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Fêtes galantes /1

 

Watteau

Antoine Watteau - Pèlerinage à l'île de Cythère, 1717, Musée du Louvre, Paris

 

     Je me suis lancé avec appétit dans la lecture du livre « Les Fêtes galantes ou les rêveries de Watteau et Verlaine » de Patrick Godfard, qui m’avait été offert à Noël, un beau livre magnifiquement illustré par de nombreux tableaux et dessins.

     L’auteur a dû ressentir une profonde délectation en écrivant cet essai, étude croisée entre la peinture de Watteau et la poésie de Verlaine. Son érudition atteint des sommets. Presque trop, avais-je pensé… Je redoute souvent que ce genre de livre passe à côté de l’essentiel : expliquer clairement les liens qui unissent les deux artistes et montrer la beauté de leur art.

     Sans toujours comprendre les figures de style de certains mots utilisés par l’auteur, j’ai dépassé cette difficulté de lecture apparente et, finalement, je me suis laissé embarquer par la qualité de l’analyse et la beauté des textes et reproductions de tableaux.

 

 

    Après la mort de Louis XIV, une folie de plaisir s’installe au moment de la Régence. Le peintre Antoine Watteau montre des personnages de la haute société s’adonnant au badinage dans la pénombre de bois ou parcs, au son de mandolines, au milieu de statues suggestives. Le théâtre et la danse sont présents. Il s’agit d’une sorte de chronique du temps : robes à panier, perruques poudrées, visages pâles agrémentés de touches rouges, attitudes outrancières. En 1712, le peintre est reçu à l’Académie royale de peinture avec le tableau « Pèlerinage à l’île de Cythère ». Ce genre pictural est appelé par les académiciens « peintre en festes galantes ».

    Un siècle et demi plus tard, en 1869, le jeune Paul Verlaine fait paraître son recueil de poèmes « Fêtes galantes » directement inspiré de l’œuvre de Watteau.

     « Qui d’autre mieux que Verlaine a compris qu’un poème est de la musique avant toute chose. » Elle est constante dans ses vers : sonorité, répétitions, pas de danse, sensations.

Watteau se fait lui-même musicien dans ses tableaux : « Fêtes vénitiennes ».

Watteau

Antoine Watteau - Fêtes vénitiennes, 1717, Galeries nationales d'Écosse, Édimbourg

 

     Des musiciens apparaissent dans la plupart de ses toiles : « Les charmes de la vie, « La gamme d’amour », « Le donneur de sérénade ».

watteau

Antoine Watteau - La gamme d'amour, 1717, National Gallery, Londres

     watteauLa peinture elle-même est musique et rythme la composition : les personnages de « Pèlerinage à l’île de Cythère » s’invitent, se lèvent, discutent, s’enlacent, au rythme d’un menuet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     L’on s’étourdit dans la danse du poème « Mandoline » de Verlaine.

Extrait :
"Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queues,
Leur élégance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues,

Tourbillonnent dans l’extase
D’une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise."

 

    « Les « Fêtes galantes » sont un éternel bijou », écrit Mallarmé. Watteau a introduit la grâce musicale en peinture, Verlaine est le poète qui a musicalisé la langue française. Il nous invite au songe dans le poème « L’allée » .  

Extrait :

"Fardée et peinte comme au temps des bergeries

Frêle parmi les nœuds énormes de rubans

Elle passe, sous les ramures assombries

Dans l’allée où verdit la mousse des vieux bancs »."

 

     Un poète grec Simonide de Céos et le peintre Léonard de Vinci comparèrent la peinture à la poésie.

    Un chapitre du livre s’interroge : "des « Fêtes galantes » préimpressionnistes ?" On peut se poser cette question, car Verlaine est contemporain de la plupart des peintres avant-gardistes. Lorsque paraît le recueil en 1869, Monet et Renoir créent l’impressionnisme en allant peindre ensemble la guinguette La Grenouillère sur l’île de Croissy, proche de Paris. La peinture de Watteau et la poésie de Verlaine cherchent, eux aussi, à rendre la sensation, la fugacité des choses. D’ailleurs, Monet affectionnait « L’embarquement pour Cythère » et Renoir a été influencé par des scènes de Watteau dans ses toiles « La Promenade » ou « Les amoureux ».

Renoir

Auguste Renoir - Les amoureux, 1875, Galerie Nationale de Prague

 

     On pourrait alors parler de signes avant-coureurs de l’impressionnisme... Pourtant l’auteur ne retient pas l’image impressionniste : pour lui, Watteau et Verlaine proposent une perception de la réalité alors que les impressionnistes créent un univers onirique. J’ai un avis différent de l’auteur sur la poésie de Verlaine dans laquelle je retrouve tout ce que j’aime chez mes amis peintres : spontanéité, atmosphère trouble, vivacité de la touche …

 

     Rubens… Watteau s’inspira de ses toiles en visitant le Palais du Luxembourg àwatteau,verlaine Paris. Nous retrouvons les tonalités colorées du peintre flamand dans son œuvre où la couleur prime : un jeu des contrastes s’intègre dans l’ensemble et les touches de couleur vibrent et fusionnent en mêlant les personnages au paysage.

 

 

 

 

 

 

 

 

     Deux vers de Verlaine « Car nous voulons la Nuance encore / Pas la couleur, rien que la nuance ! » peuvent s’appliquer à la façon dont Watteau travaille la couleur : non pour elle-même, mais comme nuance, par touches légères, dans un jeu global où tout est lié.

 

     « Le Verlaine des Fêtes galantes peut nous aider à mieux saisir Watteau : à côté du chantre des plaisirs et de la nonchalance, il y a le Watteau peintre de la mélancolie. »

     Les deux artistes ont en commun une même vision de l’homme où le libertinage n’est finalement qu’une illusion visant à refuser d’affronter la réalité.

watteau

Antoine Watteau - Pierrot, 1719, Musée du Louvre, Paris

 

     Derrière l’évocation des plaisirs chers à Watteau, certains paysages reflètent l’âme du poète, sa propre sensibilité, laissant entrevoir un spleen baudelairien qui va en s’amplifiant au fil des poèmes. 

Extrait « En sourdine » :

« Et quand, solennel, le soir

Des chênes noirs tombera,

Voix de notre désespoir,

Le rossignol chantera. »

 

     Le ton devient sombre dans « Colloque sentimental ».

Extrait :

« Dans le vieux parc solitaire et glacé,

Deux formes ont tout à l’heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,

Et l’on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé,

Deux spectres ont évoqué le passé. »

 

     Comme je l’avais fait pour Charles Baudelaire il y a quelques années pour son recueil des « Fleurs du mal », je publierai en plusieurs articles des poèmes des Fêtes galantes de Verlaine que j’illustrerai de tableaux choisis dans l’œuvre de Watteau.

 

Commentaires

  • Mais quelle belle idée, cher Alain, de nous rendre compte de l'ouvrage de P. Godfard ! Cela me remet en mémoire "L'Embarquement pour Cythère", un de mes premiers articles à la création de mon blog en mars 2008 ..., Fichtre ! Que le temps passe vite !
    Quoi qu'il en soit, je me réjouis de relire avec toi quelques poèmes de Verlaine accompagnés des toiles que tu auras plébiscitées au sein de l'oeuvre de Watteau..

  • Watteau et Verlaine, ces deux-là étaient faits pour s’entendre. Je ne peux les concevoir l’un sans l’autre. Les « Fêtes galantes » du poète peuvent être regardées comme un hommage au peintre du libertinage en peinture.
    J’éprouverai beaucoup de plaisir à faire quelques articles avec ces deux artistes côte à côte. Certaines poésies se marient fort bien avec des tableaux. J’avais apprécié de le faire pour Baudelaire il y a cinq ans.

  • Merci Alain pour ce duo plein de sentiments joyeux et romantique avec un brin d'érotisme chez Watteau qui plaisait à Verlaine!! Ton choix de tableaux est très agréable à visionner!! Normal ton
    talent est judicieux dans ton écriture, tes lecture et tes recherches!! Bisous Fan

  • Oui Fan, je passe beaucoup de temps, sur les lectures, recherches et écrits. C’est plus fort que moi, je ne sais pas faire des articles courts !
    L’érotisme était à fleur de peau (cette expression correspond bien) chez Verlaine et Watteau. L’auteur du livre, un intellectuel, les a superbement réunis à un siècle d’intervalle.
    Merci Fan. Beau week-end à toi.

  • Je préfère cent fois par tes yeux découvrir
    Ces trésors de Watteau, concerto de Verlaine
    Car ton vœu de montrer comment l'art peut s'ouvrir
    A tous les cœurs, ravit la muse de Marlène !

    Bonsoir Alain,
    Que j'ai aimé ma lecture ! Je regrette de ne venir te lire plus souvent car le plaisir est à chaque fois divin.
    Bonne soirée

  • Merci d'être passée et pour ce beau poème.
    Ces deux artistes sont inséparables en matière de fêtes galantes. Je publierai la suite des poèmes contenus dans le recueil de Verlaine. Un régal que je m'offre parfois.
    Très belle journée.

  • Cher Alain,
    Je me mets une alerte pour être sûre ne pas manquer ce prochain rendez-vous car te lire est enthousiasmant et surtout très instructif !
    A bientôt donc

  • Merci Marl'Aime
    Excellent week-end à venir.

  • Bonjour Alain,
    Ma muse est venue me déposer la suite du poème sur mon blog " Watteau concerto de Verlaine " à l'aube de ce Domanche de Pâques et j'espère qu'il te plaira !
    Bonnes Fêtes de Pâques

  • Comment te dire Marl’Aime
    La beauté de ce poème ?
    Watteau et Verlaine étaient admirables
    Désormais ils sont inséparables.

    Ton poème, que je mettrai peut-être dans mon prochain article, m’a inspiré ce faible quatrain.
    J’ai appris ce qu’était un « sonnet estrambot ».
    Un grand merci. C’est beau la poésie.

  • Cher Alain,
    Je ne fais que te partager en retour l'émotion vive reçue à la découverte de tes articles. Bravo pour le quatrain, tout a commencé un jour comme cela pour moi et la rencontre avec un Maître en poésie classique a changé ma vie !
    Mes Amitiés

  • Il m'arrive de faire des poèmes en certaines occasions, et j'aime ça. Mais la peinture me rattrape la plupart du temps.
    Encore merci. Belle journée.

  • Cher Alain,
    Watteau...
    Comment dire? J'ai une telle passion pour ce peintre!
    Je le dis et je le redis, j'ai choisi l'Histoire de l'Art lorsque j'étais une toute jeune fille grâce à trois peintres! Watteau, Boucher et Fragonard...
    J'ai passé des heures et des heures au Louvre devant les oeuvres de Watteau, j'en ai rêvé si souvent! Un chapitre de ma Thèse lui était consacré et j'ai dans ma bibliothèque tant d'ouvrages et aussi de cahiers rédigés par mes soins qui lui sont consacrés... Je l'aime, tout simplement, cet artiste au coeur si mélancolique et cependant si vivant en son temps!
    J'aime toutes les oeuvres que j'ai pu voir de lui, les connues et les moins connues et j'ai tant "papoté" avec son Pierrot, dans les atmosphères du Louvre, saison après saison...
    Un grand merci pour votre présentation! Oui, un grand Merci!
    C'est toujours un plaisir de me retrouver dans votre univers de passion picturale et poétique. Je sais que je suis peu présente mais je suis pourtant là... Vous savez que ma vie a évolué et que je me consacré corps et âme à l'étude de la Langue Russe et des Arts Martiaux.
    Je vous dépose un tout petit bout de poème que j'avais écrit un jour, il y a bien longtemps, en contemplant le Pierrot de Watteau... j'aimerais retrouver mon poème entier, je ne sais pas trop où il est pour le moment mais j'ai gardé ce quatrain en tête:
    "Je suis de chiffon clair
    J'ai le coeur d'un pantin
    Fragile est ma Lumière
    Immense, mon Destin"...
    Encore un chaleureux merci et de belles pensées sous le signe de l'Amitié qui ne s'étiole pas en dépit du temps qui passe, je le crois ardemment
    Cendrine

  • Vous n’avez pas perdu votre passion pour l’art, Cendrine. C’est rafraichissant et cela me fait plaisir.
    Watteau est, avec ceux que vous citez, le grand peintre français du 18e. On ne se lasse pas de ses paysages dans lesquels de charmantes jeunes femmes se laissent séduire par des musiciens entreprenants.
    Tous les sens sont en fête avec ce peintre des demi-teintes, des courbes lascives et des frémissements des êtres.
    Il est superbe votre quatrain sur le Pierrot. Il faut absolument que vous retrouviez ce poème de jeunesse. Je l’attends avec impatience pour le glisser dans un prochain article sur Verlaine.
    Cet étonnant Pierrot apparaît sur plusieurs tableaux. Celui du Louvre semble indiquer que la fête est finie. Un Pierrot lunaire. « Celui-là (…) se farde avec la lune ! » disaient les frères Goncourt.
    Le livre de Partick Godfard est excellent, très technique, mais c’est certainement, l’une des plus belles études sur les deux artistes, accompagnée de nombreuses images des œuvres du peintre.
    En attendant de lire votre poème, je vous souhaite de continuer éternellement à faire ce que vous aimez. Cela semble vous réussir.
    Merci de votre passage.

  • Entre les mots de Verlaine et les tableaux de Watteau, on se sent bien ici à visiter votre site . En vous souhaitant le bonne journée , je reviendrai me promener dans votre espace afin d'y flâner avec nonchalance, comme on le fait parfois dans les musées .

  • Watteau et la période régence : je me souviens de la tablée de lycéens que mes amis de l'époque et moi-même formions, nous avions croisé les tableaux de Watteau et la légende de l'époque régence et la folie de plaisirs (pour quelques privilégiés ) qui paraît-il a fêté la mort du vieux Louis XIV . Nous nous étions juré de faire un jour une fête régence en nous inspirant des tableaux de Watteau en costume d'époque , mais ce fut un rêve non réalisé , après le bac chacun va dans sa direction et l'on pense à autre chose.

  • Mais je vais peut-être m'offrir « Les Fêtes galantes ou les rêveries de Watteau et Verlaine » de Patrick Godfard. Malheur Noël est loin et mon anniversaire est passé , peut-être pour un "mois-iversaire" .

  • Excellente idée d'achat. Verlaine et Watteau méritent que l'on s'y attarde.
    Belle journée.

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