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Genèse de l'impressionnisme

 

10. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 3. Madame Papillon

 

 

 

EXCELLENTE ANNÉE 2018 À TOUTES ET TOUS

 

 

 

  

 

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Auguste Renoir – Alphonsine Fournaise, 1879, musée d’Orsay, Paris

 

 

     Quelle jolie fille, bon Dieu !

   La belle Alphonsine, comme l’appelaient les habitués, était l’âme de la maison Fournaise. Elle était veuve depuis 1871 d’un certain Joseph Papillon qui était décédé après seulement six années de mariage. Quelle malchance de mourir lorsque l’on possède une aussi belle femme ! Que pouvait-elle faire à seulement 26 ans lorsque l’on possède un teint de pêche, un sourire enjôleur éternellement accroché, et des yeux de velours : elle revint vivre chez ses parents à Chatou.

   Une brave fille cette Alphonsine. Rieuse, et pas bégueule ! Sa présence fut pour beaucoup dans la renommée de l’établissement. Servant au restaurant, la fille du patron attirait la nombreuse clientèle dont beaucoup ne venait que pour elle et la chaleur de son accueil. Elle ne manquait pas d’esprit et était devenue l’égérie et la confidente de la jeunesse dorée de la fin de l’Empire, ainsi que des nombreux artistes qui fréquentaient l’hôtel, dont je faisais partie. Je ne cessais de la contempler avec l’œil du jouisseur que j’étais.

     Je lui avais proposé de faire son portrait. Son acceptation me combla de joie.     

    J’avais souhaité la peindre assise sur la terrasse du restaurant, accoudée à une table, face au superbe paysage représentant la Seine, le pont ferroviaire de Chatou, et les collines de Bougival au loin.

     « Prenez ces cerises et accrochez-les à votre oreille. Le même rouge dessinera votre bouche en coeur et le large ruban ornant votre chapeau de paille. »

     Le contraste des cerises sur le fond bleu-vert du décor derrière elle était optimum. Ce tableau, comme tous ceux peints à cette période, confirmait mes théories impressionnistes : couleur appliquée par touches courtes, légères, lumière naturelle, dilution du personnage dans un effet atmosphérique vaporeux.

 

  

 

       A partir des années 1875, j’avais commencé à fréquenter de plus en plus souvent la maison Fournaise.

     Coincé dans un écrin de verdure entre les deux ponts de Chatou, le long des berges de la Seine, cet hôtel restaurant faisant guinguette était installé sur l’île de Chatou. En aval, le fleuve descendait vers Bougival et l’île de Croissy où j’étais venu quelques années auparavant, avec Monet, peindre le café-guinguette flottant de la Grenouillère. 

   Situé à dix kilométriques de Paris, l’accès était facile pour les habitants de la capitale. De la gare Saint-Lazare, un train omnibus pour Saint-Germain partait toutes les demi-heures et s’arrêtait au pont de Chatou. Le dimanche, les parisiens venaient souvent pour canoter et finir la journée devant une matelote ou une friture de Seine.              

    Pittoresque personnage que le propriétaire de l’établissement, Alphonse Fournaise ! Ses clients, qu’il promenait en bateau, le surnommaient le « Grand Amiral ».

   Il s’était installé en 1858 et construisait des canots, yoles, qu’il vendait, louait et entretenait. J’adorais madame Fournaise, sa charmante épouse. Elle se chargeait de la cuisine et de la direction du restaurant. Le fils, Hippolyte-Alphonse, grand, tout en muscles saillants, s’occupait des relations avec la clientèle, participait aux fêtes nautiques et joutes organisées par son père. Il partageait son temps entre les joutes et les petites femmes de la région qui appréciaient son torse puissant. Une vie trop facile pour ce garçon…

 

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La maison Fournaise – Vue sur l’île depuis le pont de Chatou, 1900

 

     J’étais toujours fourré chez Fournaise. J’y trouvais toutes les plus belles filles que je n’osais en désirer : lavandières, cousettes, repasseuses. Pour une simple pose, elles me prêtaient leur jeunesse gourmande, leur fraîcheur, des sourires en prime. J’aimais les courbes de leurs corps qui dégageaient une sensualité animale. Bien souvent, elles ne me faisaient pas payer. Ainsi, je n’étais plus réduit à suivre des modèles moches durant une heure, comme cela m’arrivait souvent, pour finalement me faire traiter de vieux dégoutant.

     Aux beaux jours, tous les soirs c’était la fête chez Fournaise. On festoyait pour pas peinture,renoir,impressionnisme,orsay,chatou,maison fournaisecher. Après une journée sur l’eau qui leur avait ouvert l’appétit, les canotiers arrivaient par petits groupes bruyants, suivis de leurs compagnes. « A boire ! », ils chantaient, braillaient, blaguaient. Le « jinglet », ce petit vin acide de la région, échauffait rapidement les têtes. Les femmes se débarrassaient de leurs capelines, tout en libérant les boutons de leurs corsages pour mieux respirer, ce qui ne manquait pas d’énerver les hommes. Les verres étaient avalés d’un trait.

   Servi par Alphonsine, qui circulait de table en table sous les clameurs et hurlements, le repas était tumultueux. Elle repérait les beaux garçons qu’elle choyait tout particulièrement. Les intimes l’appelaient « Madame Papillon » qui restait son nom de veuve.

Ferdinand Lunel - Le restaurant Fournaise, lithographie 19e, musée Fournaise, Chatou  

 

    Alphonsine !… Alphonsine !... Alphonsine !... A la fin du repas, éméchés, les habitués attendaient avec impatience qu’elle se mette à son piano couleur vert amande. Elle n’attendait que cela. L’œil allumé, elle s’installait devant l’instrument et, de son air ingénu, entamait des chansons à la mode, « La fille de madame Angot » ou « Le postillon de Longjumeau », que les tablées reprenaient en chœur.

     Connue dans toute la région, Madame Papillon était de tous les plaisirs et les cœurs chaviraient facilement. Il paraît même qu’elle fut la cause du suicide d’un architecte russe qui construisait, près du restaurant, un nouvel immeuble pour Alphonse Fournaise. « Mon Dieu, il s’est tué », avait-elle dit en s’évanouissant lorsqu’elle avait appris la mort de son amant.

   L’hôtel restaurant était aussi fréquenté pour ses nombreux plaisirs nautiques : canotage, joutes, régates. Ce décor convenait parfaitement à Alphonsine qui nageait comme un poisson. Devant ses admirateurs, son grand plaisir était d’apparaître sur le ponton devant le restaurant en costume de bain, puis de plonger d’un saut expert pour aller chercher au fond de l’eau des louis d’or que des godelureaux jetaient, rien que pour le plaisir de la voir déshabillée.

 

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Félicien Rops  -Un dimanche à Bougival, 1874, musée félicien Rops, Namur

 

 

    Alphonse Fournaise et sa femme étaient devenus de grands amis. Je payais rarement. Une fois, alors que je voulais régler l’addition, Alphonse me lança :

     - Vous ne me devez rien. Vous nous avez laissé ce paysage. 

     - Cela n’a pas de valeur, personne n’en veut, avais-je répondu.

     Sa réponse m’avait fait sourire :

    - Qu’est-ce que ça peut me faire, puisque c’est beau. Et il faut bien mettre quelque chose sur le mur pour cacher les taches d’humidité.

   Que pouvais-je rajouter à la naïveté de cette réponse… Je fis son portrait qu’il m’avait commandé.

   J’avais installé ce brave homme, coiffé d’une casquette, sa chemise blanche de limonadier tranchant sous son gilet sombre, accoudé à une table devant un verre de bière, fumant tranquillement sa pipe. Le restaurateur fut tellement heureux du résultat obtenu qu’il me versa de suite, malgré mes protestations, une somme de 100 francs, et me commanda pour la même somme un portrait de sa fille.

 

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Auguste Renoir – Monsieur Fournaise, 1875, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

 

 

    L’ancien balcon du restaurant s’était agrandi d’une grande terrasse toute en ferronnerie. Sous la terrasse, au rez-de-chaussée, des tonnelles construites en treillage étaient recouvertes de plantes grimpantes. De nombreux peintres, hommes du monde et écrivains, simples promeneurs, pouvaient diner ou boire un verre.

    Un joyeux drille ! J'avais sympathisé avec Guy de Maupassant, cet écrivain, passionné par l’eau et le canotage. Toujours amoureux ! Cet homme de plume sautait sur toutes les habituées du restaurant portant jupon ! Cela ne l’empêchait pas d’être mélancolique et de voir tout en noir. Nous n’avions rien en commun. « Il voit tout en rose » disait-il de moi. On s’accordait sur un seul point : « Maupassant est fou » disais-je en riant. « Renoir est fou » me rétorquait-il, en me donnant une bourrade amicale sur l’épaule.

     Ce décor de tonnelles au bord de la rivière m’inspirait. Par une belle journée, j’y avais réuni quelques amis et les avais peints en train de déjeuner devant la Seine et quelques bateaux.

 

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Auguste Renoir – Le déjeuner des rameurs, 1879, The Art Institute, Chicago

 

 

      A la fin de l’année 1879, je savais que le moment était venu de réaliser l’important projet qui me démangeait depuis longtemps : un grand tableau de canotiers festoyant sur la terrasse du restaurant.

       Je venais de rencontrer Aline, ma nouvelle compagne...

 

 

Commentaires

  • Quel plaisir de vous retrouver et de pouvoir lire vos articles. Mes parents habitaient dans le quartier de l'Opéra et il est vrai que c'était une grande joie de prendre le train à la Gare Saint Lazare tout près et de se retrouver sur les bords de Seine. En regardant, par la suite, les travaux de Renoir je pensais à ces dimanches dont je n'appréciais pas, à l'époque, cette grande chance de voir ces lieux.
    En admirant les sculptures de Renoir je suis toujours étonnée et admirative de voir une telle ressemblance entre les visages de femmes de peinture et de sculpture.
    Au fil des ans je suis de plus en plus admirative de ce peintre-sculpteur grâce aux pièces vues dans les musées, aux livres et aux articles comme le vôtre expliquant son oeuvre ! Merci Alain

  • A l’époque du Renoir impressionniste, il s’agissait des premiers trains qui permettaient aux parisiens de rejoindre les bords de Seine et de Marne, et ainsi de se distraire les dimanches dans les guinguettes nombreuses dans la région. J’ai connu moi aussi, mais je prenais le vélo habitant non loin.
    Pour les sculptures, comme pour Degas et ses danseuses, l’on voit de suite qu’il s’agit d’une sculpture de Renoir. Il fait largement partie de mes peintres préférés et j’ai un grand plaisir à parler de lui. J’ai encore plusieurs articles sur sa période impressionniste qui va bientôt se terminer. Il va commencer à changer de style progressivement dans les années 80-90.
    Ce peintre est un vrai bonheur pictural. A Orsay, les visiteurs du monde entier le connaissent parfaitement. « Le bal au Moulin de la Galette » "La balançoire » ou "Alphonsine Fournaise" les attirent comme des mouches.
    Belle journée à vous.

  • Non seulement, c'est un plaisir de poursuivre à tes côtés cette "Genèse de l'Impressionnisme" tellement particulière, tellement personnelle mais ce l'est tout autant de découvrir l'une ou l'autre toile que je ne connaissais pas, - je pense à celles ci-dessus exilées aux États-Unis -,, ou d'en revoir de quasiment oubliées, comme celle de Félicien Rops, à Namur ...

  • La maison Fournaise a bien changé de nos jours. J’y suis allé souvent mais l’ambiance n’y est plus… On peut toujours rêver.
    Je vais continuer à parler de cette période qui voyait défiler des grands noms des arts. Ils appréciaient les Fournaise, la belle Alphonsine pour certains dont Renoir, et ces jeux d’eau. On a du mal à s’imaginer aujourd’hui les plaisirs divers qui se trouvaient réunis en ce lieu que tu vois sur la carte postale. Il faudra, la prochaine fois, que je montre certaines excellentes caricatures d ‘époque.
    Beaucoup de tableaux de Renoir sont malheureusement partis au Etats Unis, souvent les meilleurs.
    Celui de Namur de Félicien Rops m’a fait penser à la belle Alphonsine se baignant en costume de bain. Il devait y avoir des voyeurs comme dans le tableau.

  • merci, Alain, quelle époque romantique ! j'ai cru laisser un com il y a quelques jours, il s'est évaporé - mais ce n’était pas important - je me faisais juste la remarque que les années d'après guerres semblent souvent libérer des effervescences en tout genre, avec une recrudescence d' hédonisme dans les arts, mais ce n'est peut être qu'une impression

  • Il est vrai que la guerre de 1870, suivie des massacres de la Commune avait laissé des traces chez les parisiens. Aidé par les nouveaux chemins de fer, le grand divertissement des parisiens était de venir le dimanche dans ces guinguettes qui fleurissaient sur les cours d’eau autour de la capitale. On pouvait se baigner, canoter, et finir la journée sans ces lieux de plaisir à la mode.
    Renoir a su superbement représenter cette époque de joie de vivre et cet hédonisme dans sa peinture.

  • Merci Alain, quelle magnifique texte où l'on peut comme Renoir, s'adonner à des plaisirs de la vie!! Nous n'avons plus cette ambiance des guinguettes ou restaurants et je ne regrette pas d'avoir été m'amuser sur les bords de la Marne lorsque je résidais à Vincennes!! Bien sur, il n'y avait pas ces artistes comme à la Fournaise mais on dansait le cha cha cha!! tu t'en souviens??? Bisous Fan

  • Il existe encore quelques guinguettes sur les bords de Marne pour rappeler le souvenir de cette époque disparue où, coquine, tu venais faire la fête.
    J’ai connu le « Moulin brûlé » à Maisons-Alfort qui, aujourd’hui, est transformé en salle de loisirs. Et sa piscine en Marne à côté. Etonnamment, en cherchant, je viens de découvrir que notre ami Cézanne y peignit deux toiles : « L’acqueduc et l’écluse » en 1894, et « Villa au bord de l’eau » en 1890. Il devait peut-être se distraire lorsqu’il était parfois de passage à Paris.

  • C'est toujours aussi agréable de voir ces moments revivre sous ta plume.
    Merci, Alain.
    Passe une douce journée.

  • A travers l'ambiance de gaité simple et de plaisirs nautiques de cette période, je souhaite essentiellement montrer et partager les tableaux de Renoir qui, à mes yeux, atteint les sommets dans son art.
    Belle fin de journée.

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