux, il ne parle guère de peinture, emploie volontiers l’humour, écrit des bribes de chansons, parle de ses amours et versifie beaucoup :

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  • Théodore GERICAULT, confidences

     

    L’ultime passion amoureuse d’un romantique

     

     

         Le romantisme… Par l’exaltation de ses sentiments, Théodore Géricault, ami de Delacroix qui l’admirait, l’incarne à lui seul.

         A 17 ans, il entre dans l’atelier du peintre Carle Vernet dont la spécialité est les dessins de chevaux. Il étudie ensuite dans l’atelier de Pierre-Narcisse Guérin où il rencontre Eugène Delacroix. Le cheval devient sa passion et il aime monter à cheval. Trois chutes successives l’affaibliront. Cette passion du cheval causera son décès prématuré trop jeune.

        En 1819, l’immense scène de naufrage « Le radeau de la Méduse » utilise un fait divers récent et épuise le peintre par l'ampleur du travail. Souffrant, il n’arrive plus à honorer ses commandes et part à Londres exposer son Radeau.

     

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    Théodore Géricault – Le radeau de la Méduse, 1819, musée du Louvre, Paris

     

     

         Une dernière passion amoureuse, plus pour les chevaux cette fois, avec madame Trouillard rencontrée durant l’hiver 1820-1821 à un bal masqué, l’enflamme.

         Il en parle dans les deux lettres ci-dessous, dont la dernière est adressée à madame Trouillard :

     

    Lettre à Pierre Joseph Dedreux-Dorcy (peintre, ami de l’artiste, qui permettra au «Radeau » d’entrer au Louvre) – Londres, le 12 février 1821

     

    Mon cher Dorcy

    […]

    Je ne m’amuse pas du tout et ma vie est absolument celle que je mène à Paris, travaillant beaucoup dans ma chambre et rôdant ensuite, pour me délasser, dans les rues où il y a toujours un mouvement et une variété si grande que je suis sûr que vous n’en sortiriez pas. Mais le motif qui vous y retiendrait m’en chasse. La sagesse je le sens devient de jour en jour mon lot, sans cesser malgré cela d’être le plus fou de tous les sages car mes désirs sont toujours insatiables et quoi que je fasse c’est toujours autre chose que je voudrais faire. Je lithographie à force. Me voilà voué pour quelque temps à ce genre qui, étant neuf à Londres, y a une vogue considérable. Avec un peu plus de ténacité que je n’en ai, je suis sûr qu’on pourrait faire une fortune considérable.

    […]

    Une conquête aussi mon cher Dorcy, car je dois tout vous dire, une femme qui n’est pas de la première jeunesse mais belle encore et entourée de tout le prestige de la fortune s’est fourrée dans la tête d’être folle de moi, folle à la lettre en vérité. Je serai violé incontestablement. Il me faut autant d’art pour lui échapper qu’il en faut souvent pour obtenir de certaines femmes les plus légères faveurs. Elle n’est ni précieuse ni bégueule je vous assure, elle m’appelle le dieu de la peinture et elle m’adore à ce titre.

    Je voudrais pour tout au monde vous tenir ici pour vous conter à loisir toutes ses folies. L’autre jour elle me disait qu’elle voudrait m’élever un autel pour y déposer tous les jours son offrande. Mais c’est qu’elle me respecte vous n’avez pas d’idée et me regarde quelques fois avec un air qui me ferait crever de rire si je ne craignais de la mortifier. Ce qui me désole est que son mari est un excellent homme qui a mille bontés pour moi. […]

    Un silence absolu sur ma passion je vous prie parce qu’elle est probablement connue à Paris.

    Votre dévoué Géricault 

       

    Lettre à Madame Trouillard – Paris, vers mai-juin 1822

     

    Samedi soir.

    C’est après bien des embarras de toute espèce qu’il m’est permis enfin de venir me prosterner à vos pieds, car véritablement vous êtes une créature divine, et en conscience je ne puis pas moins faire. Comment vous témoigner dignement en effet ma reconnaissance pour les deux propositions toutes charmantes que vous me faites, ayant toutes deux pour but de me procurer l’agréable vue de votre personne ; cependant j’hésite, non pas à choisir, cela est facile : s’il vous était possible de vous mettre à la place d’un chétif mortel, de descendre jusqu’à lui ! alors…

    Supposons un instant que Vénus elle-même, feignant un sincère attachement, me fit demander à la recevoir, jugez pour moi quel embarras où me laissait le choix de la visiter chez elle. Je ne suis jamais monté là-haut, je l’avoue et je ne sais trop quelle figure vous y faites ; mais la recevoir chez moi est plus effrayant, s’il est possible, cependant c’est le plus sage : aussi je lui fais répondre que j’aurai l’honneur de l’attendre. J’attends, j’espère, je désire et redoute sa vue. Quelle anxiété. Enfin elle arrive, mon trouble augmente, je m’agite et me remue sans projet. Tout haletant, j’offre un siège mais point assez doux pour elle.

    Belle et riante déesse, car il faut enfin dire quelque chose, aimable sirène des amours, consolation des pâles humains, à quoi puis-je attribuer une faveur si grande, je n’ai rien vous le savez, je ne suis pas.

    Sot, dit-elle aussitôt en se tournant pour que je n’entendisse pas, mais je l’ai entendue ou plutôt vraiment j’ai deviné ; tout déconcerté, j’essaye à continuer, car je sais le respect qu’on doit à tout ce qui habite l’Olympe ; illustre mère d’Anchise, tendre amante d’Enée (ici je perds la tête tout à fait), épouse fidèle de Jupiter, daigne avoir pour moi les soins touchants que tu prodiguais à Adonis, tes plus chères délices ou bien à...: Sot, trois fois sot, faquin !

    A cette grêle d’injures où seulement d’épithètes peu flatteuses, ad libitum, que je n’attendais pas puisque je faisais de mon mieux, je suis tombé atterré, anéanti…

    La pensée seule fait frémir : ne frémissez-vous pas ?

    A propos qu’allez-vous faire à la mer, est-ce raison de santé qui vous y porte ou bien seulement y allez-vous par plaisir ? Les voyages de ce genre durent six semaines ou deux mois tout au plus. Si nous attendions votre retour ?

     

    L’écriture de cette lettre est pleine de passion. Celle-ci va s’achever de façon déchirante peu avant le décès de l'artiste en 1824 à 33 ans.

     

  • Au revoir Camille

     

    MONET Claude - Camille Monet sur sont lit de mort, 1879

     

     

    Vendredi 5 septembre 1879  

     

        Un silence glacial avait envahi la petite maison de Vétheuil faisant face à la Seine où Claude et Camille s’étaient installés l’année passée avec la famille Hoschedé. Les cris habituels des enfants ne raisonnaient plus.

     

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        Claude Monet avait souhaité rester seul à ses côtés. Une lucarne éclairait faiblement la pièce où elle reposait sans vie depuis ce matin.

         Camille… ma chère Camille… Enfin elle ne souffre plus…

         L’artiste contemplait le fin visage devenu rigide de sa femme. Il y avait un instant, le regard mouillé, il avait accroché autour de son cou, sous la parure transparente qui recouvrait le corps et le lit, le médaillon qu’il avait dégagé du mont-de-piété, et l’avait ensuite recouvert avec des fleurs. C’était le seul souvenir qu’elle avait conservé.

         Une mariée… Le voile en tulle qui enveloppait la jeune femme lui rendait l’apparence de la jeune mariée qui souriait à Claude, heureuse, le jour de leur mariage il y avait seulement neuf années.

       La tête de la morte avait été recouverte d’un bonnet qui lui enserrait les joues et le menton. Les yeux clos, elle semblait dormir paisiblement, dans un vague sourire.

      Le peintre se surprit à noter machinalement la décomposition des coloris que la mort imprimait sur le visage immobile. Il voyait des tonalités nuancées de mauve, de bleu, de jaune, des gris rosés. Il estimait les ombres, les endroits précis où la lumière se déposait sur le visage, le voile, le lit. Il percevait la succession des valeurs.

         La face ravagée de Camille devenait une réflexion picturale…

        C’était plus fort que lui. Un besoin organique qu’il ne maîtrisait pas le submergeait. Il prit une toile vierge suffisamment grande dans le sens de la hauteur, et son matériel de peintre.

         La toile se couvrait de touches immatérielles, de hachures colorées, nerveuses, inhumaines. Des formes estompées, floues, se recréaient, redonnaient une apparence à l’image de ce corps éteint. Monet peignait dans une sorte de détachement qui lui donnait la sensation inexplicable d’entrevoir un mystère, celui de la vie.

         Les traits émaciés de la femme qu’il aimait envahissaient la toile. C’était le plus beau portrait qu’il ait fait d’elle.

         La toile fraîche posée contre le mur près du lit, il fixa longuement le portrait de la femme qu’il avait peinte si souvent. Etrangement, il ne l’avait jamais sentie aussi près de lui que sur cette toile. Monet avait conscience qu’une période importante de son existence se terminait devant le visage glacé de cette morte dont les beaux yeux s’étaient définitivement fermés.

        Monet revoyait Camille si jolie qui posait inlassablement autrefois : la Femme à la robe verte des débuts de leur rencontre, celle dont l’ombrelle violaçait le visage sur la plage de Trouville, les formes flottantes de sa robe qui balayait les hautes herbes d’une prairie d’Argenteuil piquetée de coquelicots. Tous ces souvenirs des jours heureux…

         Le regard obscurci par les larmes, il la discernait à peine. Il savait qu’il ne peindrait plus jamais de personnages avec la même tendresse.

        Il se leva, saisit la toile et la coinça dans un angle du mur, derrière l’armoire. Il ne la montrerait à personne. Elle lui appartenait pour toujours.

     

     

  • Un déguisement de Mardi gras

     

    MONET Claude -  La japonaise, 1875, Museum of Fine Arts, Boston

     

     

     

         « Souris, lance Claude Monet à sa femme ! Bon dieu, c’est pourtant simple !... Non ! Pas comme ça ! Un vrai sourire ! naturel… tu me fais une grimace… Tourne bien la tête vers moi ! »

         Elle fait de son mieux, Camille, mais Monet est tellement exigeant. D’autant plus que ce qui intéresse le peintre n’est pas essentiellement le visage, ni les mains de la jeune femme, mais toutes ces couleurs qui éclatent sur elle, s’entrechoquent, vibrent.

     

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         Elle n’est plus la bourgeoise élégante qui était superbement habillée d’une robe de soie verte au salon de 1866. Cette fois, le peintre a voulu faire exotique : une japonaise.

        Il l’a affublée d’une somptueuse robe d’acteur japonais rouge brodée de fleurs et de personnages grimaçants. Elle s’est transformée en parisienne déguisée, coiffée d’une curieuse perruque blonde, tenant un éventail tricolore à hauteur du visage. Même ses yeux paraissent bridés... Ainsi attifée, elle s’efforce de sourire, niaisement car elle a plutôt envie de rire tellement sa pose est étrange et son déguisement théâtral.

         Une fantaisie… Certains des amis de l’artiste osent parler d’œuvre indécente, déplacée : peinture,monet,camille,impressionnisme,estampespeindre sa propre épouse habillée pour Mardi gras, avec un guerrier grotesque sortant bien vivant des plis du kimono brodé sur ses fesses...

        Innocemment, Camille le lui fait remarquer. « Je m’en fiche, l’essentiel est que l’on te remarque au Salon ! Crois-moi que ce kimono éclatant et ce guerrier grimaçant - mal placé je reconnais ! - ne passeront pas inaperçus, répond-t-il, rigolard. »

     

     

     

     

     

     

     

     

     

        Pourquoi Monet, en cette fin de l’année 1875, peint-il cette « japonaiserie », tableau d’un mauvais goût détonnant par rapport à son travail habituel ?

         L’exposition universelle de 1867 a révélé l’art japonais au public. Des estampes circulent un peu partout et influencent les artistes européens. De suite, Monet a été séduit par le charme de ces peintures nippones dont il collectionne les fameux « crépons » achetés dans des boutiques à Paris. Ceux-ci lui révèlent l’importance du vêtement et son rôle dans l’expression du mouvement, des formes, du rythme. Tout lui plait dans ces gravures : la pureté et la finesse des contours, l’élégance décorative, l’harmonie des couleurs, une grande richesse de tons, le raffiné de la composition.

          Un art fondé sur un idéal esthétique...

         Cette Japonaise marque-t-elle un moment de changement psychologique dans le travail de Monet qui modifie sa façon de traiter la perspective et le rapport des couleurs entre elles ? Veut-il prouver qu’il sait faire autre chose que des paysages ?

        Camille ne s’inquiète pas de la façon dont elle est grimée dans ce ridicule accoutrement de geisha. Claude est l’homme de sa vie. Il peut tout lui demander.     

         Elle tente de garder la pose et continue de lui sourire.

     

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  • Un bel été à Trouville

     

    MONET Claude - La plage de Trouville, 1870

     

     

         Claude Monet et Camille ne se quittent plus : leurs journées se partagent entre leur vie de couple et la peinture. Travail et amour se confondent. Le fruit de cet amour, Jean, aura bientôt trois ans. Monet croque inlassablement son modèle favori : en buste, assise en bord de Seine enveloppée de reflets colorés, à table faisant manger l’enfant…

         C’est décidé !

        Malgré la désapprobation de son père, Claude Monet veut régulariser sa liaison. Le 18 juin 1870, à la mairie du 17e arrondissement à Paris, il se marie civilement avec Camille. Le célèbre peintre Gustave Courbet est venu et signe le registre. Seuls les parents de Camille Doncieux assisteront à la cérémonie ; le père de Monet est resté en Normandie.

         La douce et discrète Camille est devenue officiellement madame Monet.

        C’est l’été. Jeunes mariés, ils envisagent un voyage de noces… Pourquoi pas Trouville proche de chez le père de Monet ? Acceptera-t-il de rencontrer sa belle-fille et son petit-fils Jean ?

        Il fait si beau. Monet aime cette côte normande. Il peint la mer, les voiliers colorés, l’entrée du port, le luxueux hôtel des Roches Noires face à la mer, l’hôtel le plus majestueux de la côte normande. L’artiste et sa nouvelle femme observent les élégantes parisiennes venir y faire la fête, sauter dans la mer, se déshabiller, se rhabiller, changer de toilette. Eux se contentent de la modeste pension Tivoli où ils se sont installés avec Jean.

         Quel plus joli modèle que son épouse ? Comme d’habitude, le peintre la peint élégamment habillée, assise sur la plage devant la mer. Au loin, quelques voiliers passent.

      

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    Claude Monet – La plage à Trouville, 1870, National Gallery, Londres

     

         Ce bel été semble marquer un tournant dans le style de Monet. Sur la plage de Trouville, il retrouve avec plaisir Eugène Boudin arrivé avec sa femme, son initiateur de jeunesse à la peinture de paysage. Lors de leur première rencontre, quelques années auparavant, celui-ci lui avait dit : « Etudiez, apprenez à voir et à peindre, dessinez, faites du paysage. »

         Aujourd’hui, l’étude de la lumière est devenue la préoccupation essentielle de l’artiste.

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    Claude Monet – Camille assise sur la plage de Trouville, 1870, collection particulière

     

        « Camille, installe-toi ici !… Jette ton ombrelle en arrière, ton visage doit rester dans l’ombre !… Accroche bien ton chapeau, le vent souffle !… Mets-toi dos à la mer !… Descends ta voilette sur le nez !… Penche-toi en avant !… Tu vois bien qu’il n’y a plus de soleil, referme ton ombrelle !... ».

      

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    Claude Monet – Camille à la plage de Trouville, 1870, collection particulière

      

         Camille pose des journées entières sur la plage. Les vagues viennent parfois lécher sa robe qui prend la couleur du sable. Elle n’oublie jamais de mettre son petit chapeau fleuri accroché sur ses cheveux.

     

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    Claude Monet – Sur la plage à Trouville, 1870, musée Marmottan, Paris

     

         Quelle idée est passée dans la tête de Monet ? Ce jour-là, malgré l’opposition ferme de Camille, il lui demande de s’installer de travers sur une chaise vêtue d’une robe rayée de bandes bleues et blanches, le visage encadré de curieuses nattes de lycéenne, l’éternel petit chapeau fleuri sur les cheveux. « Cela changera de tes apparences habituelles de parisienne élégante, lui dit-il en riant ». A côté d’elle, il a installé, assise sur le sable, une fillette qui ressemble bougrement à sa femme. Une sœur jumelle…

         Monet est assez dictatorial envers ses modèles. Qu’importe, Camille se prête à toutes les demandes de son jeune mari. Elle est si heureuse d’avoir Claude et son fils Jean toute la journée auprès d’elle. Leur avenir s’annonce radieux…

     

     

     

  • Trois femmes pour le prix d'une

     

    MONET Claude - Femmes au jardin, 1867, musée d'Orsay, Paris

     

     

     

         Monet est amoureux. Au printemps 1867, il vit son amour avec Camille dans une petite maison de banlieue entourée d’un jardin, à Sèvres, près de Ville-d’Avray. Les parfums fruités des boutons de roses libérant leurs corolles envahissent l'air.

         Fort du succès obtenu au Salon précédent, l’artiste s’obstine à peindre de nouveau un tableau grand format, une sorte de rattrapage à son Déjeuner sur l’herbe inachevé. Le projet est d’importance : 2,50 mètres de hauteur ; des figures en plein air de jeunes femmes grandeur nature installées au bord d’une allée sur une pelouse ensoleillée.

     

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         Monet souhaite peindre la toile entièrement sur le motif, dans le jardin. Il n’a pas lésiné sur les moyens pour réussir son travail. Un fossé a été creusé dans la terre pour pouvoir enfouir progressivement la peinture lorsqu’il en peint le haut. Un système de poulies permet de faire monter ou descendre la toile à la manivelle.

         Le projet du peintre : représenter quatre jeunes femmes revêtues de robes d’été élégantes. Faute de moyens financiers, la plupart des robes utilisées pour le Déjeuner seront réutilisées. Deux modèles sont disponibles : Camille et une amie. « Qu’importe tu seras les trois femmes qui seront sur la gauche de la toile, dit le peintre à Camille ! » Gentiment, elle s’exécute. Chaque jour, elle change de robe comme de personnage.

         Assise au centre, la toilette de la jeune femme est splendide : une robe et une veste blanches peinture,monet,camille,impressionnismeornées d’élégantes broderies en arabesques noires. Paupières baissées sous l’ombrelle saumon, son regard se penche vers le bouquet de fleurs blotti au creux de sa robe dont le jupon blanc déborde de l’allée. La lumière traverse l’ombrelle et chauffe son visage. La tendance de l’été est au petit chapeau à galettes qui lui enserre les cheveux.

     

     

     

     

        Derrière Camille, c’est à nouveau Camille qui pose pour les deux femmes debout dans l’ombre : de profil, en crinoline blanche rayée de vert, coiffée d’un autre curieux petit chapeaupeinture,monet,camille,impressionnisme posé sur le chignon dont le ruban blanc lui tombe jusqu’au bas du dos ; de face, jupe droite beige, le visage enfouit dans un bouquet de fleurs, ses grands yeux foncés regardant son Claude qui travaille inlassablement.

         Au fond de l’allée rosâtre, une quatrième femme aux cheveux roux cueille une rose. Sa robe en mousseline blanche à pois noirs illumine tout le tableau qui est traversé d’une lumière du jour exceptionnelle.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

         La nouvelle manière de peindre de Monet ne plait pas au monde poussiéreux du Salon. Ses Femmes au jardin ne sont pas acceptées par le jury du Salon de 1867. Tous ses amis sont également refusés. La plupart, dégoutés, vont envisager de montrer leur travail dans une Exposition des Refusés.

         « Qu’ils aillent se faire… éructe Monet en apprenant la décision du jury ! ». Il est d’autant plus furieux qu’il ressent ce rejet comme une insulte envers sa gracieuse compagne, omniprésente sur la grande toile, elle qui avait fait l’objet de commentaires grandiloquents au même Salon de l’année précédente dans La femme à la robe verte.

     

        Malgré les ennuis financiers, une grande joie va arriver dans le couple. En août de cette même année, Camille donne naissance à son fils Jean. Elle a vingt ans, Claude n’en a pas encore vingt-sept. Occupé à peindre des paysages chez ses parents à Sainte-Adresse en Normandie, il ne peut être présent à l’accouchement. Le travail avant tout…

         Le fidèle Bazille sera le parrain de l’enfant et, pour aider ses amis, il achète Femmes au jardin.