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Le maître de la nuit

 

     « Une masse brune, une flamme citron, un rouge franc, un vermillon plus sourd, une grandeur triste. »

 

     Pascal Quignard, l'auteur du livre "Georges de La Tour" se parle à lui-même. Une sorte de spiritualité mystique se dégage des mots qu’il utilise pour exprimer cette peinture d’ombre et de lumière. La flamme serait-elle Dieu ?

 

georges de la tour

Georges de La tour - La Madeleine à la veilleuse, 1640, musée du Louvre, Paris

 

 

 

     Georges de La Tour, ce fils d’un boulanger de Vic-sur-Seille en Lorraine, est réputé à son époque : en 1639, il se rend à Paris et reçoit le titre de « Peintre ordinaire du roi » ainsi qu’un logement au Louvre. Le roi Louis XIII possède un « Saint Sébastien soigné par Irène » qu’il admire dans sa chambre.

    Caravage, mort depuis peu lorsque La Tour commence sa carrière, influence la plupart des peintres par des effets de clair-obscur soulignant les reliefs, appuyant les contrastes violents d’une forte dramatisation lumineuse.

    La Tour s’en inspire mais son clair-obscur est bien différent de celui de l’artiste italien. Un rapport unique s’établit entre la lumière et l’ombre : « Il obéit aux leçons du Caravage. Il sacrifia toutes les auréoles qui encerclent la tête des dieux et des saints pour leur substituer les reflets d’une bougie. »

 

     Les pensées de Pascal Quignard vagabondent. La poésie de ses mots introduit la beauté des toiles. Il s’interroge : « La Tour fut un des derniers génies de la Renaissance. Il a emprunté à Honthorst l’artifice qui consiste à cacher le luminaire par un écran de fer, par une main, par un personnage, par un crâne. » 

 

georges de la tour

Georges de La tour - La Madeleine au miroir, 1635, National Gallery of Art, Washington

 

     La « Madeleine au miroir » médite : « La clarté ne se concentre que sur le visage, le buste, la main qui hésite et les longs doigts qui effleurent et qui s’efforcent de reconnaître à tâtons le relief de la mort. »

     De toutes les « nuits » de La Tour, Cette Madeleine est peut-être celle où l’effet de silence et de solitude est le plus poignant. Tournée vers un miroir, abîmée dans une sorte d’extase, la pécheresse songe, revenant sur sa vie :

« Ce n’est pas une Vénus repentie mais une femme grave dont le corps a aimé le plaisir et qui pense. La séductrice ne nous regarde plus, nous, les hommes. Ni ne regarde directement le crâne et la mort. Elle regarde le reflet. Son reflet n’est pas son reflet. Là ou Madeleine s’attendait à découvrir les traits de son visage, le monde des morts est là, et son silence. »

 

     1638. La Tour a 45 ans pendant la guerre de trente ans. Les troupes françaises ravagent la Lorraine. Les villages brulent. La peste décime la région. L’artiste s’est-il spécialisé dans les nuits au moment de l’incendie de Lunéville ? La Tour va devenir le maître de la nuit.

 

georges de la tour

Georges de La tour - Saint Joseph charpentier, 1642, musée du Louvre, Paris

 

     Son « Saint Joseph Charpentier » du Louvre m’impressionne toujours autant. L’effet lumineux est intense. L'homme usé par la vie est en plein travail dans son atelier, le corps tout entier dans le labeur, les reins cassés, les bras forts :

« L’homme est la force même devenue chair, grand tablier serré à la taille, veines gonflées sur le front, muscles saillants, mains énormes, pieds larges. »

     Assis face à lui, l’enfant Jésus, d’une beauté irréelle, éclaire la scène avec une chandelle, georges de la tourla main traversée par la flamme : « La main qui tient la chandelle est seule à avoir des doigts qui sont si longs. Le visage est le vrai foyer de la clarté, lèvres gonflées, l’œil grand ouvert sur plus grand et sur plus lointain que ce qu’il voit. »

 

 

 

 

 

 

 

    Cette nativité est le tableau le plus émouvant de l’artiste. Un chef-d’œuvre exceptionnel ! Ce « Nouveau-né » réside au musée des Beaux-Arts à Rennes. Heureux Bretons !

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Georges de La tour - Le nouveau-né, 1640, musée des Beaux-Arts, Rennes

 

     Le nouveau-né dort dans les bras de Marie emmailloté dans ses langes. Une lumière de vie s’accroche en le faisant luire au front de l’enfant. L’ineffable et le sacré se révèlent : or, rouge flamboyant et nuit obscure. Pendant que la Vierge Marie tient l’enfant Jésus, la sainte Anne adoucit avec sa main la lueur de la bougie qu’elle tient pour éclairer la scène.

     « Le bébé devient le foyer dont la clarté vient sculpter de sollicitude les deux visages des jeunes femmes qui sont penchées vers lui. Chez La Tour, les dieux sont sans nimbes, les anges sont sans ailes, les fantômes sans ombre. »

 

 

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Georges de La tour - La femme à la puce, 1638, Musée Historique Lorrain, Nancy

 

     Une scène d’intimité montre une femme demi-nue au ventre lourd écrasant une puce entre ses doigts.  La lumière de la chandelle sculpte son corps. Une prostituée ? Une servante ? Une Madeleine ? :

     « Je ne m’expliquerai jamais le caractère à ce point non érotique de cette femme au bout du compte si féminine et jeune et belle. »

 

     La production de Georges de La Tour a dû compter environ 300 toiles. L’incendie de Lunéville en a brûlé une bonne moitié. Après sa mort, le peintre sombre dans l’oubli. Ses toiles, essentiellement connues pour ses scènes religieuses, seront souvent attribuées aux frères Le Nain. Début 20ème ce maître du clair-obscur est redécouvert et replacé parmi les plus grands peintres français du 17e. Aujourd’hui, ses « nocturnes », ne cessent de nous éblouir. Il ne reste plus qu’une bonne trentaine des lumineuses toiles de l’artiste.

 

     « La beauté est une flamme de chandelle dans la tristesse, dans l’argent, dans le mépris, dans la solitude. Dans la nuit. Une haleine d’enfant la courbe ; un souffle la menace ; le vent définitif l’éteint. »

 

 

Commentaires

  • Il m'impressionne aussi toujours autant.
    Je n'ai pas lu le livre de Quinard, mais j'aime les tableaux que j'ai vu au Louvre, ou ceux que j'ai pu croiser sur le Web.
    Voir l'un de ses tableaux en vrai est un privilège, ils sont encore plus impressionants.
    Passe une douce journée et prends bien soin de toi.
    Merci pour cette page.

  • Georges de La Tour est certainement, avec Vermeer (je pense à « La femme à la balance »), l’artiste dont la peinture, de suite, me plonge dans un univers poétique qui happe à chaque vision.
    Je me souviens de la grande exposition au Grand Palais en 1998. J’étais tellement scotché devant ces toiles d’un autre temps que j’y suis retournée une deuxième fois. Il faudrait en organiser une autre au plus vite. Cela ferait le plein comme pour Léonard de Vinci. Enfin… pas en ce moment.
    Le pic arrive. Porte un masque.
    Tu m’as fait redécouvrir Marie récemment. J’ai publié un article à son sujet sur le site littéraire Babelio. Dommage qu’elle ne soit pas référencée. Elle m’a dit qu’elle ne vendait qu’à des proches, ou montrait sa poésie sur Calaméo. Elle a un très grand talent poétique et de photographe.
    Belle journée Quichottine

  • Quelle hommage magnifique que tu as fait sur ce peintre fabuleux!!! je découvre des tableaux de Madeleine et surtout ST Joseph charpentier!!! des toiles sauvées de l'incendie!!!OUF!! Merci Alain!!Sois prudent, reste bien confiné!!!Bisous Fan

  • Toutes les toiles de La Tour, surtout ses « nocturnes » sont magnifiques. On ne peut s’en lasser tellement elles interrogent sur pleins de choses, comme pour Pascal Quignard, qui nous transportent loin… loin…
    Pas de problème pour le confinement, Fan. On ne bouge plus sauf pour quelques courses. Heureusement nous avons un jardin. J’ai retrouvé quelques masques anciens jamais utilisés qui feront l’affaire. Cela est un peu mieux dans ta région ensoleillée je crois, mais prudence, le virus nous surveille.
    Belle journée à toi.

  • Hermosas pinturas. La luz que tienen es admirable.
    Saludos

  • Georges de La Tour est l'un de l'un de nos plus grands peintres français. De la nuit jaillit la lumière. C'est beau...
    Merci Ana de votre passage.
    Beau week-end à vous.

  • J'ai le sentiment, Christiana, que vous avez apprécié à un degré supérieur les tableaux de l'artiste.
    Oui, sublime est bien l'adjectif qui convient pour qualifier le maître de cette lumière qui jaillit d'une flamme dans la nuit. Surtout lorsqu'elle traverse la main d'un enfant ou d'une femme voulant protéger un bébé de l'éblouissement.
    Il est des peintres, comme Georges de La Tour, qui vous laisse sans autres mots que sublime pour exprimer l'émotion que l'on ressent en voyant leurs toiles. Quand je pense qu'il a été redécouvert, comme Vermeer, il y a à peine plus d'un siècle.
    Belle journée à vous, Christiana. Protégez-vous.

  • la lueur de la bougie avec ses contrastes violents devait être un régal pour les artistes de la lumière, la main de l'enfant rendue translucide est une merveille.Belle semaine, Alain

  • Cette peinture est de la poésie qui fait du bien dans les périodes difficiles que nous traversons.
    C'est tellement beau que, comme je le disais précédemment, les mots ne sont pas assez fort pour exprimer l'émotion ressentie.
    Merci Emma. Prends soin de toi.

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