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Genèse de l'impressionnisme

 

9. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 2. Bal sur la Butte

 

 

 

 

Réédition de l'une de mes premières nouvelles, légèrement raccourcie et modifiée.

En cette année 1876, la peinture d'Auguste Renoir atteint des sommets dans l'impressionnisme.

 

 

 

     Nous sommes installées sous les acacias, derrière l’estrade de l’orchestre où une peinture,  orsay, renoir, impressionnisme, moulin de la galettedizaine de musiciens s’échinent sur leurs instruments. Assis à une table voisine, quelques jeunes gens discutent devant des verres de sirop de grenadine. Sur le banc voisin, une jeune mère rit avec sa fillette. Des couples, emportés par la musique, tournent inlassablement.

     J’aime ce bal simple, construit en planches peintes en vert, qui mêle tout un monde : femmes pimpantes dans leurs robes à rubans, hommes portant gibus, ouvriers en goguette. Les gens du peuple viennent s’amuser au bon air frais de la campagne montmartroise. Des petits voyous gouailleurs et des « affranchis » aux poings solides apportent une touche de grossièreté qui me plait. Souvent plus jeunes que moi, des filles de toutes conditions viennent pour se dévergonder.

 

 

 

 

 

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Pierre-Auguste Renoir – Bal au moulin de la Galette, 1876, musée d’Orsay, Paris

 

 

 

      Ouf ! La séance de pose est enfin terminée !

     Plus d’un mois que cela dure… J’en ai marre d’être assise de travers, accoudée sur ce banc, la tête légèrement penchée. « Les cheveux bien en arrière que l’on voit vos oreilles, les yeux expressifs, comme il dit. ».

    Je m’interroge : pourquoi ce barbouilleur s’intéresse-t-il tant à moi ? Je ne suis qu’une cousette, une habituée de ce bal populaire de Montmartre. Deux fois par semaine, je m’y rends pour rire, danser, et débusquer parfois quelques margoulins pour finir la soirée.

   Est-ce ma robe rose à rayures qui a plu à ce peintre, ou mon visage poupin d’adolescente d’à peine 16 ans ? Sur son tableau, il a tenu à rajouter ma sœur Jeanne, derrière moi, penchée en avant, la main appuyée sur mon épaule droite. Avant de commencer, il nous avait dit : « Je vous peindrai au premier plan. Des amis à moi seront assis aux tables proches. Vous êtes si fines de visage toutes les deux… placées au centre de la toile, vous illuminerez le tableau ! »

 

   J’avais entendu prononcer son prénom : Tom. Il m’examinait d’un air coquin, paraissant tout jeune avec ses cheveux frisés et son canotier. C’était la premièrepeinture,orsay,renoir,impressionnisme,moulin de la galette fois que je le voyais. Arrivé avec le peintre en début d’après-midi, il faisait partie du groupe d’amis de l’artiste qui posait à la table voisine de la nôtre. Il avala son sirop et me lança :

     - Je peux connaître votre prénom, mademoiselle ?

     - Estelle…

   - Auguste a de la chance d’avoir trouvé un aussi joli modèle. Je suis peintre également. La peinture est toute ma vie… A mes débuts, mes amis ont tout fait pour me dissuader de devenir peintre, Estelle ! Ils me répétaient : « La peinture est une vocation, un engagement qui vous bouffe la vie. » Ils n’ont jamais réussi à me convaincre… Maintenant, il est trop tard, que ferais-je d’autre ?

    Troublée par le regard de fauve du garçon, je ne répondis pas. Il me plaisait.

   Les danseurs hurlaient pour avoir une polka. L’orchestre se réveilla. Sur l’estrade, le pianiste et le piston haussèrent le rythme de leurs instruments.

    Solarès attrapa la main de mon amie Margot et l’entraîna vers la piste. D’origine peinture,orsay,renoir,impressionnisme,moulin de la galetteespagnole, ce grand échalas, barbu, toujours coiffé d’un chapeau mou penché sur le front, était un peintre qui venait de Cuba. Son nom était complexe : Pedro Vidal de Solarès y Cardenas. Le bougre était sympathique et tout le monde l’appelait Solarès ! Il avait rencontré Margot ici même, depuis ils ne se quittaient plus. Mon amie s’était mise en tête de lui apprendre l’argot : il adorait ces mots imagés parlés par les parisiens de la Butte. Au premier son de la polka, l’espagnol serra le poignet droit de sa compagne d’une main ferme, plaça son autre main dans le creux de sa taille, et s’élança en la remuant sérieusement. Cela ne semblait pas déplaire à Margot. Sa robe rose, écrasée contre son partenaire qui souriait béatement, envoyait des reflets chauds sur le gilet de celui-ci.

     La polka avait réchauffé l’ambiance.

     - Vous dansez Estelle, me dit Tom en pointant ses yeux effrontés sur mon corsage.

    - Non, merci… Je suis fatiguée aujourd’hui… Votre ami m’épuise avec ses longues séances de pose.

    - Auguste… C’est un tyran ! Quand il a la chance de rencontrer un modèle qui lui plait, il ne le lâche pas. Vous avez pu vous rendre compte qu’il sait se montrer persuasif, surtout avec les jolies filles comme vous…

     Je lui adressai un sourire compréhensif.

    - Puisque vous ne dansez pas, venez, nous allons voir à quoi vous ressemblez sur le tableau d’Auguste ! Je pense que vous allez bientôt pouvoir vous reposer, j’ai perçu de la satisfaction dans son regard lorsqu’il examinait sa toile. Etant peintre moi-même, je sais que cela ne trompe pas : l’œuvre est aboutie.

     Nous nous dirigeâmes vers l’artiste. Intérieurement, je regrettais d’avoir refuser de danser avec ce beau garçon.

     Le peintre rangeait son matériel. Long et maigre, il flottait dans son vêtement qui plissait de partout. En me voyant, un large sourire élargit son visage agrémenté d’une barbe clairsemée. Ses yeux bruns, humides, me fixaient avec douceur. Avant même qu’il n’ouvre la bouche, je compris que Tom ne s’était pas trompé.

      - Je n’aurai plus besoin de vous, me dit-il… Mon tableau est terminé. Merci Estelle, je n’aurais pu rêver un modèle plus élégant que le vôtre.

   Je m’approchai et tentai de m’intéresser au tableau qui m’apparaissait comme envahi de taches lumineuses déposées en désordre, ressemblant à ces reflets que l’on trouve à la surface de l’eau.

     - Cela vous plait, Estelle, me lança Tom ?

     - C’est joli… Toutes ces tâches…

     Il trouva ma réponse un peu fade.

    - Ces tâches sont de la lumière, mademoiselle ! Uniquement de la lumière colorée déposée un peu partout sur la toile par petites touches nerveuses. Du sol jusqu’au sommet des arbres, voyez comme cette lumière s’élève puis retombe, comme de la neige, en flocons qui s’accrochent aux objets, aux habits, aux cheveux. C’est féerique ! 

 

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      Il s’arrêta pour argumenter son explication :

   - Regardez votre robe, Estelle : le tissu, rayé de bleu clair et de rose mêlés, est traversé de part en part. Filtrée par le feuillage des arbres, la lumière se disperse en jeux colorés animant les personnages, elle frôle les verres, les carafes, les chapeaux de paille, les lampes et la robe de la danseuse derrière Solarès qui paraît piquetée de taches bleu clair et blanches. Votre visage me fait penser à ces larges corolles de fleurs ouvertes dans les champs l’été… Sentez-vous la vibration des couleurs ?

     Il se planta devant la peinture. Ses yeux brillaient.

   - Cette toile est vivante, Estelle… Une respiration, une légèreté surprenante s’en dégage : les robes tournent, les jupes s’envolent. Le soleil s’est invité à la fête dont il est le roi. Il met de l’élégance dans les pinceaux d’Auguste… Avez-vous remarqué que la piste de danse, uniquement par la grâce de quelques coups de pinceaux, s’est transformée en toison floconneuse chatoyante ?

   J’étais désemparée par le langage du garçon. Ceux que je rencontrais habituellement ne me parlaient jamais de cette façon. Et mes connaissances en matière de peinture étaient si pauvres… Tom se tourna vers le peintre.

     - Auguste, lorsque je vois ton travail, je me demande si je dois continuer à peindre… d’un simple bal populaire, tu as su dégager une fraîcheur, une allégresse, qui émerveillent. Tu es un magicien de la lumière...

    L'artiste sourit devant la verve de son ami. Il posa son tableau contre le tronc d’un acacia et plia son chevalet.

   - A dimanche prochain, Estelle, me dit-il avant de partir ! Je reviendrai pour les dernières retouches. Et ne vous laissez pas entraîner par tous ces garnements. Vous êtes bien jeune… Gardez longtemps cette fraîcheur…

     Il souleva son matériel et l’installa sur son dos.

     - Tu viens, Tom, je t’offre un verre !

 

 

 

     Ce 9ème chapitre est le dernier de l'année 2017. Je vous donne rendez-vous en janvier 2018 pour la suite de cette étude consacrée à la genèse de l'impressionnisme.

Excellent Noël à tous.

 

 

Commentaires

  • j'ai déjà fait cette remarque ici, mais c’est vraiment une vision que j'ai quand tu évoques cette ambiance, celle du film casque d'or https://www.youtube.com/watch?v=RPhTDqiERlQ
    merci, Alain, et joyeux noel à toi

  • Ce film est réellement le reflet de cette époque de bals populaires avec flonflons, les jupes qui volent, les « affranchis » bagarreurs et les amours de passage.
    Simone Signoret ressemble fortement à Estelle. Renoir en aurait fait un magnifique portrait.
    Beau Noël à toi et ta famille, accompagné de nombreux cadeaux.

  • On l'a vu et revu à l'envi ! Et pourtant, on ne l'a jamais vraiment bien regardé : il a fallu cette belle et intéressante nouvelle que tu nous offres ici pour clôturer toi aussi l'année 2017 pour que je prenne vraiment attention à la portion de sol sur lequel évoluent les danseurs.
    Merci Alain et excellentes fêtes de fin d'année à toi et aux tiens.

  • Dans cette peinture, qui fait l’admiration de tous les visiteurs du musée d’Orsay, surtout depuis qu’elle a été déplacée en pleine lumière, Renoir nous montre toute l’étendue du talent qu’il possédait au cours des années 1870. Il s’agit, pour moi, de la période que je préfère dans sa peinture et plus particulièrement dans ce « Bal au Moulin de la Galette » qui nous chavire de lumière, de gaieté et d’insouciance colorée. La toison floconneuse de la piste en est un bel exemple.
    Excellente fin d’année à toi et ta famille.

  • Merci pour cette réédition qui me ravit.
    J'ai beaucoup aimé cette toile.
    http://quichottine.fr/2007/07/renoir.html
    Bonnes fêtes à toi aussi.

  • « Ce tableau… c’est la vie on croirait presque entendre la musique. » Ce commentaire reçu dans ton article de 2007, presque à la même période que le mien, correspond parfaitement à ce qu’exprime cette toile qui est certainement une des plus belles de l’artiste.
    J’espère qu’Estelle a pu se dénicher un margoulin pour finir la soirée.
    Excellent Noël à toi et ta famille.

  • Merci Alain de finir l'an 2017 avec ce post que je trouve exceptionnel !! j'aime ta manière de décortiquer un tableau avec tant d'amour et de fantaisie!! un régal de te venir chez toi!!! Passe de belles fêtes de fin d'année 2017 et à bientôt en 2018!!!Bisous Fan

  • Ton commentaire, Fan, me rend vraiment heureux !
    Si tu savais le temps que je passe pour écrire ce genre de récit… Mais j’aime… Je prends tellement de plaisir à retrouver cette ambiance joyeuse que Renoir nous a si merveilleusement décrite. Renoir c’est la fête, surtout dans les toiles de la période dont je parle. C’est pour cela que je montre ce tableau en tentant modestement de faire partager par l’écrit ce que lui nous a offert avec un pinceau et des couleurs.
    Il faut absolument aller voir cette toile à Orsay. Elle a été déplacée d’un recoin sombre pour être mise en valeur, seule, en pleine lumière. Rien que pour elle, cela mérite le déplacement.
    Je te souhaite à toi aussi de profiter largement, avec tes proches, de ce moment de fin d’année si particulier.
    Je prépare pour 2018 la suite de la genèse de l’impressionnisme qui va certainement te plaire. Plusieurs nouvelles sont inédites, dans une écriture proche de celle que tu viens de lire.
    Belle fin de journée.

  • Bonsoir Alain,
    Cette réédition me réjouit, c'est comme retrouver un lieu qu'on aime et s'y sentir, à nouveau, délicieusement bien...
    Cette toile nous enveloppe comme une douce et ardente fredaine... je l'aime énormément et je vous remercie de ce voyage littéraire très réussi et plein de sensibilité.
    Je vous souhaite ainsi qu'à ceux que vous aimez, un très Joyeux Noël,
    avec mes pensées d'amitié, bises
    Cendrine

  • Renoir est le peintre qui a su le mieux représenter la fête dans ses peintures de jeunesse qui sont mes préférées. Il faudrait expliquer la peinture aux enfants avec ce tableau du « Bal au Moulin de la Galette ». Je pense qu’ils le comprendraient plus facilement que certains adultes.
    Ce bal montmartrois se souvient encore des frasques de la jeune et jolie Estelle magnifiée par le peintre. Pourvu qu’elle ne soit pas tombée sur ces petits vauriens qui fréquentaient ces bals populaires.
    Je vous adresse mes pensées affectueuses en cette période qui devrait vous permettre d’oublier un instant, peut-être définitivement… les durs moments que vous traversez trop souvent.
    Amitiés chaleureuses.

  • Bonsoir Alain,
    Je viens vous souhaiter, ainsi qu'à votre famille et à vos amis, une très belle année 2018 ! Avec la meilleure santé possible et beaucoup de joie, de belles rencontres et d'échanges d'amitié très affectueux.. Merci pour vos voeux si gentils et pour cette fleur d'espérance si joliment exprimée en mots. J'espère aussi des améliorations sur cette longue route...
    Merci pour votre gentillesse et pour la qualité, la générosité, la couleur artistique de vos articles.
    Bises de bonne année!
    Cendrine

  • Merci Cendrine pour tout ce que votre personne irradie, je parlerais presque de joie de vivre malgré vos difficultés invalidantes.
    Vous auriez pu poser pour Renoir le peintre du bonheur et de la joie de vivre. Je suis sûr qu’il vous aurait fait une petite place sur une de ses toiles.
    Je vais encore parler de lui dans de prochains articles.
    Très belle année 2018 à vous et votre mari.
    Amitiés.

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