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Un Saint Sébastien au Louvre

 

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Georges de La Tour - Saint Sébastien soigné par Irène, 1649, musée du Louvre, Paris

 

     Un moment inoubliable !

    Je vous offre une confidence : une seule fois dans ma vie d’amateur d’art, je fus obligé de voir deux fois la même exposition : celle consacrée au peintre Georges de La Tour qui se tint au Grand Palais à Paris en 1998. La quasi totalité de l’œuvre connue de l’artiste était présente. Je vais vous conter la raison de ma seconde visite de l’expo.

 

 

     Je ressors le catalogue « Georges de La Tour » écrit par Jean Pierre Cuzin et Pierre Rosenberg, l’un des plus beaux et complets sur le maître de Lunéville.

   Redécouvert au début du 20e siècle, Georges de La Tour reste l’un des plus énigmatique de tous les grands peintres français. Il avait d’ailleurs une réputation établie à son époque puisqu’il se rendit à Paris à plusieurs reprises et Louis XIII lui acheta son tableau en largeur « Saint Sébastien soigné par Irène ». Cette toile a disparu. D’autres grands mécènes possédaient ses œuvres : Richelieu, Séguier ou Louvois.

 

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D’après Georges de La Tour - Saint Sébastien soigné par Irène (en largeur), 1630, Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas

 

     Par ses « clairs-obscurs », La Tour est souvent rattaché au caravagisme. Il n’avait que 17 ans quand Le Caravage mourut en 1610. Il connut obligatoirement les toiles du peintre italien qui circulaient à Nancy et en Lorraine et fut influencé par lui. Mais les clairs-obscurs du maître de Lunéville ne sont pas ceux du Caravage, plus durs, violents dans les contrastes de lumière. Chez La Tour, des harmonies de rouges, bruns et de blancs, douces, caractérisent sa palette.

     Aujourd’hui, la place de Georges de La Tour est devenue celle de l’un des grands artistes de son temps, proche des Vermeer, Hals, Vélasquez, Caravage et Rembrandt. Tout au long de sa carrière, il a peint des tableaux « diurnes » et « nocturnes » dont la datation a souvent donné lieu à controverse. Les « nocturnes » ou « nuits » semblent être apparus dans les dix dernières années de vie du peintre, après la guerre qui ravagea la Lorraine et Lunéville où il résidait.

 

   Je vais tenter maintenant de vous conter la raison de ma visite une seconde fois de l’exposition du Grand Palais. Un tableau exceptionnel était présent dans l’exposition. Il interrogea beaucoup les historiens d’art. Et moi encore plus…

 

     Pour mieux comprendre cette histoire, je dois vous parler en premier du « Saint Jean-Baptiste dans le désert » œuvre récemment découverte en 1993 par Pierre Rosenberg et achetée pour le département de la Moselle afin de constituer le noyau d’un musée Georges de La Tour à Vic-sur-Seille où est né l’artiste.

 

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Georges de La Tour - Saint Jean-Baptiste dans le désert, 1649, Conseil Général de la Moselle

 

     Curieux tableau très peu coloré, sans les tons rougeâtres des toiles habituelles du maître. Un adolescent presque nu est assis dans la pénombre, donnant à manger à un agneau. Un peu de lumière tombe sur son épaule.

     Par sa qualité lumineuse, les historiens s’accordent à penser que La Tour « rencontra » réellement le Caravage dans ce tableau sans chandelle, simple effet de clair-obscur. Jean Pierre Cuzin parle « d’une qualité de silence bouleversante, d’une émotion toute intérieure, sur qui va retomber la nuit. »

    Ce tableau présente des similitudes avec le « Saint Sébastien soigné par Irène » en Hauteur sur lequel je reviens ci-dessous. Après maintes hésitations, les spécialistes ont conclu définitivement qu’il s’agissait d’un tableau des derniers temps de l’artiste vers 1649 –1651. Il mourra l’année suivante. Ce chef-d’œuvre clôturerait ainsi le corpus du maître.

 

     Le tableau exceptionnel qui fut la cause de ma seconde visite de l’exposition est le « Saint Sébastien soigné par Irène » dit aussi « Saint Sébastien en hauteur ». Je vous conte l’histoire de ce chef-d’oeuvre qui est installé au Louvre.

    Une seule version de cette toile était connue, celle de la Gemäldegalerie de Berlin, que l’on considérait comme un original jusqu’à la découverte d’une seconde version en 1945 dans une petite église de Bois-Anzeray, dans l’Eure.

 

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Georges de La Tour - Saint Sébastien soigné par Irène (en hauteur), 1649, Gemäldegalerie Berlin

 

     Depuis, les experts ont démontré clairement que le tableau parisien, en mauvais état, est bien un original du maître. Plusieurs restaurations ont permis de retrouver d’importants repentirs dans le voile rose de la femme tenant la torche, dans son décolleté, dans le turban de la pleureuse et les bras du saint. Un détail important l’emporte sur la toile de Berlin : du bleu de lapis-lazuli recouvre le voile de la femme au centre de la toile derrière la pleureuse, en arrière-plan. Dans le tableau de Berlin ce même voile, peint avec un autre pigment, a noirci.

 

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Georges de La Tour - Saint Sébastien soigné par Irène (en hauteur), 1649, musée du Louvre, Paris

 

     Il fallait une confrontation ! Elle avait déjà eu lieu lors de l’exposition à l’Orangerie en 1972, celle de 1998 n’a fait que confirmer la première. Dans le tableau du Louvre, la finesse de l’exécution, la beauté de l’ensemble se fondant dans une harmonie en rose saumon, ainsi que ce bleu dans le voile contrastant avec les autres tonalités ont fini par emporter les spécialistes dans un accord unanime. La supériorité du tableau parisien du Louvre était évidente à l’oeil. Il semblerait que la toile de Berlin serait une très belle copie faite par Etienne, le fils de La Tour, et complétée par le maître, d’après l’œuvre originale.

    Ces deux toiles, avec le « Saint-Jean Baptiste dans le désert » récemment découvert, pourraient dater de la même époque, vers 1649. Leur style proche laissant ressentir la même émotion.

 

     VOILÀ POURQUOI j’ai voulu revoir les deux toiles du Saint Sébastien en hauteur qui étaient exposées côte à côte au Grand Palais. J’ai passé un long moment pour tenter de me faire ma propre opinion. L’émotion, comme de celle mes voisins dans l’exposition, ne me laissait aucun doute. La toile du Louvre apparaissait, de par ses transparences, la douceur de l’exécution, la fluidité des couleurs, comme une œuvre de la maturité du peintre, l’une des dernières d’un artiste au sommet de sa carrière.

     À vous de juger !  

 

    

Commentaires

  • Oh, je suis d'accord avec toi, le tableau exposé au Louvre est beaucoup plus intéressant sur le plan des couleurs et du clair-obscur!! Je ne connaissais pas ST Jean Baptiste dans le désert!!! très jeune avec des cheveux longs!! Merci à toi pour ces jolies nuances!!Bisous Fan

  • Je pense maintenant, Fan, que tu as compris les raisons de ma deuxième visite au Grand Palais. Je voulais voir les deux toiles de nouveau ensemble. Tu ne peux savoir à quel point l’émotion des visiteurs était intense en contemplation devant ces deux chef-d’œuvres, aussi beaux l’un que l’autre. Mais, nul doute, à l’œil, celui du Louvre était largement au-dessus de celui de Berlin en qualité comme je l’explique dans ma note. Un grand moment pour moi.
    Ce « Saint Jean-Baptiste dans le désert » est étonnant. Totalement inconnu début 20e, suite au décès d’un parisien, un commissaire-priseur l’évalue à 1500 francs en 1992. Il est mis aux enchères à Drouot où les spécialistes pensent qu’il s’agit d’un La Tour. Finalement, il est vendu chez Sotheby’s à Monaco et l’Etat français le récupère pour le département de la Moselle, lieu de naissance du peintre. Le personnage aux cheveux longs a un côté féminin et serait l’une des toutes dernières toiles de l’artiste.
    Très belle journée à toi, Fan

  • passionnant, Alain, comme toujours, merci - quelle chance que ces magiciens de la lumière et clairs obscurs n'aient pas connu l’électricité !

  • Oh oui Emma ! On ne retrouvera jamais le charme discret de la bougie qui permit ces effets lumineux en intérieur.
    La Tour c'est beau, mais quel travail et temps passé pour arriver à ce niveau de perfection. Cela m'a permis de retourner voir cette expo deux fois sans me lasser tellement le plaisir était constant.
    Merci de ta visite Emma.

  • Bonsoir Alain,
    Je me suis laissée emporter par la Magie!
    J'ai depuis l'enfance quelque chose de très réactif face à ces éclairages à la chandelle et j'adore les mises en scène de Georges de La Tour alors je vous ai suivi, avec grand plaisir!
    Imaginant être petite souris pour contempler la texture incroyable de ces oeuvres de spiritualité ardente...
    En effet, je comprends que vous ayez fait cette deuxième visite...
    Que dire si ce n'est qu'on reste "esbaudis" devant de tels morceaux de bravoure, peu importent les modulations de l'éclairage...
    C'est comme si la lumière et les ombres se réinventaient à chaque regard...
    Merci pour votre magnifique et passionnant partage
    Bien amicalement!
    Cendrine

  • Oui, Cendrine, La Tour est bien un magicien qui ensorcelle.
    Nous avons un peu les mêmes goûts en peinture, et vos toiles du samedi sont toujours splendides. Vous publiez souvent des peintres préraphaélites que j’aime. Je ne connais pas celui que vous publiez ce matin qui connut une époque de grande créativité picturale, sans ressembler lui-même aux avant-gardistes.
    La toile du Saint Sébastien en hauteur est exceptionnelle. J’étais subjugué au Grand Palais devant ces deux tableaux du Louvre et celui de Berlin, d’un niveau inférieur, et pourtant très beau aussi.
    Cela me fait repenser à ma découverte de Vermeer et ses deux petits tableaux du Louvre. Je publie d’ailleurs à la fin du mois un deuxième recueil de nouvelles qui aura pour titre « Deux petits tableaux ».
    La Tour peignit un autre Saint Sébastien en largeur que Louis XIII acheta, aujourd’hui disparu, dont je montre une belle copie au début de l’article. J’aurais aimé comparer l'original avec celui en hauteur.
    J’espère, Cendrine, que ce mini-confinement n’est pas trop difficile pour vous. Le printemps arrive.
    Très beau week-end à vous.

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