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Un sourire coquin

 

HALS FransLa bohémienne, 1630, musée du Louvre, Paris

 

 

     C’est bien moi « La bohémienne » ! Je suis une des oeuvres vedettes de la peinture hollandaise du Siècle d’or, magnifique période de ce 17ème siècle hollandais qui rayonnait sur le reste de l’Europe.

 

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Frans Hals, La bohémienne, 1630, Musée du Louvre, Paris

 

     A l’intérieur des salles du département des peintures hollandaises du musée du Louvre, seules les toiles du grand Rembrandt ou du mystérieux Vermeer réussissent à me faire de l’ombre. Je suis moins connue que « La Joconde » qui attire tous les visiteurs du musée. Je me demande bien pourquoi… Néanmoins, je pense - non sans une pointe d’orgueil ! - que je suis l’œuvre la plus recherchée de cette aile Richelieu où je suis accrochée, si j’en juge au nombre de personnes qui passent et s’arrêtent longuement pour reluquer mon portrait…

    Un peu gênés parfois, les regards appuyés des visiteurs m’amusent… Suis-je responsable du fait que mes rondeurs provocantes, mon sourire entendu, un peu narquois, attirent plus particulièrement la gente masculine ? Je pense que ceux-ci voient en moi une jolie bohémienne aux joues roses, à la bouche gourmande. Rien d’autre… Ma tenue légère, mes cheveux indisciplinés serrés par un ruban rouge, mon regard railleur, doivent leur apparaître comme l’expression d’une certaine jovialité… ma propre joie de vivre.

     Lorsque Frans Hals, mon concepteur, m’a peinte dans les années 1630, je passais pour une femme de mauvaise vie, aux mœurs légères. Je ne ressemblais pas aux dames respectables de l’époque cachant leurs cheveux sous des bonnets ou une coiffe, aux corsages boutonnés très haut, le cou ceinturé d’une énorme fraise. Peu m’importait : l’allure débraillée que Frans m’avait donnée me plaisait et l’opinion des gens m’indifférait !

   Sale réputation que celle de notre peuple de bohémiens dont les origines étaient mal connues ! La couleur foncée de notre peau inquiétait. Gens du voyage, nous n’avions pas de domicile fixe et nous nous déplacions constamment. Les populations se méfiaient de nous, nous dérangions : les hommes nous désiraient pour notre gaieté, notre légèreté ; les femmes nous détestaient. Nous étions souvent confondus avec les mendiants, les errants, les vagabonds qui cheminaient le long des routes, ou les pèlerins se rendant à Saint-Jacques-de-Compostelle.

    Nos pires ennemis étaient les services de police : surveillance, intolérance, condamnations pour vagabondage ou mendicité étaient notre sort habituel. Gare aux voleurs, les sanctions étaient lourdes : torture, conduite aux galères, pendaison pour les hommes ; humiliations, fouet en public pour les femmes. Certaines de mes amies avaient été tondues, menacées de bannissement si elles continuaient à « mener la vie de bohémienne », et leurs enfants avaient été conduits dans des hôpitaux.

    Je ne m’expliquais pas cette haine envers nous ! Heureux, nous chantions, dansions, aimions, riions. On ne faisait pas grand mal… à part… bien peu de choses… quelques menus larcins par-ci par-là… La mémoire de mes friponneries passées me hante toujours. Combien de fois avais-je détroussé des passants… Cela se terminait mal parfois…

    Les bons chrétiens n’appréciaient guère les pratiques habituelles de nos femmes consistant à lire dans les cartes et les lignes de la main. Nous étions étranges. Etrangers…

 

     Que se passe-t-il ? Aujourd’hui, les gens passent devant moi rapidement en me jetant un regard distrait… Même les hommes, mes clients privilégiés habituellement, ne paraissent guère intéressés par mon décolleté aguicheur ? Pourtant, je fais des efforts pour me mettre en valeur : œil enjôleur, sourire espiègle… Ton pouvoir de séduction s’étiole ma fille, me dis-je, dépitée !

     « Chérie, viens voir cette jeune bohémienne. Elle est bien gironde ! »

     Un homme, attardé devant mon portrait, appelait sa femme qui continuait sa visite.

   Je me redresse subitement, bombe le torse et envoie un sourire coquin en direction de l’homme.

 

 

 

Commentaires

  • Avec bonheur, comme toujours, voici qu'aujourd'hui tu livres les propos d'une jeune femme, monologue qui nous est évidemment destiné, à nous, les hommes.

    Et pour ce faire, tu as choisi de donner la parole à la "Bohémienne" de Frans Hals, au Louvre : ce qu'il est convenu dans l'Histoire de l'Art d'appeler un "portrait de caractère".

    Du caractère ? C'est indéniable.
    Encore faudrait-il être à même de trancher car depuis les siècles que nous admirons sa gorge avenante, certains célèbrent sa belle bonhomie, son éclatante joie de vivre alors que d'autres, l’œil plus licencieux peut-être, applaudissent son attitude, son port, ses formes offertes et la veulent franchement aguicheuse.
    Éternelle dichotomie du regard porté sur l'Autre.

    Et tout à coup, après des siècles d'hésitation, voici enfin son message, que tu nous transmets ; son aveu en quelque sorte : oui, elle aime son allure ; oui, elle s'apprécie telle qu'elle est. Délibérément.
    Elle revendique ouvertement ce droit d'être elle et peu lui chaut l'opinion ou le regard désapprobateur porté sur elle.

    Pis : elle force le trait si, d'aventure, l'un ou l'autre passant mâle venait à ignorer sa présence ...


    Un grand instant jouissif que ce monologue que tu nous offres, Alain !

  • J’aime bien faire parler les personnages dans un tableau.
    Cette bohémienne avait envie de s’exprimer, J’en ai profité. Elle est bien dans sa peau, et ce sourire accrocheur lui va si bien.
    C’est une femme libre, moderne, qui assume pleinement son image.
    On ne peut pas la louper au Louvre, je ne sais si cela est fait exprès, elle est installée juste à l’entrée des peintures hollandaises. Cela met l’eau à la bouche…

  • Il est certain que cette jeune bohémienne à moins de succès que la Joconde mais je la trouve tellement plus ironique !! tu as bien partager ses sentiments envers le public!!Merci Alain! Bisous Fan

  • Hals est un magnifique peintre et sa Bohémienne l'une de mes toiles préférées.
    J'ai tenté de la montrer comme le peintre et les personnes de cette époque voyaient ces bohémiens qui leur ressemblaient si peu.
    Elle n'a pas le même sourire que la Joconde mais ce sourire coquin correspond bien à l'apparence que devaient avoir ces jolies bohémiennes très délurées.

  • La Gironde et la Joconde : deux "pôles" majeurs du Louvre, et de la vision de la femme dans l'art, en somme.

  • Le sourire de ces femmes est bien différent : jouisseur, accrocheur, chez l'une ; réservé, mystérieux, chez l'autre.
    Dans les deux cas l'attirance est la même grâce à l'immense talent des artistes.

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