Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rembrandt et Bethsabée

 

Rembrandt, Bethsabée, Hollande,

Rembrandt – Bethsabée au bain, 1654, Louvre

 

« On ne peut voir un Rembrandt sans croire en Dieu », écrit Vincent Van Gogh à son frère Théo

Historienne de l’art et conférencière des Musées Nationaux, Marie-Laure Ruiz-Maugis est fascinée depuis longtemps par la grande toile « Bethsabée au bain tenant la lettre de David » que l’on découvre au Louvre dans la salle unique destinée aux œuvres de Rembrandt. Après avoir participé en 2005 à un documentaire télévisé sur « Les héroïnes de la Bible dans la peinture », elle a attendu la restauration récente de la toile pour écrire ce petit essai « Rembrandt et Bethsabée », interprétation personnelle sur le tableau de Rembrandt dans l’histoire de l’art :

https://editionsmacenta.fr/

 

Rembrandt, Bethsabée, Hollande,

 

Cette « Bethsabée » est le plus grand nu du maître, l’un des plus importants peintres du siècle d’or néerlandais. Il y a quelques années, en entrant dans la salle du Louvre, j’étais resté impressionné lorsque j’avais vu cette femme nue, enceinte, grandeur nature, pour la première fois. La scène du tableau, peinte en 1654, était tirée de la Bible à laquelle Rembrandt avait consacré près d’un tiers de son œuvre.

Bethsabée sort du bain. Une servante, agenouillée devant elle, lui essuie les pieds. Bethsabée, épouse d’un soldat nommé Urie, est très songeuse : la lettre qu’elle tient dans sa main droite provient du roi David. Celui-ci l'invite à son palais après l'avoir observée durant son bain. La douce lumière qui la recouvre souligne son indécision et sa réflexion sur cette invitation qu'elle va finir par accepter et qui aura ensuite de graves répercussions sur son soldat de mari qui mourra au combat. David la prendra pour épouse et elle perdra l’enfant qu’elle attendait. Plus tard, son mariage avec David donnera naissance au futur roi d’Israël, Salomon.

 

Rembrandt a bien vieilli lorsqu’il peint « Bethsabée au bain » à l’âge de 48 ans. Sa première femme Saskia est décédée depuis plusieurs années après avoir mis au monde quatre enfants dont trois sont morts en bas âge. Je me souviens de la Saskia qui était son modèle préféré. Gracieuse, il l’habillait, la dénudait : elle devenait Danaé, Artémis, Flore. Jeune mariée, un jour de ripaille, il la fit poser petite et mince sur ses genoux en levant un verre de vin à notre santé.

La notoriété de l’artiste attire de nombreux élèves qui viennent se former dans son atelier où il règne en maître. Dans les Provinces-Unies, à cette époque, le marché de l’art est libre. Rembrandt fixe des prix très élevés et s’enrichit. Ambitieux et dépensier, il est rapidement accablé de dettes. Il a déjà peint plusieurs autres « Bethsabée » avant d’entreprendre celle de 1654 d’après un modèle vivant : on reconnaît aisément le visage de sa nouvelle compagne, Hendrickje Stoffels. Poursuivi par ses créanciers, l’artiste va entreprendre une nouvelle manière de peindre, vision instinctive de son art qui va donner des chefs-d’œuvre dont la « Bethsabée » du Louvre.

 

Contrairement aux nombreuses représentations de Bethsabée chez d’autres peintres, comme « Bethsabée à la fontaine » de Rubens mettant en valeur les appâts du corps féminin, chez Rembrandt, l’impression générale de la toile est bien différente. Bethsabée est plongée dans une méditation profonde empreinte de tristesse et de résignation, hantée par l’image de l’adultère qu’elle s’apprête à commettre. Le charme du tableau réside dans le mouvement de la tête présentant une douce inclinaison et dans l’expression du regard qui se perd douloureusement dans le vide. L’intensité dramatique semble être la recherche essentielle de l’artiste à laquelle le puissant clair-obscur participe. Cet effet est encore renforcé par la chemise blanche dont elle s’est dévêtue : la matière picturale se superpose en d’innombrables couches retravaillées dans l’épaisseur avec le manche du pinceau qui accrochent la lumière pour mettre en valeur la beauté du corps de Hendrickje.

Malgré les signes de relâchement naissant de la chair, malgré quelques imperfections du ventre et des cuisses, le corps de la femme est illuminé par un rayonnement intérieur d’une grâce touchante que, en tant que spectateurs, nous ressentons profondément. Elle est vivante. La récente restauration du tableau a dévoilé étonnement des traces de jarretières sur les jambes de Bethsabée…

Au passage, je remarque que le visage des deux femmes est plongé dans la même méditation. Le geste de la servante rappelle celui de la Madeleine lavant les pieds du Christ.

 

La fin de vie de Rembrandt approche. Il est usé par les épreuves du temps. Ses dernières œuvres révèlent le souci d’exprimer des qualités morales et spirituelles. La même année 1654, il va peindre une deuxième fois sa compagne dans une toile magnifique libérée du poids de l’histoire : « Femme se baignant dans une rivière ». Hendrickje entre dans l’eau la chemise relevée jusqu’en haut des cuisses, un léger sourire coquin sur les lèvres.

Rembrandt, Bethsabée, Hollande,

Rembrandt – Femme se baignant dans une rivière, 1654, National Gallery, Londres

 

Peu de temps avant sa mort en 1669, le vieil artiste va animer une dernière fois la matière picturale de l’une de ses plus belles toiles d’une exaltation d’or et de rouge : « La fiancée juive ».

 

Rembrandt, Bethsabée, Hollande,

Rembrandt – La fiancée juive, 1666, Rijksmuseum, Amsterdam

 

Je viens de parcourir un petit livre, très bien écrit et illustré. Il s’agit du troisième livre des Éditions Macenta que je critique. J’apprécie toujours la qualité de leurs ouvrages sur le monde des arts. J’ai aimé les annexes du livre fournissant de nombreux renseignements sur la restauration récente de la « Bethsabée » et sur la richesse économique, scientifique et intellectuelle de cette hollande foisonnante du 17e siècle. Un seul petit regret pour les lecteurs : il n’est pas fait assez mention des plus grands peintres de l’histoire mondiale de la peinture qui, avec Rembrandt, vont s’épanouir dans ce siècle d’or néerlandais. Vermeer, Hals, Steen, Ter Borch, De Hooch accompagneront un bouquet de peintres exceptionnels aux talents variés qui feront de cette période hollandaise la plus brillante picturalement en Europe.

L’auteure termine son livre par une question : pourquoi ce tableau me bouleverse-t-il autant ?

 

Commentaires

  • D'un regard dans le vide il peut se dégager
    Milles réflexions ! Celle que tu présentes
    Tout à ton honneur faite en fleurs bienfaisantes
    Des champs de ton esprit invite à s'engager...

    Bonsoir Alain,
    J'ai toujours beaucoup de plaisir à lire tes textes quand je me décide enfin à prendre le temps nécessaire et après je culpabilise d'avoir attendu si longtemps !
    Je découvre toujours sous un angle nouveau l'univers qui te passionne et c'est très agréable.
    Bises et à bientôt

Écrire un commentaire

Optionnel