Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Un parfum de moka et de térébenthine

 

Christelle Saïani, roman,

 

Quel plaisir de retrouver, après « Lumière », un deuxième roman de Christelle Saïani !

Le style est le même. Seules quelques années de plus l’ont affiné. Je me suis laissé couler dans les mots, cette écriture bien huilée, solidement construite, directe, efficace, des adjectifs qui claquent, des phrases malaxées, triturées, une sensualité débordante.

Pourquoi ai-je pensé à Guy de Maupassant, mon écrivain préféré ? Le même réalisme sobre, détails simples, précis, descriptions pittoresques, intensité narrative. Une vie.

 

L’histoire se déroule sur une cinquantaine d’années depuis les années 1970 jusqu’à nos jours. Un résumé pourrait s’agripper autour des deux personnages principaux : Louis, l’époux de Marie, jeune femme très amoureuse, et Samuel, quelques années plus tard, le petit-fils de Louis et Marie, marié avec la troublante Camille.

 

LOUIS

On apprendra plus tard dans le récit qu’il est homosexuel. Dans les années 1970, il est beau, attire le désir des femmes et de Marie. Une enfant nait : Nathalie. Il adore sa femme. Pourtant « il n’a jamais ressenti pour elle ce gouffre dans le ventre ». Il rêve à d’autres corps. Un soir, dans une boite de nuit, une rafle de police puis un séjour en prison créent une mésentente avec Marie. La haine s’installe avant que l’amour ne les relie à nouveau. Jusqu’à ce jour du déménagement dans cette maison. « Ils sentent qu’ils peuvent déposer leur cœur ici, la promesse de bonheur saute aux yeux ». Un voisin, Andrea, propose son aide. « Elle a senti le feu fixe sur elle. Ce soir il la consume. ». Leur vie de couple ne sera plus la même.

 

SAMUEL

Louis est mort à 47 ans d’un infarctus. Andrea, d’origine italienne, est resté avec Marie. Il la couvre de « piccola ». Samuel est le fils de Nathalie, la fille de Louis et Marie. Il a épousé la superbe et attirante Camille. Chef talentueux, son restaurant ne désemplit pas : « La couleur, le contraste et la texture. La chlorophylle d’un jus d’herbes, la brillance d’une bille de citron caviar, la nacre d’une coquille Saint-Jacques… Tout importe dans un plat, jusqu’au moindre brin d’herbe. »

 

Si je devais tenter de me mettre à la place de l’auteure, de dégager les pensées qui l’animent dans ce livre, j’en retiendrais plusieurs qu’elle nous décrit à la perfection, en amante des mots. Mais un concept domine : l’amour qui enveloppe le récit.

 

L’amour de la bonne cuisine, à travers la passion de Samuel : « C’est le coup de feu. Samuel termine le dressage, un éventail de tuiles cacaotées et boules de sorbet chocolat au piment d’Espelette sur un disque de coulis de kumquat. » 

 

L’amour qui unit charnellement les corps dans ce climat provençal : « Elle rit et elle attend. Immobile, nue, blanche au milieu des veines sombres du bois, elle est une idole offerte sur un totem. Une Vénus de la fécondité. La table est froide ou elle est émue car son corps entier se tend et se hérisse. Un duvet qui a la couleur de la lumière. Elle devient un fruit juteux et velouté. Un arbre à lait à l’odeur animale. »

 

L’humanisme. Christelle Saïani a introduit dans le récit des conceptions modernes et légales sur la sexualité, survenues depuis le mandat de François Mitterrand en 1981 et les années suivantes : loi Veil sur l’avortement, homosexualité, fécondation in vitro. Elle en parle avec émotion et passion.

 

De nombreuses phrases de ce livre sont superbes. Je n’ai pu m’empêcher, malgré sa longueur, de retranscrire une page magnifique (p 120) que j’étais obligé d’intégrer en entier. Les lecteurs apprécieront la qualité littéraire de ces mots prononcés par une femme amoureuse :

 

« Elle lui a dit, les secrets ne se partagent pas, sauf si on aime très fort. Toi, je t’ai dans la peau. Tu es mon plus grand voyage. Mon mâle. Mon oxygène. La sève, l’aubier, l’écorce. Mon chêne. Nous n’aurons pas assez de cent cernes pour nous aimer, alors je veux partager avec toi mes secrets. Tous mes mots bleus et mes édens verts. Le secret de mes soupirs, de mes râles, de mon corps en nage et de mes explosions. Mes odeurs de sueur et de désir, de fruit mûr et de mousse. Mes obsessions, mes coups de sang, mes rires et le sel de mes larmes. Ma chaleur, le brouillon froissé de nos draps, nos insomnies brûlantes. Le poudroiement de l’air comme seul vêtement. Je te dirai mes joies, mes doutes, toutes mes peines, je serai chaque ride de tes mains, de ton visage et tu ne seras jamais rassasié de moi. Je m’imprimerai partout, filerai droit dans tes rêves. Je serai la raison de tes colères, de ton impatience et de tes éblouissements. Je fendrai ton cœur comme une bûche, je le ferai brûler. Je te terrasserai. Mais je t’aime et t’aimerai dru comme une averse, fort comme le mistral. Chaud, sucré et doux. Aussi longtemps que mon corps me portera, plus loin encore. Mes branches ne seront jamais sèches de toi. Je serai ta douleur mais aussi tous tes baumes. La propolis sur chacune de tes plaies. Ton souffle court, ton bonheur animal. L’argile où te fondre. Ta sœur, ton amante, ta confidente, le premier berceau de tes enfants.

Elle lui a dit tout ça, contenu dans un seul baiser. »

 

La fin du récit est pleine de rebondissements que je ne dévoile pas. L’émotion nous étreint.

 

Le talent littéraire de Christelle Saïani, que le premier roman « Lumière » avait laissé déceler, s’impose à nouveau. Le doute n’est plus permis. C’est du grand art.

 

Publié sur Babelio le 4 février 2025

 

 

Écrire un commentaire

Optionnel