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Un portraitiste de génie

 

« On voit un portrait en pastel, par un jeune homme nommé M. Perronneau qui est plein d’esprit et de vie, et qui est d’une touche si vigoureuse et si hardie qu’on le prendrait pour être d’un Maître consommé dans son Art. Que ne doit-on pas espérer de quelqu’un qui marque tant de talents dans ses premiers ouvrages ? ».

 

     Jean-Baptiste Perronneau, est encore méconnu en 1747, lorsqu’il expose au côté de Maurice Quentin de La Tour qu’il admire. 

     Afin de remercier son maître Gabriel Huquier qui vient de l'embaucher dans son atelier à Paris, il fixe ses traits au pastel. Ce « Portrait de Gabriel Huquier » traité dans une gamme chromatique presque monochrome est absolument éblouissant dans son exécution. Lorsque l’on regarde le pastel de près on peut remarquer la juxtaposition des tons posés par touches audacieuses qui donnent une belle harmonie à l’ensemble.

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Jean-Baptiste Perronneau - Portrait de Gabriel Huquier, 1747, musée du Louvre, Paris

 

     Les frères Goncourt dans « L’art du dix-huitième siècle » en 1873 considèreront que Perronneau était un coloriste supérieur à La Tour. Ces gris souris… dans les fonds il font valoir les couleurs. Il faut reconnaître que, lorsque l’on voit ce superbe portrait de Gabriel Huquier, il est facile d’acquiescer avec les Goncourt car la main de Jean-Baptiste Perronneau est celle d’un virtuose. 

 

     Le 18ème siècle est le grand siècle du pastel. Les pastellistes étaient nombreux, surtout depuis la visite à Paris de la vénitienne Rosalba Carriera en 1720. Cette italienne avait révolutionné le petit monde de la peinture parisienne.

Les deux plus grands pastellistes de l’époque sont incontestablement Jean-Baptiste Perronneau et Maurice Quentin de La Tour. Ils resteront rivaux durant de nombreuses années.

Au Salon de 1750, selon Diderot, le pastelliste Maurice Quentin de La Tour aurait commandé son portrait à son jeune rival Perronneau, afin de le comparer avec un autoportrait exposé peint par lui-même, espérant ainsi battre son rival et prouver sa supériorité au public. Diderot critique sévèrement la vanité de La Tour et s’exclame : « Eh ! ami La Tour, n’était-ce pas assez que Perronneau te dît, tu es le plus fort ? ne pouvais-tu être content à moins que le public ne le dît aussi ? » Et pourtant la duperie ne fit résonner qu’avec plus de vigueur les qualités du pastel de Perronneau saisissant superbement l’âme du modèle.

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Jean-Baptiste Perronneau - Portrait de Maurice Quentin de la Tour, 1750, musée Antoine-Lécuyer, Saint-Quentin

 

    Durant toute sa carrière, Perronneau représente la société du monde des lumières et portraiture les personnalités de l’aristocratie, du monde des arts ou de la bourgeoisie. L’harmonie des couleurs et la vivacité de la touche vont rapidement le distinguer, essentiellement dans la ressemblance et la vie qu’il donne aux personnages.

     De son côté, Maurice Quentin de la Tour, de par sa réputation ayant un quasi-monopole sur la représentation de la cour et de la haute-noblesse, ne permet guère à Perronneau de s’exprimer dans ce milieu. Celui-ci va donc, comme beaucoup des grands pastellistes de cette époque : Rosalba Carriera, Elisabeth Vigée-Lebrun, et d’autres, voyager dans toute l’Europe au gré des opportunités. Il finira d’ailleurs sa vie à Amsterdam.

 

     Le musée de Beaux-Arts d’Orléans a récemment acquis un chef-d'œuvre, l'effigie de Aignan Thomas Desfriches, ami et mécène de Perronneau. L'homme, saisi de trois-quarts, nous regarde d'un œil vif, avec ironie. La robe de chambre bleue damassée fait écho au regard non moins bleu réchauffé par le jaune du foulard entourant le cou. Superbe portrait de cet homme peint sans pose, avec un grand naturel.

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Jean-Baptiste Perronneau - Portrait de Aignan Thomas Desfriches, 1752, musée des Beaux-Arts d’Orleans

 

     Essentiellement pastelliste, Perronneau peint également à l’huile. Son public a ses exigences : il désire être représenté tel que, sans flatterie, sans ces arrangement avec la vérité dans lesquels sombrent beaucoup de portraitistes de l'époque. Dans cette technique une de ses productions les plus admirables est le « Portrait de Madame de Sorquainville », exposée au Louvre, une œuvre majeure qui témoigne de sa virtuosité. Je vous la décris :

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Jean-Baptiste Perronneau - Portrait de Mme de Sorquainville, 1749, musée du Louvre, Paris

 

     Etonnant portrait ! Cette dame ressemble à Voltaire… Le peintre a parfaitement rendu l’apparence malicieuse, insouciante de cette quadragénaire. Elle n’est pas belle et paraît faite pour le bavardage avec des mains effilées aussi spirituelles que ses yeux noirs et pétillants. Vêtue élégamment dans des bleus juxtaposés aux ocres, gris ardoise du fond, son sourire indéfinissable et ses lèvres nous dévisage ironiquement. On peut parler de chef-d’œuvre devant la virtuosité d’ensemble du tableau.

 

     Je vais me permettre de vous faire une recommandation : savourer le superbe portrait de la fille de Gabriel Huquier peinte deux années après son père « Marie-Anne Huquier tenant un petit chat » :

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Jean-Baptiste Perronneau - Marie-Anne Huquier tenant un petit chat , 1749, musée du Louvre, Paris

 

    Il s’agit de l’œuvre la plus populaire de l’artiste. La délicieuse demoiselle est peinte en train de caresser son chat avec sensibilité et grâce. Je reconnais que la jeune fille est très jolie, mais l’attitude, la fraîcheur du coloris lui confère une beauté qui touche dès le premier regard. Comment ne pas remarquer la légèreté et la finesse de la touche dans les détails : rehauts de lumière dans l’ombre du cou, sur les lèvres, le nez, les cheveux, intensité des couleurs, agilité des doigts caressant le chat. La liberté de traitement dans les reflets et zigzags verts sur le cou et la joue, la beauté de la chair, le sang circulant sur la joue, sont remarquables de préciosité et de raffinement.

    La jeune fille dut apprécier son portrait lorsqu’elle le vit pour la première fois en 1749.

    Du grand art.

 

 

Commentaires

  • J'avoue que je ne prends pas assez garde aux auteurs... sauf si je dois en parler ici ou là, pour un tableau qui m'a attiré.
    Mais tu as raison, c'est un portraitiste de génie, et les tableaux que tu nous montres sont très beaux.
    Merci pour le partage.
    Passe une douce journée.

  • J’aime bien Perronneau. Son portrait de Gabriel Huquier, et celui de sa fille Marie-Anne, atteignent des sommets dans la technique du pastel. Le 18e fut un grand siècle pour cette technique que Rosalba Carriera avait vraiment bouleversée en venant à Paris.
    Je m’étais régalé en 2018 au Louvre dans la superbe expo sur les grands pastellistes français du musée du Louvre.
    Merci de ton passage.
    Belle journée.

  • Parce qu'ici d'autres lecteurs te suivent et pas nécessairement sur ta page FB, j'ai cru bon d'y déposer le même commentaire : tu peux évidemment l'éliminer si tu le souhaites..

    Sur ton blog, je me souviens parfaitement avoir croisé, au sein de la relation que tu rédigeas un jour suite à l'exposition des pastellistes au Louvre qu'en 2018 tu avais visitée, le nom de Perronneau qu'à vrai dire je connaissais peu ...
    Ce dont, à l'époque, je ne me souvins pas, c'est que dans la "Recherche" Marcel Proust ne le mentionna incidemment que deux fois dans une longue et brillante réflexion à propos de la perception qu'ont de la peinture les "gens du monde", dans la scène où le héros du roman a l'infime honneur d'admirer les toiles d'Elstir chez le duc de Guermantes (dans " Le Côté de Guermantes"). Voici cet extrait :

    " Les gens qui détestaient ces « horreurs » s’étonnaient qu’Elstir admirât Chardin, Perronneau, tant de peintres qu’eux, les gens du monde, aimaient. Ils ne se rendaient pas compte qu’Elstir avait pour son compte refait devant le réel (avec l’indice particulier de son goût pour certaines recherches) le même effort qu’un Chardin ou un Perroneau, et qu’en conséquence, quand il cessait de travailler pour lui-même, il admirait en eux des tentatives du même genre, des sortes de fragments anticipés d’œuvres de lui. Mais les gens du monde n’ajoutaient pas par la pensée à l’œuvre d’Elstir cette perspective du Temps qui leur permettait d’aimer ou tout au moins de regarder sans gêne la peinture de Chardin. Pourtant les plus vieux auraient pu se dire qu’au cours de leur vie ils avaient vu, au fur et à mesure que les années les en éloignaient, la distance infranchissable entre ce qu’ils jugeaient un chef-d’œuvre d’Ingres et ce qu’ils croyaient devoir rester à jamais une horreur (par exemple l’Olympia de Manet) diminuer jusqu’à ce que les deux toiles eussent l’air jumelles. Mais on ne profite d’aucune leçon parce qu’on ne sait pas descendre jusqu’au général et qu’on se figure toujours se trouver en présence d’une expérience qui n’a pas de précédents dans le passé. "

  • Mais pourquoi éliminerais-je ton commentaire, Richard ? Je l’ai vu sur FB, je te réponds donc sur les deux.
    En 2018, j’avais effectivement visité la magnifique expo montrant les pastellistes français du musée du Louvre et j’avais parlé de Perronneau parmi beaucoup d’autres. Cette fois, j’ai pensé faire un article plus complet sur ce grand peintre.
    Proust dans ce passage de la Recherche fait allusion m’a-t-il semblé à l’évolution de présentation artistique dans le temps qui fait que l’écart de perception, en fonction des goûts de l’époque, entre plusieurs œuvres bien différentes dans le style, à tendance à s’amenuiser et disparaître. Des toiles considérées comme des « horreurs » à une période, comme celles de Manet ou d’autres impressionnistes, deviennent aujourd’hui des classiques admirés par tous comparés à la peinture moderne, et peuvent finir parfois par la rejoindre.
    Intéressante réflexion sur l’art dans le temps et la comparaison entre des œuvres de plusieurs époques.
    Il doit y avoir aussi une moquerie envers les gens du monde.
    Belle fin de journée.

  • C'est un réel bonheur de pouvoir ici ou là converser avec toi, Alain. Merci pour tout ce que tu m'as appris aux cours de toutes ces années, 12 ou 13 ans maintenant, et, surtout, pour avoir eu la patience et l'amabilité de me suivre quand j'ai décidé "d'abandonner" l'égyptologie pour ne plus me consacrer qu'à Marcel Proust. Belle soirée à toi, également ...

  • De longues années ont effectivement passé, Richard, depuis nos premiers articles. Et encore plus avec Fan… Ce fut de beaux échanges et tu m’as appris beaucoup dans des domaines comme l’égyptologie et la littérature de Proust que je connaissais mal.
    Il était facile de te suivre à nouveau avec Proust car tes articles sont toujours passionnants et passionnés. Et puis ce grand écrivain me ramène à une époque 19e/20e que j’apprécie le plus dans le monde des arts et littérature. Si j’ai pu également te faire partager ma passion pour la peinture j’en suis heureux.
    Merci pour tes mots qui me touchent.
    Beau week-end.

  • Oh je suis ravie que tu puisses m'intéresser à ce portraitiste que je ne connais pas!!il faut dire que je connais mieux Quentin de la Tour car il ne fut pas que portraitiste!!Je suis allée voir quelques vidéos, aussi, je vais aussi lui faire un post !! Bisous à toi FAN

  • Quentin de La Tour et Perronneau sont très proches en qualité, ce qui entraina leur rivalité. Ils étaient recherchés par les puissants à cette époque où tout le monde voulait son portrait.
    J’ai déjà fait un long article en 2018 sur Maurice Quentin de La Tour. Cette année là j’avais vu au Louvre sa « Marquise de Pompadour » qui venait d’être restaurée et est le chef-d’œuvre incontestable de cette période du 18e. Magnifique !
    Il va falloir que je change ton blog dans mes liens car il ne répond plus.
    Beau week-end.

  • ah, quand il évite les mièvreries pour bonbonnières, le pastel est vraiment LA technique reine pour le portrait, qui suggère le velouté et le toucher de la peau, en plus des infinies subtilités des carnations, comme dans le magistral portrait que tu as posté en premier. Merci, Alain, une fois de plus pour tes articles passionnants et passionnés

  • Ce portrait de Gabriel Huquier est un chef-d’œuvre de technique au pastel fait par un peintre de 32 ans.
    J’ai fait longtemps du pastel, technique qui me convenait à merveille pour sa souplesse d’utilisation, la qualité et la sensualité des couleurs. De plus, tout le monde peut l’utiliser sans crainte et obtenir des résultats satisfaisants. Seul inconvénient : la poussière qui est une des raisons qui m’ont fait arrêter.
    La peinture, pas n’importe laquelle, est ma grande passion, et j’aime la faire partager.
    Merci Emma.
    Heureux dimanche.

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