Jean-Honoré Fragonard - Les Débuts du modèle, 1769, musée Jacquemart André, Paris
« Les débuts du modèle ». Qui connait cette œuvre de Jean-Honoré Fragonard qui passe souvent inaperçue, accrochée dans une des petites pièces du charmant musée Jacquemart-André à Paris ?
Lorsque je visite le musée, je m’arrête invariablement devant cette petite toile qui m’amuse et me réjouit. Il se trouve qu’elle figure sur la première page du catalogue de l’exposition Fragonard qui se tint en 2007 dans ce musée : un bel hommage au peintre qui a si brillamment illustré les plaisirs de son siècle : plaisirs galants et coquins dans la pénombre des bois ou parcs, plaisirs champêtres, mais aussi plaisirs littéraires et artistiques.
Tout ce qui fait le génie du peintre est contenu dans ce tableau présentée dans un cadre ovale. La subtilité dans le jeu des regards et des mouvements des personnages ne prête guère à confusion : une mère, ou une maquerelle, vante d’un regard interrogateur les charmes de sa fille, modèle débutante, en dévoilant ses seins à un peintre appuyé nonchalamment contre un meuble face aux deux femmes. La jeune fille fait mine de résister. Une feinte de résignation se lit dans son expression. Cela ne semble pas suffire à l’artiste puisqu’il tente, avec un bâton, de relever le jupon de la belle.
Le baron Portalis, l’un des meilleurs connaisseurs de l’artiste, ne manquait pas de souligner le brio de l’exécution de ce tableau : « Imaginez tout ce que vous pouvez rêver de plus blond, de plus rose, de plus clair ; pétrissez ces tons avec esprit, mais avec l’esprit inimitable du maître, et vous aurez l’impression ressentie. Le pinceau glisse sans appuyer sur les roses éteints du déshabillé d’atelier d’un jeune peintre occupé à soulever, du bout de son appuie-main, les derniers voiles de son modèle ».
À ses débuts, Fragonard peignait les mêmes tableaux académiques d’histoire ou religieux que ses contemporains. En 1767, il a 35 ans, il se détourne du grand genre et décide d’orienter sa peinture vers les scènes de libertinage qui lui assurent le succès à la cour de Louis XV. Avec ses contemporains Boucher et Watteau, il est le plus bel interprète du plaisir de vivre montrant des personnages de la haute société s’adonnant au badinage et scènes galantes. Son maître en libertinage était un écrivain : La Fontaine.
La centaine d’œuvres présentes dans l’exposition met en lumière la diversité dans le travail de ce peintre aux couleurs vives ainsi que la culture de ce temps aux mœurs légères. Le catalogue nous présente de splendides reproductions, en particulier la commande au peintre de la comtesse Du Barry montrant les progrès de l’amour dans le cœur d’une jeune fille : la poursuite, la surprise, la rencontre.
La légèreté de la toile « L’escarpolette » donne un aspect licencieux à l’image d’une jeune fille se balançant sous le regard extasié d’un jeune homme contemplant ses jupons.
Jean-Honoré Fragonard – L’Escarpolette, 1767, The Wallace Collection, Londres
J’ai retrouvé dans ce portraitiste de génie qu’était Fragonard son style d’un grand modernisme qui est sa qualité essentielle : touche nerveuse, brossée énergiquement, d’un jet. Ces portraits me font souvent penser à la virtuosité du hollandais Frans Hals, un siècle plus tôt, dont Van Gogh disait : « Peindre d’un seul coup, autant que possible, en une fois ! Quel plaisir de voir ainsi un Frans Hals ! »
Jean-Honoré Fragonard – Le Philosophe, 1764, Kunsthalle, Hambourg
Commentaires
Merci à toi pour "le Philosophe" que je connaissais pas!!!! Bisous Fan
Fragonard est certainement à mes yeux le peintre qui avait le plus de talent au 18e. En dehors de ses scènes de libertinage, ses portraits, comme ce "Philosophe" sont d’une qualité picturale que Van Gogh et les impressionnistes admiraient.
Belle journée Fan
Je ris de m'imaginer dans sa tombe
L'illustre Jean-Honoré Fragonnard
Se contorsionner de voir son art
Par ta plume exploser comme une bombe !
Bonsoir cher Alain,
Me voilà grâce à toi un peu plus érudit car hormis son nom entendu par-ci par-là, je ne connaissais pas ce peintre. A travers ton article il m'apparaît évident qu'il gagne à être mieux connu, merci pour tes lumières !
Bisous
Je tente encore, Marlène, de parler peinture, mais cela n’attire plus grand monde. Fragonard est un de nos plus grands peintres et ses toiles de libertinage au 18e, et toujours aujourd’hui, étaient très recherchées. Je suis heureux de te le faire découvrir.
Il y a beaucoup de livres sur ce peintre et son art n’a pas attendu mon modeste article pour exploser. Pendant la Révolution française il fut même nommé Conservateur du Musée du Louvre.
Bonjour Alain,
A mes yeux t'es articles ne seront jamais modestes car ton cœur et ton âme sont trop nobles pour cela !
Bises et bonne journée
C’est trop, Marlène, je ne mérite pas autant d’éloges !
Je remarque que mes articles n’attirent plus les foules comme dans les débuts du blog. Le thème de la peinture, de la beauté picturale, est moins recherché de nos jours. Il faut dire que l’art est de moins en moins enseigné, et pourtant les musées regorgent de visiteurs qui se pressent devant les toiles.
Mes articles sont trop longs. Il faudrait, comme dans Facebook, publier un texte court couplé avec une belle image. Notre époque va trop vite. Manque de temps !
Merci, Marlène, tu es une femme de cœur.