Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Un modèle de Swann

 

peinture, écriture, swann, proust

Jacques-Emile Blanche – Portrait de Marcel Proust, 1892, musée d’Orsay, Paris

 

 

    Richard Lejeune qui a arrêté de publier depuis quelques mois dans son excellent site ÉGYPTOMUSÉE, se consacre désormais à l’étude de l’œuvre de l’écrivain Marcel Proust. Il se trouve qu’il m’a fait connaître récemment par mail un texte passionnant tiré d’un ouvrage Proust et ses peintres publié en 2000 au Pays-Bas sous la direction de Sophie Bertho.

     L’auteur de ce texte se nomme Kazuyoshi Yoshikawa et est Professeur à l’Université de Tokyo. Il étudie depuis plusieurs années l’œuvre de Marcel Proust.

    Selon ce professeur japonais, un banquier fortuné, critique d’art, nommé Charles Ephrussi, aurait directement inspiré le personnage de Swann dans la A la recherche du temps perdu de Proust.

     Cette histoire m’a intéressé. J’ai eu envie de consacrer un article à Charles Ephrussi et au rôle qu’il tient dans le roman.

   L’analyse que je présente, basée sur l’étude du professeur Kazuyoshi Yoshikawa, peut paraître un peu complexe sur l’œuvre de Proust. J’ai fait de mon mieux pour la présenter de façon claire.

   Bonne lecture, peut-être en buvant une tasse de café, à moins que la bière… Richard me fera certainement remarquer et rectifier mes erreurs éventuelles.

 

 

CHARLES EPHRUSSI

 

   Que vient faire le personnage de Charles Ephrussi dans la Recherche ? Qui était-il ?

  Charles Ephrussi était un banquier, collectionneur, critique d’art et mécène. Cet amateur de peinture occupait une place importante dans le petit monde des amateurs d’art de la fin du 19ème–début 20ème siècle. Directeur de la « Gazette des Beaux-Arts », il aurait connu Proust dans les salons qu’il fréquentait et aurait initié celui-ci, déjà grand amateur d’art, au monde des Beaux-Arts en lui permettant de publier des articles. Comme collectionneur et critique d’art, Charles Ephrussi fréquentait les peintres contemporains, dont Degas, Manet, Puvis de Chavannes et Renoir dont il possédait plusieurs tableaux dans sa collection.

 

 

PERSONNAGES DE LA « RECHERCHE » PRÉSENTANT UN LIEN AVEC CHARLES EPHRUSSI

 

    Les deux personnages qui nous intéressent sont présents constamment dans chacun des sept livres de la Recherche.

    ELSTIR : Il s’agit d’un peintre renommé. Il va devenir l’ami de Swann. Ses tableaux trônent dans les plus grands hôtels particuliers du faubourg Saint-Germain dont celui du duc de Guermantes qui possède de nombreuses toiles décorant ses salons.

  CHARLES SWANN : Il s’agit du deuxième personnage le plus important de la Recherche. Dandy fortuné, fin connaisseur des arts, il fréquente les plus grandes familles de l’aristocratie parisienne. Il possède un charme ironique qui plaît au narrateur qui se reconnaît un peu en lui.

 

 

LE CÔTÉ DE GUERMANTES (3ème livre de l’œuvre)

 

   Toute l’œuvre de Marcel Proust dans la Recherche abonde constamment de références picturales.

     L’étude du professeur Kazuyoshi Yoshikawa s’attache à démontrer le lien qui existe entre le personnage de Swann et le collectionneur Charles Ephrussi. Les extraits du roman qui sont l’objet de cette étude sont pour la plupart situés dans le troisième livre de la Recherche : Le Côté de Guermantes.

    Dans ce livre, un long paragraphe nous intéresse particulièrement : le narrateur, invité à dîner pour la première fois chez le duc de Guermantes, se met à table après avoir admiré les nombreux tableaux d’Elstir que possède les Guermantes.

     Avant d’analyser les différents passages de ce texte, et afin de mieux les comprendre et les expliquer, je montre le texte en entier ci-dessous. Voici les paroles que les Guermantes adressent au narrateur :

 

« — Tenez, justement, me dit Mme de Guermantes en attachant sur moi un regard souriant et doux et parce qu’en maîtresse de maison accomplie elle voulait, sur l’artiste qui m’intéressait particulièrement, laisser paraître son savoir et me donner au besoin l’occasion de faire montre du mien, tenez, me dit-elle en agitant légèrement son éventail de plumes tant elle était consciente à ce moment-là qu’elle exerçait pleinement les devoirs de l’hospitalité et, pour ne manquer à aucun, faisant signe aussi qu’on me redonnât des asperges sauce mousseline, tenez, je crois justement que Zola a écrit une étude sur Elstir, ce peintre dont vous avez été regarder quelques tableaux tout à l’heure — les seuls du reste que j’aime de lui, ajouta-t-elle. En réalité, elle détestait la peinture d’Elstir, mais trouvait d’une qualité unique tout ce qui était chez elle. Je demandai à M. de Guermantes s’il savait le nom du monsieur qui figurait en chapeau haut de forme dans le tableau populaire, et que j’avais reconnu pour le même dont les Guermantes possédaient tout à côté le portrait d’apparat, datant à peu près de cette même période où la personnalité d’Elstir n’était pas encore complètement dégagée et s’inspirait un peu de Manet. « Mon Dieu, me répondit-il, je sais que c’est un homme qui n’est pas un inconnu ni un imbécile dans sa spécialité, mais je suis brouillé avec les noms. Je l’ai là sur le bout de la langue, monsieur… monsieur… enfin peu importe, je ne sais plus. Swann vous dirait cela, c’est lui qui a fait acheter ces machines à Mme de Guermantes, qui est toujours trop aimable, qui a toujours trop peur de contrarier si elle refuse quelque chose ; entre nous, je crois qu’il nous a collé des croûtes. Ce que je peux vous dire, c’est que ce monsieur est pour M. Elstir une espèce de Mécène qui l’a lancé, et l’a souvent tiré d’embarras en lui commandant des tableaux. Par reconnaissance — si vous appelez cela de la reconnaissance, ça dépend des goûts — il l’a peint dans cet endroit-là où avec son air endimanché il fait un assez drôle d’effet. Ça peut être un pontife très calé, mais il ignore évidemment dans quelles circonstances on met un chapeau haute forme. Avec le sien, au milieu de toutes ces filles en cheveux, il a l’air d’un petit notaire de province en goguette. Mais dites donc, vous me semblez tout à fait féru de ces tableaux. Si j’avais su ça, je me serais tuyauté pour vous répondre. Du reste, il n’y a pas lieu de se mettre autant martel en tête pour creuser la peinture de M. Elstir que s’il s’agissait de « la Source » d’Ingres ou des « Enfants d’Édouard » de Paul Delaroche. Ce qu’on apprécie là dedans, c’est que c’est finement observé, amusant, parisien, et puis on passe. Il n’y a pas besoin d’être un érudit pour regarder ça. Je sais bien que ce sont de simples pochades, mais je ne trouve pas que ce soit assez travaillé. Swann avait le toupet de vouloir nous faire acheter une « Botte d’Asperges ». Elles sont même restées ici quelques jours. Il n’y avait que cela dans le tableau, une botte d’asperges précisément semblables à celles que vous êtes en train d’avaler. Mais moi je me suis refusé à avaler les asperges de M. Elstir. Il en demandait trois cents francs. Trois cents francs une botte d’asperges ! Un louis, voilà ce que ça vaut, même en primeurs ! Je l’ai trouvée roide. Dès qu’à ces choses-là il ajoute des personnages, cela a un côté canaille, pessimiste, qui me déplaît. Je suis étonné de voir un esprit fin, un cerveau distingué comme vous, aimer cela. »

 

 

ANALYSE D’APRÈS L’ÉTUDE DU PROFESSEUR KAZUYOSHI YOSHIKAWA

 

 

1. Manet et ses asperges

 

peinture,swann,proust,manet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Edouard Manet – Bouquet d’asperges, 1880, Walhaf-Richartz Museum, Cologne

 

 

peinture,swann,proust, manet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Edouard Manet – L’asperge, 1880, Musée d’Orsay, Paris

 

« Swann avait le toupet de vouloir nous faire acheter une « Botte d’Asperges ». Elles sont même restées ici quelques jours. Il n’y avait que cela dans le tableau, une botte d’asperges précisément semblables à celles que vous êtes en train d’avaler. Mais moi je me suis refusé à avaler les asperges de M. Elstir. Il en demandait trois cents francs. Trois cents francs une botte d’asperges ! Un louis, voilà ce que ça vaut, même en primeurs ! »

 

     A la fin de ce long texte, le duc de Guermantes fait une allusion aux asperges. Les lecteurs connaissant l’art reconnaitrons facilement qu’il s’agit du Bouquet d’asperges d’Edouard Manet peint en 1880. Proust incite donc le lecteur à deviner que le tableau peint par Elstir fait référence à la toile de Manet. Ainsi il laisse reconnaître dans le personnage d’Elstir, Manet lui-même.

     Dans cette histoire d’asperges, Charles Ephrussi apparaît pour la première fois. Il se trouve que, en 1880, c’est lui qui commande à Manet un tableau représentant une botte d'asperges ; il est si content du tableau qu'au lieu de verser les 800 francs convenus (et non les 300 francs dans le récit de Proust), il envoie 1 000 francs à Manet qui, en remerciement, lui adresse huit jours plus tard une petite toile représentant une seule asperge accompagnée de ce message : « Il en manquait une à votre botte ». Charles Ephrussi fit donc l’acquisition des deux tableaux de Manet représentant des asperges.

     Il paraît donc probable que, à la fin du siècle, Proust vit les deux toiles d’asperges chez Ephrussi. Il n’avait plus qu’à insérer le tableau de la botte d’asperges dans son livre Le Côté de Guermantes et ainsi laisser sous-entendre un lien entre le personnage d’Elstir et le peintre Edouard Manet.

 

 

2. Zola et ses critiques annuelles du Salon

 

« (…) tenez, je crois justement que Zola a écrit une étude sur Elstir, ce peintre dont vous avez été regarder quelques tableaux tout à l’heure. » 

     La duchesse parlant d’un écrit de Zola sur une étude d’Elstir fait donc référence à la longue critique que Zola dans son compte-rendu du Salon de 1867 fit à Edouard Manet.

 

 

3. Les paysages de Claude Monet

 

   Il apparaît que Proust vit d’autres tableaux chez le collectionneur. Une preuve le démontre : le superbe passage, ci-dessous, qu’il écrivit dans Jean Santeuil  en 1895 en songeant sans aucun doute à Matinée sur la Seine, près de Giverny peint en 1897 par Claude Monet.

     Ce tableau appartenait lui aussi au tournant du siècle à Charles Ephrussi. La note entre parenthèses à la fin du texte du nom de Charles Ephrussi comme propriétaire du tableau démontre bien que Proust l’avait vu.

« (…) voyez le reflet bleu des bois, le reflet bleu du ciel, voyez comme tout se tait, comme l’eau peinture,swann,proust,Monetécoute le silence des rives, comme tout s’amortit, comme tout est bleu et déjà un peu sombre à l’ombre bleue des bois sur l’eau, tandis qu’au milieu,  dans le reflet bleu du ciel, de la lumière persiste encore, en dernier reflet (chez Ch. Ephrussi). » - Jean Santeuil

 

 

 

 

Claude Monet – Matinée sur la Seine près de Giverny, 1897

 

 

4. Les canotiers de Renoir

 

    Dans le même paragraphe dans Le côté de Guermantes, tandis que le narrateur mange des asperges, il est question dans la conversation d’un autre tableau d’Elstir.

« (…) Je demandai à M. de Guermantes s’il savait le nom du monsieur qui figurait en chapeau haut de forme dans le tableau populaire, et que j’avais reconnu pour le même dont les Guermantes possédaient tout à côté le portrait d’apparat, datant à peu près de cette même période où la personnalité d’Elstir n’était pas encore complètement dégagée et s’inspirait un peu de Manet. »

     Et plus loin dans la phrase : « ce monsieur est pour M. Elstir une espèce de Mécène qui l’a lancé, et l’a souvent tiré d’embarras en lui commandant des tableaux. Par reconnaissance — si vous appelez cela de la reconnaissance, ça dépend des goûts — il l’a peint dans cet endroit-là où avec son air endimanché il fait un assez drôle d’effet. Ça peut être un pontife très calé, mais il ignore évidemment dans quelles circonstances on met un chapeau haute forme. Avec le sien, au milieu de toutes ces filles en cheveux, il a l’air d’un petit notaire de province en goguette. »

     Certains spécialistes de l’art ont cru reconnaître dans ce passage la toile de Renoir La Grenouillère peinte en 1869 sur les bords de Seine dans l’île de Croissy.

     Finalement, les commentateurs semblent s’accorder pour affirmer que Proust a écrit ce passage avec « un monsieur en haut de forme au milieu de filles en cheveux » d’après Le Déjeuner des canotiers peint pas Auguste Renoir en 1881.

 

peinture,swann,proust, Renoir

Auguste Renoir – Le Déjeuner des canotiers, 1881, Philipps collection, Washington

 

     Cette toile est l’une des plus belles et des plus connues de Renoir. Elle représente des amis du peintre assis par une belle journée d’été sur la terrasse du restaurant Fournaise sur l’île de Chatou, non loin de l’île de Croissy évoquée précédemment.

     Les personnages principaux de la toile sont au premier plan : Aline Charigot, la compagne et future femme du peintre, fait la moue à un petit chien griffon hirsute assis sur la table ; sur la gauche, debout, immense avec son chapeau de paille, Alphonse, le fils Fournaise, domine de ses bras puissants et sa haute stature le fleuve derrière lui.

     Si l’on s’attarde sur le fond du tableau, on aperçoit diverses relations du peintre ou despeinture,swann,proust, renoir habitués du restaurant. Un homme en jaquette tourne le dos au convive et porte comme le dit Proust un « chapeau en haut de forme ». Charles Ephrussi en haut de forme causant avec le poète Jules Laforgue apparaît dans le tableau peint par l’artiste.

 

 

 

 

 

 

Récapitulons

 

     Charles Ephrussi, dont nous venons de voir qu’il possédait « La botte d’asperges » d’Edouard Manet et le paysage de Claude Monet, et qui figure en costume et coiffé d'un haut-de-forme noir discutant avec le jeune poète Jules Laforgue dans la toile de Renoir, était, à cette époque, une sorte de mécène du peintre et contribua à le lancer. Il lui achetait des tableaux et en faisait acheter à ses amis. Certainement par reconnaissance, l'artiste l’a rajouté dans le tableau en chapeau haut de forme.

     Continuons la lecture d’un passage du roman. Le narrateur interroge le duc de Guermantes sur l’identité de ce « monsieur en haut de forme ». Le duc lui répond embarrassé : « Mon Dieu, me répondit-il, je sais que c’est un homme qui n’est pas un inconnu ni un imbécile dans sa spécialité, mais je suis brouillé avec les noms. Je l’ai là sur le bout de la langue, monsieur… monsieur… enfin peu importe, je ne sais plus. Swann vous dirait cela (…) » Et le duc continue encore « ce monsieur est pour M. Elstir une espèce de Mécène qui l’a lancé (…) »

     « Swann vous dirait cela » Lorsqu’il est question de la peinture d’Elstir d’un personnage en haut de forme, Proust semble vouloir exciter la curiosité des lecteurs quant à la véritable identité de ce personnage en haut de forme qui n’est autre que Charles Ephrussi dans la pensée de l’écrivain… C’est à dire Swann dans le roman…

 

 

5. Un Ephrussi de Bonnat

 

     Nous n’en avons pas fini avec Charles Ephrussi

   La question de l’identité de l’homme au chapeau haut de forme s’était déjà posée dans le roman, quelques 80 pages plus haut : « Je fus émus de retrouver dans deux tableaux (plus réalistes, ceux-là, et d’une manière antérieure) un même monsieur, une fois en frac dans son salon, une autre fois en veston et en chapeau haut de forme dans une fête populaire au bord de l’eau (…) ».

    Comme nous venons de le démontrer, il était relativement facile d’identifier « le monsieur en haut de forme » que nous retrouvons dans Le déjeuner des canotiers. Il est plus difficile d’identifier le « monsieur en frac dans son salon ». Plusieurs tableaux ont été avancés comme pouvant correspondre à ce personnage, sans être vraiment convaincants.

   Il semblerait, selon le professeur Kazuyoshi Yoshikawa, que le portrait qui correspondrait le mieux serait, encore une fois, celui de l’homme dont nous parlons sans cesse depuis le début : Charles Ephrussi. Vers 1895, Léon Bonnat aurait peint un Portrait de Charles Ephrussi. Dans le tableau on voit un grand homme barbu correspondant à « un monsieur en frac ».

 

peinture,swann,proust, Bonnat

Léon Bonnat – Portrait de Charles Ephrussi, 1895, collection particulière

 

    Proust connaissait sans doute ce portrait d’Ephrussi par Bonnat. Il y fait allusion dans son pastiche de Ruskin écrit en 1909, au "Chauchard de Léon Bonnat" (Chauchard est le fondateur des magasins du Louvre). De plus, dans Le salon de la Princesse Mathilde publié en 1903 dans « Le Figaro », Proust cite comme invités du salon à la fois Bonnat et Ephrussi. Proust connaissait donc forcément Bonnat et Ephrussi, familiers, comme Proust, du salon de la Princesse Mathilde.

     À la fin du siècle, à l’époque où Proust voit chez Ephrussi des tableaux de Manet et de Monet, ce portrait d’Ephrussi peint en 1895 par Bonnat se trouvait sans doute chez le modèle. Proust avait donc toutes les chances de le voir avant la mort d’Ephrussi.

 

 

CONCLUSION

 

     J’ai tenté de retranscrire le plus clairement possible l’étude faite par le professeur Kazuyoshi Yoshikawa. J'espère que vous avez suivi...

     À travers différents tableaux, et plusieurs allusions sur les personnages introduites dans le roman de Marcel Proust, l’étude du professeur nous ramène constamment à la même personne : Charles Ephrussi.

     Ephrussi ayant initié Proust au monde des beaux-arts et lui ayant permis de publier dans sa revue « La Gazette des Beaux-Arts », l’écrivain le considérait comme un mécène. Ainsi, de la même façon que Renoir avait peint, pour le remercier, son mécène de dos dans Le déjeuner des canotiers, Proust, en guise de reconnaissance, aurait donc inséré le personnage de Charles Ephrussi dans son roman.

     Charles Ephrussi était juif comme Marcel Proust. Dans le passage allusif à Ephrussi dans Le Côté de Guermantes Proust a sans doute voulu faire apparaître la solitude d’un mondain juif dans les salons parisiens du tournant du siècle. Ce fut bien aussi le destin de l’auteur de la Recherche dans cette période d’antisémitisme latent et de déclenchement de l’affaire Dreyfus.

 

     Il apparaît donc bien dans cette étude que Charles Ephrussi aurait pu fournir ses traits pour le personnage de Charles Swann, grand amateur d’art, dans la Recherche, à commencer par son prénom et sa judéité.

 

    Merci à Richard Lejeune de m'avoir fait connaître cette étude de l'oeuvre de Marcel Proust.

 

 

Commentaires

  • J'ai tout lu!!! Très intéressante analyse par rapports aux tableaux!!! Perso, Marcel Proust m'a quelque peu ennuyé avec ces grands phrases haut perchées!!Sur Google, je viens de découvrir son " questionnaire"!! Merci Alain, grâce à toi,suis allée chercher Marcel Proust en 2019!!J'espère que Richard nous éclairera aussi!!!Bisous Fan

  • On aime ou pas les grandes phrases un peu monotones de Proust, Fan, j’avais moi aussi eu un problème dans mes premières lectures, mais une fois que notre oreille s’est faite à la mélodie de l’écrivain, tout devient plus facile. Ensuite on devient admiratif…
    Je n’ai pas lu, ou en partie, le questionnaire.
    La réponse de Richard sur l’étendue des connaissances picturales de Proust complète superbement mon article. Il est vrai qu’il est ou va devenir un grand spécialiste de l’écrivain.
    Belle journée

  • Tout d'abord : bravo et merci Alain pour ce compte rendu de l'article du Professeur Kazuyoshi Yoshikawa qu'il m'avait semblé intéressant de te faire découvrir parce qu'il y faisait allusion au "Déjeuner des canotiers", de Renoir, oeuvre que tu avais ici même magistralement analysée le 28 janvier 2018.

    Mais pourquoi donc penser que tu es susceptible de commettre de quelconques erreurs qu'il me serait nécessaire de corriger ?? Rassure-toi : tu n'as nul besoin de qui que ce soit en guise de professeur-censeur !!
    Ta judicieuse analyse est remarquablement claire !! Et ne comporte aucune erreur !!

    Autorise-moi simplement à replacer l'étude de départ que je t'ai fournie dans un contexte plus large qui te permettra, ainsi qu'à tes lecteurs, de mieux appréhender les recherches à mes yeux extrêmement intéressantes du Professeur Yoshikawa pour comprendre la génétique de l'oeuvre proustienne.

    Toute personne qui lit "À la Recherche du temps perdu", en commençant bien normalement par "Du côté de chez Swann", ne peut que s'étonner de l'abondance de passages imposants, de phrases, d'allusions, voire de simples métaphores faisant peu ou prou allusion à la peinture, laquelle constitua, avec la musique et la littérature, un des arts qui forgèrent les théories sur l'Esthétique qui traversent toute son oeuvre car déjà latentes dans "Jean Santeuil" ou dans "Contre Sainte-Beuve" qui, on le sait maintenant, furent le berceau même du chef-d'oeuvre absolu qu'est la "Recherche".
    Car c'est précisément dans ses premières années d'écriture, quand il n'était pas encore cloîtré dans sa chambre de malade pour rédiger, allongé dans son lit, les différents volumes, qu'il fréquenta le monde où il puisa un extraordinaire terreau.

    Le Musée du Louvre, d'abord, où très jeune déjà, il s'initia à la peinture en découvrant notamment Rembrandt et Chardin, sur lesquels il écrivit des pages admirables.

    Il rendit également compte, - ou tira profit pour son éducation artistique -, de grandes expositions que l'on commençait alors à organiser : ceux qui comme toi connaissent le célébrissime passage de "La Prisonnière" narrant la mort de l'écrivain fictif Bergotte devant le "petit pan de mur jaune" de la "Vue de Delft", de Vermeer, ne doivent pas ignorer que c'est à la suite de sa visite à l'exposition " Primitifs flamands" consacrée à la peinture hollandaise au Musée du Jeu de Paume, à Paris, en mai 1921, il décéda d'ailleurs 18 mois plus tard en novembre 1822, que Proust rédigea celle de Bergotte.

    Une autre importante source de ses connaissances picturales réside dans les visites qu'il effectua dans divers autres pays : à Amsterdam, en 1898 pour y admirer une grande exposition dédiée à Rembrandt ; à l'Académie de Venise où, en 1900, il s'extasia devant la série des tableaux de Carpaccio narrant la vie de sainte Ursule ou chez nous, en Belgique, à Bruges exactement pour y voir, en 1902, l'exposition des "Primitifs flamands" où il s'offrit l'unique occasion de découvrir trois immenses chefs d'oeuvre de Breughel : "L'Adoration des mages", "Le Pays de cocagne" et "le Dénombrement de Bethléem, à propos desquels il rédigea bien plus tard des passages pour la "Recherche".

    C'est à cette époque aussi, - "entre deux siècles" -, comme l'indique le titre d'un remarquable ouvrage d'Antoine Compagnon que furent aussi organisées des expositions rétrospectives d'artistes disparus, récemment décédés : Whistler, en 1905 - dont Proust choisira plusieurs lettres du nom pour anagrammatiquement constituer celui de son peintre fictif Elstir -, et Gustave Moreau dont il vit les œuvres à la Galerie Georges Petit accueillant, outre la collection du Musée du Luxembourg, à Paris, des toiles prêtées par l'une ou l'autre de ses amies personnelles : la comtesse Greffulhe, - qui fut un des modèles de la duchesse de Guermantes dans la "Recherche" -, mais aussi Madame Straus, veuve du compositeur Georges Bizet.

    Enfin, dernière source constituant "l'écolage" de Marcel Proust en matière de peinture, - et là, j'en arrive à ton excellent article, Alain -, l'amitié qu'il entretint avec de grands collectionneurs privés : Rodolphe Kann, René Gimpel, Charles Hayem et ce Charles Ephrussi, propriétaire notamment de toiles de Manet, de Monet, de Renoir, sur lequel tu as eu la bonne idée d'aujourd'hui te pencher.

    Tout en rédigeant ce présent long commentaire, fruit de ma lecture d'articles du Professeur Yoshikawa, je me dis que, finalement, c'est paradoxalement grâce à ce milieu de la grande bourgeoisie, voire de l'aristocratie qu'il fréquenta jeune homme, milieu dont pourtant dans son oeuvre il se gaussa des travers, que Proust approcha l'art pictural qui lui permit de brosser tout au long de son oeuvre une véritable et panoramique synthèse romancée de l'art de son époque.

  • En premier, j’ai rectifié les paragraphes indiqués dans ton 2ème commentaire et l’ai ensuite supprimé. Plus simple…
    Merci de me faire remarquer la clarté de mon article. Cela m’a pris du temps et m’a rappelé ma vie professionnelle dans laquelle j’étais souvent amené à faire de longues analyses de ce genre dans d’autres domaines. J’ai toujours aimé çà, pas mes yeux...
    J’ai fait de mon mieux pour retranscrire cette étude du professeur qui était particulièrement complexe sur la psychologie de Proust concernant le personnage de Swann et son lien avec Charles Ephrussi.
    J’ai pu me rendre compte en étudiant ce passage de l’œuvre de la richesse du travail de Proust dans ses écrits et de ses grandes connaissances en matière picturale. Bien évidemment, je le savais déjà avec ce passage de « La Prisonnière » narrant la mort de Bergotte devant la « Vue de Delft » de Vermeer en visitant l’expo du Jeu de Paume : « Il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune ».
    J’utiliserai peut-être ce passage de Proust dans la quatrième de couverture d’un prochain recueil de nouvelles.
    Tu me fais connaître les expositions visitées par Proust, grand amateur d’art, ce qui lui permettait d’agrandir ses connaissances et d’être lui-même critique d’art parfois.
    Concernant le peintre fictif Elstir, je savais que ce nom était en rapport avec celui du peintre Whistler (celui-ci figurera dans mon prochain recueil à l’automne).
    Dans tes explications, on s’aperçoit que ses fréquentations des salons, qui étaient nombreux à cette époque, et dont il était friand, lui ont permis de connaître les grands collectionneurs, dont Charles Ephrussi qui en faisait partie.
    J’ai été très intéressé de découvrir dans cette étude la façon dont Proust a utilisé dans son œuvre les tableaux possédés par Charles Ephrussi qu’il devait bien connaître compte tenu de ses rapports avec ce personnage. Et puis j'ai retrouvé le magnifique "Déjeuner des canotiers" de Renoir.
    Encore merci pour ses compléments sur la qualité des connaissances picturales de l'écrivain.
    Belle journée

  • Merci Alain d'avoir rebondi sur l'article du Professeur Yoshikawa que je t'avais envoyé en pensant qu'il devrait t'intéresser pour rédiger ton présent article et d'ainsi indirectement m'inviter à nos échanges actuels, ici ou sur ta page FB ; échanges qui, tu t'en doutes, ne peuvent que me passionner !

  • J’ai hésité à écrire cet article, Richard. Je savais que cela me prendrait du temps pour en faire un texte facilement compréhensible même si cela restait complexe.
    Finalement j’ai aimé la façon subtile de l’écrivain d’introduire dans ses textes des allusions diverses se rapportant à des peintres pour, en bout de course, atterrir sur le personnage de Charles Ephrussi. Sans oublier cette présentation, par l’intermédiaire de Swann, de sa solitude de juif mondain mal à l’aise dans un climat souvent antisémite à cette époque.
    Je me doutais bien que ces échanges te passionneraient.

  • Tout cela me conforte dans l'idée que quel que soit l'artiste ou l'écrivain, on ne crée rien sans rien...
    Passionnants échanges dans tes commentaires. Merci !
    J'ai bien aimé ta page, Alain. Passe une douce journée.

  • Oui, il faut de l'imagination et beaucoup de matériel pour faire une oeuvre comme celle de Proust. J'espère que mon analyse a été suffisamment claire pour permettre de comprendre quels sont les divers éléments qui ont nourri le travail de l'écrivain.
    Avec Richard nos échanges ont toujours été de qualité depuis que l'on se connait. Je suis heureux que tu aies apprécié.
    Je t'envoie un brin de muguet par la pensée.
    Très belle journée Quichottine.

  • Si votre analyse a été claire... mais bien sûr Alain!
    Très belle "collaboration" entre l'esprit d'un immense écrivain et la passion de professeurs, d'amateurs éclairés et de lecteurs assoiffés de délicieuse littérature.
    Merci à vous, amitiés
    Cendrine

  • Si vous l'avez trouvé claire, Cendrine, c'est que j'ai réussi ce que je voulais faire.
    Cela m'a permis de mieux comprendre la pensée de Proust et de retrouver dans le personnage de fiction Swann un grand collectionneur d'art du 19e.
    Beau Week-end.

Écrire un commentaire

Optionnel