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Van Gogh écrivain : St-Rémy - 2. 6 juil./10 sept. 1889

 CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

 

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Vincent Van Gogh –  Champ de blés avec cyprès, sept. 1889, National Gallery, Londres

 

            A l’hospice de Saint-Rémy où Vincent a demandé à séjourner, il reçoit de sa belle-sœur Jo une lettre qui lui apporte un grand réconfort : « Cet hiver, vers février probablement, nous espérons avoir un bébé, un joli petit garçon que nous appellerons Vincent si vous voulez bien être son parrain. Je sais bien que nous ne devons pas trop y compter et que cela peut aussi bien être une petite fille mais Theo et moi nous le nous figurons toujours comme un garçon. […] Quand je pense que ni Theo ni moi nous ne sommes en très bonne santé, j’ai grand-peur que nous ne ferons un enfant faible. […] Vous rappelez-vous le portrait du bébé Roulin que vous avez envoyé à Théo ? Tout le monde l’admire beaucoup et bien des fois déjà on a demandé : « Mais pourquoi avez vous mis ce portrait dans ce coin perdu ? ». C’est que de ma place à table je vois justement les grands yeux bleus, les jolies petits mains et les joues rondes de l’enfant, et j’aime à me figurer que le nôtre sera aussi fort, aussi bien portant et aussi beau que celui là – et que son oncle voudra bien un jour faire son portrait ! »

 

Lettre à Jo et Théo – vers le 6 juillet 1889

 

La lettre de Jo m’apprend ce matin une bien grosse nouvelle, je vous en félicite, et suis très content de l’apprendre. J’ai été bien touché de votre raisonnement, alors que vous dites qu’étant ni l’un ni l’autre en aussi bonne santé que paraisse désirable à pareille occasion, vous ayez éprouvé comme un doute, et en tous cas un sentiment de pitié pour l’enfant à venir a traversé votre âme. Cet enfant dans ce cas-là a-t-il même avant sa naissance été moins aimé que l’enfant de parents très sains, desquels le premier mouvement eut été une joie vive ? Certes non. Nous connaissons si peu la vie, qu’il est si peu de notre compétence de juger du bon et du mauvais, du juste ou de l’injuste, et dire que l’on soit malheureux parce que l’on souffre n’est pas prouvé. Sachez que l’enfant de Roulin leur est venu souriant et très bien portant, alors que les parents étaient aux abois. Donc prenez cela comme cela est, attendez avec confiance et possédez votre âme avec une longue patience, ainsi que le dit une bien vieille parole, et avec bonne volonté. Laissez faire la nature.

Pour ce que vous dites de la santé de Theo, tout en partageant de tout mon coeur, ma chère soeur, vos inquiétudes je dois pourtant vous rassurer, précisément parce que j’ai vu que sa santé est, comme d’ailleurs la mienne, plutôt changeante et inégale que faible.

J’en suis bien content de ce qu’il ne soit plus seul, et vraiment je n’en doute pas que dans la suite il reprenne son tempérament d’autrefois. Et puis surtout lorsqu’il sera père et que le sentiment de paternité lui viendra, ce sera autant de gagné.

[…]

Pour ce qui est d’être le parrain d’un fils de toi, alors que d’abord cela peut être une fille, vrai, dans les circonstances je préférerais attendre jusqu’à que je ne sois plus ici. (Dans cet asile)

[…]

J’espère bien lire enfin Homère. Dehors les cigales chantent à tue tête, un cri strident dix fois plus fort que celui des grillons, et l’herbe toute brûlée prend des beaux tons de vieil or. Et les belles villes du midi sont à l’état de nos villes mortes le long de la Zuyderzee autrefois animées. Alors que dans la chute et la décadence des choses, les cigales chères au bon Socrate sont restées. Et ici certes elles chantent encore du vieux grec.

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Vincent Van Gogh –  Troncs d’arbre avec lierre, juillet 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

 

      A la mi-juillet, Vincent fait un voyage à Arles pour récupérer des toiles anciennes. Au retour, il a de nouvelles crises d’une grande violence. Tous les amis et la famille de Vincent (sa mère, sa sœur, le facteur Roulin, et même Gauguin) s’inquiètent de son silence prolongé.

      Le 29 juillet, Théo lui écrit pour prendre de ses nouvelles et tenter de le calmer : « J’ai reçu en parfait état ton dernier envoi que je trouve extrêmement beau. Sont-ce des choses que tu avais mis de côté exprès pour les laisser sécher, car je trouve dans la plupart de ces toiles plus de clarté d’expression et un si bel ensemble. [...] Si tu vivais dans un entourage entièrement à ton goût et que tu étais entouré de gens que tu aimais et qui te rendaient ton amitié, je serais très content car tu ne peux pas mieux travailler que tu le fais. ».

      Par courrier, Jo lui dit : « Votre frère Cor m’a apporté ce matin des petites chaussettes pour notre futur petit garçon (j’insiste que ce sera un petit garçon, même si vous vous moquez de moi à ce sujet !). »

 

Lettre à Théo – vers le 22 août 1889

 

      Vincent n’a plus donné aucune nouvelle depuis un mois et demi.

 

Il m’est fort difficile d’écrire tant j’ai la tête dérangée. Donc je profite d’un intervalle.

Monsieur le Dr Peyron est bien bon pour moi et bien patient. Tu conçois que j’en suis affligé très profondément de ce que les attaques sont revenues, alors que je commençais déjà à espérer que cela ne reviendrait pas.

[…]

Durant bien des jours j’ai été absolument égaré comme à Arles, tout autant sinon pire, et il est à présumer que ces crises reviendront encore dans la suite, c’est ABOMINABLE.

[…]

Cette crise nouvelle, mon cher frère, m’a prise dans les champs et lorsque j’étais en train de peindre par une journée de vent. Je t’enverrai la toile, que j’ai achevée quand même. Et juste c’était un essai plus sobre, de couleur mate sans apparence, des verts rompus, des rouges et des jaunes ferrugineux d’ocre, ainsi que je te le disais que par moments je sentais l’envie de recommencer avec une palette comme dans le nord.

 

Lettre à Théo – le 2 septembre 1889

 

J’ai hier recommencé à travailler un peu - une chose que je vois de ma fenêtre – un peinture,van gogh,st-rémy,provencechamp de chaume jaune qu’on laboure, l’opposition de la terre labourée violacée avec les bandes de chaume jaune, fond de collines.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vincent Van Gogh –  Champ avec un laboureur, août 1889, collection privée

 

Lettre à Théo – vers le 6 septembre 1889

 

      Vincent semble avoir retrouvé la forme. Il a besoin de s’exprimer et de peindre. Il recommence à écrire de longues lettres à Théo.

 

Je travaille d’arrache pied dans ma chambre ce qui me fait du bien et chasse, à ce que je m’imagine, ces idées anormales.

Ainsi j’ai refait la toile de la chambre à coucher. (Il s’agit d’une copie de sa chambre à coucher d’Arles peinte l'année précédente. Il en existe trois versions de tonalités différentes).

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Vincent Van Gogh –  La chambre de Vincent à Arles, sept. 1889, The Art Institute of Chicago

 

Cette étude-là est certes une des meilleures – tôt ou tard il faut carrément la rentoiler.– Elle a été peinte si vite et a séché de façon que, l’essence s’évaporant tout de suite, la peinture ne s’est pas du tout collé ferme sur la toile.

 […]

On dit – et je le crois fort volontiers – qu’il est difficile de se connaître soi-même – mais il n’est pas aisé non plus de se peindre soi-même. Ainsi je travaille à deux portraits de moi dans ce moment – faute d’autre modèle – parce qu’il est plus que temps que je fasse un peu de figure.

L’un je l’ai commencé le premier jour que je me suis levé, j’étais maigre, pâle comme un peinture,van gogh,st-rémy,provencediable. C’est bleu violet foncé et la tête blanchâtre avec des cheveux jaunes, donc un effet de couleur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vincent Van Gogh –  Autoportrait, sept. 1889, National Gallery of Art, Washington

 

Mais depuis j’en ai recommencé un de trois quarts sur fond clair.peinture,van gogh,st-rémy,provence

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vincent Van Gogh –  Autoportrait, sept. 1889, Musée d’Orsay, Paris

 

      Je considère ce portrait, peint pendant une période de difficultés physiques, comme l’un des plus beaux des 43 autoportraits que l'artiste réalisa.

 Puis je retouche des études de cet été – enfin je travaille du matin jusqu’au soir.

 […]

Je lutte avec une toile commencée quelques jours avant mon indisposition, un faucheur, l’étude est toute jaune, terriblement empâtée, mais le motif était beau et simple. J’y vis alors dans ce faucheur – vague figure qui lutte comme un diable en pleine chaleur pour venir à bout de sa besogne – j’y vis alors l’image de la mort, dans ce sens que l’humanité serait le blé qu’on fauche. C’est donc - si tu veux - l’opposition de ce semeur que j’avais essayé auparavant. Mais dans cette mort rien de triste, cela se passe en pleine lumière avec un soleil qui inonde tout d’une lumière d’or fin.

 

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Vincent Van Gogh –  Champ de blés avec faucheur au soleil couchant, sept. 1889, Van Gogh museum, Amsterdam

[…]

Je laboure comme un vrai possédé, j’ai une fureur sourde de travail plus que jamais et je crois que ça contribuera à me guérir. Peut-être m’arrivera-t-il une chose comme celle dont parle Eugène Delacroix : « j’ai trouvé la peinture lorsque je n’avais plus ni dents ni souffle », dans ce sens que ma triste maladie me fait travailler avec une fureur sourde – très lentement – mais du matin au soir sans lâcher et – c’est probablement là le secret – travailler longtemps et lentement.

[…]

Je pense à une drôle de chose. Dans Manette Salomon * on discute l’art moderne et je ne sais quel artiste parlant de « ce qui restera” » dit : « ce qui restera c’est les paysagistes ». Cela a été un peu vrai car Corot, Daubigny, Dupré, Rousseau, Millet en tant que paysagiste, ça dure et lorsque Corot dit sur son lit de mort : « J’ai vu en rêve des paysages avec des ciels tout rose », c’était charmant ; alors – très bien – dans Monet, Pissarro, Renoir nous les voyons ces ciels tout roses.

* Manette Salomon est un roman des frères Goncourt publié en 1867

 

 Lettre à Théo – vers le 10 septembre 1889

 

Une crise plus violente peut détruire à tout jamais ma capacité de peindre. Je me sens dans les crises lâche devant l’angoisse et la souffrance, plus lâche que de juste, et c’est peut-être cette lâcheté morale même qui, alors qu’auparavant je n’avais aucun désir de guérir, à présent me fait manger comme deux, travailler fort, me ménager dans mes rapports avec les autres malades de peur de retomber. Enfin je cherche à guérir à présent comme un qui aurait voulu se suicider trouvant l’eau trop froide, cherche à rattraper le bord.

Mon cher frère tu sais que je me suis rendu dans le midi et que je m’y suis lancé dans le travail pour mille raisons. Vouloir voir une autre lumière, croire que regarder la nature sous un ciel plus clair peut nous donner une idée plus juste de la façon de sentir et de dessiner des Japonais. Vouloir enfin voir ce soleil plus fort, parce que l’on sent que sans le connaître on ne saurait comprendre au point de vue de l’exécution, de la technique, les tableaux de Delacroix, et parce que l’on sent que les couleurs du prisme sont voilées dans la brume du nord.

[…]

Quelle drôle de chose que la touche, le coup de brosse.

En plein air, exposé au vent, au soleil, à la curiosité des gens, on travaille comme on peut, on remplit sa toile à la diable. Alors pourtant on attrape le vrai et l’essentiel – le plus difficile c’est ça. – Mais lorsqu’on reprend après un temps cette étude et qu’on arrange ses coups de brosse dans le sens des objets, certes c’est plus harmonieux et agréable à voir, et on y ajoute ce qu’on a de sérénité et de sourire.

 

 

 

Commentaires

  • Revoici les lettres de Van Gogh.
    Pour mon plus grand plaisir, même si certaines sont parfois d'une tristesse à pleurer dans la mesure où transparaît ce que tu appelles pudiquement l'époque des "difficultés physiques". Tristes mais aussi pleines d'espoir, finalement.
    Tristes, mais pas noires ...

    Ce qui est remarquable - et tu nous le démontres magistralement par le choix des toiles proposées -, c'est que sa puissance de création ne l'a pas quitté : elle éclate notamment dans cette toile que je ne connaissais pas, d'août 1889, du champ avec un laboureur.
    Superbe.
    Et tellement torturée ...

    L'intérêt des lettres que tu sélectionnes à notre intention réside aussi dans le fait qu'elles nous apprennent, au détour d'une phrase, d'une allusion que Vincent possédait une vraie culture littéraire : ainsi rien que dans celles-ci, avec la réflexion sur les cigales et le "Connais-toi toi même", s'y profile la personnalité de Socrate.

    Belle, et presque incroyable à la fois, quand on sait le drame qui éclatera moins d'un an plus tard, est cette précision à la fin de la dernière lettre : ... "on y ajoute ce qu'on a de sérénité et de sourire".

  • Oui, sale période pour Vincent qui est allé s’enfermer dans cet asile où la vie de ses compagnons est vacillante…
    Malgré tout, effectivement, l’artiste n’a rien perdu de ses qualités. J’ai même le sentiment qu’il produira à Saint-Rémy quelques unes de ses plus belles toiles : « Nuit étoilée », « Champs d’oliviers », « Iris », « Autoportraits », « Champs de blés avec laboureur ou faucheur ».
    Vincent avait du temps pour lire beaucoup et connaissait bien la plupart des grands écrivains qu’il conseillait de lire à ses amis et sa famille.
    Moi aussi je l’ai trouvé belle et étonnante cette dernière ligne ! Lorsque l’on imagine les conditions de vie de Vincent, « sérénité et sourire » ne devaient pas lui venir spontanément. Dans son esprit, ces mots m’apparaissent comme l’apport personnel définitif apporté par le peintre à son tableau : la touche finale.
    Bonne semaine Richard.

  • J'ai le même sentiment que Richard par rapport à ces mots de Van Gogh qui semblent étonnants par rapport à l'image que l'on a de lui. Peut être qu'à ce moment sa vie aurait pu prendre un tour différent.

  • Comme je réponds à Richard, je pense que ces mots lui sont venus pour exprimer son sentiment pictural sur la façon de construire un tableau et de le terminer au mieux : « Mais lorsqu’on reprend après un temps cette étude et qu’on arrange ses coups de brosse dans le sens des objets, certes c’est plus harmonieux et agréable à voir, et on y ajoute ce qu’on a de sérénité et de sourire. »
    La phrase est si belle…

  • Bonsoir Alain

    toujours un vrai régal toutes ces lettres.
    je suis d'accord avec toi, que pendant cette période
    les plus belles toiles ont vu le jour
    alors que le peintre rentrait doucement dans une nuit sans retour;
    d'accord il était malade et sans doute terriblement névrosé relativement à une enfance
    tragique.
    Mais si cet homme là nous semble si paradoxal, c'est aussi qu'il est l'un des plus grands peintres de tous les temps.
    Je crois le comprendre presque "charnellement" et je me trompe encore comme tous les gens qui sont passionnés par cet artiste.
    Je me trompe car il me parait très difficile d'avoir une vision globale d'un tel être.

    Donc ! je ne le connais que partiellement c'est à dire de manière insuffisante !

    Bravo ! pour ce bel article ! J'ai rêvé de lui, grâce à toi, encore une fois !

    Jacky

  • Il est bien difficile d’avoir une vision globale d’une personne aussi complexe que Vincent. Mais ne sommes-nous pas tous un peu comme lui, le résultat de notre parcours de vie et puis… on ne sait pas bien… ?
    Vincent serait certainement heureux que Jacky rêve de lui.

  • Encore une fois, c'est extrêmement beau et émouvant de lire ces lettres.
    J'ai été émerveillée par ces "cigales qui chantent en bon grec", et ce peintre qui "laboure" son oeuvre comme le paysan son champ de mortel.
    Un grand peintre ET un grand écrivain.

  • Je pense également que Van Gogh était un véritable écrivain. Il « labourait » ses phrases comme ses toiles, avec simplicité, en y apportant de-ci de-là ses touches culturelles, poétiques, et souvent originales, comme ces « cigales qui chantent encore en vieux grec ». Personnellement, j’aime beaucoup cette phrase : « J’y vis alors dans ce faucheur – vague figure qui lutte comme un diable en pleine chaleur pour venir à bout de sa besogne – j’y vis alors l’image de la mort, dans ce sens que l’humanité serait le blé qu’on fauche. Mais dans cette mort rien de triste, cela se passe en pleine lumière avec un soleil qui inonde tout d’une lumière d’or fin. » C’est aussi joli que lorsqu'il parle d'un tableau : « et on y ajoute ce que l’on a de sérénité et de sourire ».

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