J’ai la sensation que personne n’a vu mon dernier article consacré à une soirée exceptionnelle que je venais d’écouter sur France Culture : des poésies dites par Jean-Louis Trintignant sur une musique d’Astor Piazzolla. Je l’annule et le publie à nouveau. Mon hébergeur n'a pas dû faire suivre la newsletter.
La lecture d'extraits du poème "Marche à l'amour" de Gaston Miron, dédié à sa fille Marie, m'a profondément touché.
Le comédien a découpé le poème en plusieurs extraits plus courts en ne gardant que ceux qui exprimaient le mieux son amour pour Marie.
C'était magnifique et émouvant.
À écouter :
https://www.youtube.com/watch?v=grNY9uvv12Q
La version texte de ce superbe poème peut être lue ci-dessous :
À ma fille Marie
Tu as les yeux vers des champs de rosées
tu as des yeux d'aventure et d'années-lumière
la douceur du fond des brises au mois de mai
dans les accompagnements de ma vie en friche
avec cette chaleur d'oiseau à ton corps craintif
moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
moi je fonce à vive allure et entêté d'avenir
la tête en bas comme un bison dans son destin
la blancheur des nénuphars s'élève jusqu'à ton cou
pour la conjuration de mes manitous maléfiques
avec cette tache errante de chevreuil que tu as
tu viendras tout ensoleillée d'existence
la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
le corps mûri par les jardins oubliés
où tes seins sont devenus des envoûtements
tu te lèves, tu es l'aube dans mes bras
où tu changes comme les saisons
je te prendrai marcheur d'haleine
à bout de misères et à bout de démesures
je veux te faire aimer la vie
je finirai bien par te rencontrer quelque part
bon dieu!
et contre tout ce qui me rend absent et douloureux
par le mince regard qui me reste au fond du froid
j'affirme ô mon amour que tu existes
nouveau venu de l'amour du monde
constelle-moi de ton corps de voie lactée
même si j'ai fait de ma vie dans un plongeon
une sorte de marais, une espèce de rage noire
Même si je fus cabotin, concasseur de désespoir
j'ai quand même idée farouche
de t'aimer pour ta pureté
de t'aimer pour une tendresse que je n'ai pas connue
dans les giboulées d'étoiles de mon ciel
l'éclair s'épanouit dans ma chair
je passe les poings durs au vent
j'ai un coeur de mille chevaux-vapeur
j'ai un coeur comme la flamme d'une chandelle
toi tu as la tête d'abîme douce n'est-ce pas
la nuit de saule dans tes cheveux
un visage enneigé de hasards et de fruits
un regard entretenu de sources cachées
et mille chants d'insectes dans tes veines
et mille pluies de pétales dans tes caresses
tu es mon amour
ma clameur mon bramement
tu es mon amour ma ceinture fléchée d'univers
ma danse carrée des quatre coins d'horizon
le rouet des écheveaux de mon espoir
à cause de toi
mon courage est un sapin toujours vert
et j'ai du chiendent d'achigan plein l'âme
tu es belle de tout l'avenir épargné
d'une frêle beauté soleilleuse contre l'ombre
je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi
lentement je m'affale de tout mon long dans l'âme
je marche à toi, je titube à toi, je bois
à la gourde vide du sens de la vie
à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud
à ces taloches de vent sans queue et sans tête
je n'ai plus de visage pour l'amour
je n'ai plus de visage pour rien de rien
parfois je m'assois par pitié de moi
j'ouvre mes bras à la croix des sommeils
mon corps est un dernier réseau de tics amoureux
avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus
je n'attends pas à demain je t'attends
je n'attends pas la fin du monde je t'attends
dégagé de la fausse auréole de ma vie
Gaston Miron, L’Homme Rapaillé
Commentaires
Mais que c'est beau!
J'ai juste envie de l'écrire ainsi, c'est tellement beau!
Je suis très émue à la lecture de ce texte, Alain, car il ne peut qu'éveiller dans un coeur sensible quelque chose de très puissant et de doux en même temps, quelque chose de profond, de subtil, d'ardemment vivant...
J'ai trouvé votre newsletter dans les Indésirables (je déteste cette formule "Indésirables"... ah, le monde informatique!) alors en effet, comme vous vous interrogez sur le fait que peut-être votre newsletter a été "perdue" par l'hébergeur, je me dis que vos lecteurs n'ont pas dû la voir. J'espère qu'ils la trouveront comme j'ai pu le faire.
Je comprends votre émotion en écoutant cette émission, c'est magnifique et je vous remercie pour cette découverte et ce partage.
J'espère que vous ne souffrez pas trop de la chaleur...euphémisme!
Il n'est guère évident de vaquer à nos occupations aimées avec ce temps et je songe aux personnes si rudement confrontées aux conditions climatiques et aux incendies, j'ai des amis d'enfance qui vivent à proximité de la Teste de Buche, vous vous doutez de leur inquiétude et de la mienne, sachant ce qui nous unit...
Je reviens un petit peu sur le net mais vraiment par intermittence. Comme je l'expliquais il y a quelques temps à notre ami Richard, il s'est trouvé qu'en juin, alors que je ne m'y attendais pas du tout, mon Senseï m'a inscrite à l'examen de passage de ceinture de Karaté à la Fédération Française et me voilà Ceinture Jaune avec les félicitations du jury! Je ne suis toujours pas redescendue de mon nuage... humblement mais avec une fierté presque enfantine, je dirais! Je prépare un article pour répondre aux questions d'aminautes qui m'ont demandé en quoi consistait l'examen de la Ceinture Jaune. J'essaye d'être claire et de leur montrer avec des photos de quoi il s'agit.
Merci à vous Alain pour vos encouragements des mois précédents et pour cette publication pleine de charme et de sensibilité, je réitère mon émotion.
J'espère retrouver le poème que j'avais écrit au sujet du Pierrot de Watteau. Je n'ai pas oublié mais avec ma préparation au passage de ceinture, je n'ai pas encore pu le retrouver, j'avais rangé tant de cartons et poussé tant de meubles pour l'entraîner, je suis un peu sens dessus dessous, sourires...
Je vous souhaite un bel été Alain, je sais que ce n'est guère évident vu les conditions météorologiques alors je vous adresse mes pensées d'amitié
Sans modération...
Cendrine
Oui, c’est beau, Cendrine ! J’ai écouté ce texte un soir sur France Culture. Ayant des problèmes visuels, j’évite la télé. Ce fut une belle soirée dans laquelle l’acteur, dans les dernières années de sa vie, faisait des soirées de lectures poétiques. L’assassinat de sa fille a été le drame de sa vie. Comment oublier ?
J’écris à mon hébergeur, car il semble y avoir un problème de réception de mes newsletters.
Ouf ! On respire ! La chaleur est tombée d’un coup. Les décennies à venir s’annoncent difficiles pour notre planète que l’homme est en train de détruire.
J’admire votre engagement dans un sport de combat qui doit demander un gros physique, surtout pour vous qui avez des problèmes de santé. Ceinture jaune ! Les J.O. de Paris approchent.
Si vous avez des poèmes dans vos tiroirs, je suis preneur. J’aime de plus en plus la poésie qui se marie si bien avec l’art.
Toutes mes amitiés.
J'avais bien reçu tes dernières newsletters.... mais, comme tu l'as sans doute deviné, je suis en pause blog...
Merci pour ce très beau partage, très émouvant.
Passe une douce journée.
Ouf ! Cela me rassure. Plusieurs personnes m’ont signalé ne pas recevoir mes newsletters. J’ai même écrit à l’hébergeur qui me demande leurs adresses. Donc, cela marche. Merci Quichottine.
J’aimais Trintignant, sa voix et son talent poétique. Un autre de nos grands comédiens qui s’en va et nous laisse orphelins.
Je te souhaite un très bel été balayé de brises de fraîcheur.
Je l' écouterai souvent , très souvent
On ne peut oublier ce comédien poète.
Belle journée.
On peut s'imaginer la souffrance du père,
Dans ce vers magristral, plein de son désarroi
" Je marche à toi... titube à toi, je meurs de toi "
Rengaine à fleurs du mal qui tant le désespère !
Bonjour Alain,
Je l'ai lu et relu ce poème transperçant d'émotions : amour, douleur, tendresse, fierté, complicité, regrets ... mais pas de colère ! C'est la douceur qui a remporté le combat dans le cœur de ce papa avec le temps pour célébrer sa fille adorée. C'est plus que beau, merci du partage, cher Alain, bonne journée
« je n'attends pas la fin du monde je t'attends
dégagé de la fausse auréole de ma vie »
Trintignant avait choisi ce poème et ce poète pour exprimer sa souffrance qui est toujours présente.
Ce poème est tellement beau que j’ai décidé d’emmener avec moi en vacances « L’homme rapaillé » que je ne connaissais pas.
Merci de ton passage.
Passage devenu routine désormais
Pour les nombreux bienfaits que j'y gagne en récolte
Très égoïstement je sens fuir la révolte
Qui pourrissait mes nuits lorsque je m'endormais
Bonsoir Alain,
Bonne lecture er Bonnes vacances
Merci pour le quatrain.
Je prépare les valises pour demain.
À bientôt.
Merci pour ce partage.
Je ne lasse pas d'écouter ce grand homme que fût Jean-Louis Trintignant.
.... et ce texte plein de douleur-tendresse !!
Jean-Louis savait si bien lire ce poème qu'il rattachait au souvenir de sa fille. Il nous manque aujourd'hui.
Merci de votre passage Catherine.
j'ai eu la joie de voir et d'écouter Trintignant dire des poèmes, il sait admirablement nous faire ressentir chaque texte...Ce poème est très émouvant
Quelle chance vous avez eu, Gazou, de voir et écouter ce magnifique comédien et diseur de poèmes.
Durant les vacances, j’ai lu « L’homme rapaillé » en entier, et ce poème en particulier. Il n’y a guère de mots pour décrire le talent de Gaston Miron.
Deux vers de ce poème qui ne sont pas dans le texte que j’ai proposé :
« Frappe l’air et le feu de mes soifs
Coule-moi dans tes mains de ciel de soie »
Belle soirée.
Je ne connaissais Gazou que par nos écrits communs dans les Anthologies chez Quichottine. J’avais reçu sur mon blog un commentaire de sa part, ci-dessus, sur cet article concernant un poème lu par Trintignant pour sa fille sur une poésie de Gaston Miron. Je lui avais répondu et aujourd’hui je suis attristé par son décès. Je pense que ces deux courts extraits de ce poème lui auraient plu :
« Tu as les yeux vers des champs de rosées
Tu as les yeux d’aventure et d’années-lumière
La douceur du fond des brises au mois de mai »
« Tu es belle de tout l’avenir épargné
D’une frêle beauté soleilleuse, contre l’ombre
Je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi »