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Van Gogh écrivain : Arles - 7. 16 au 31 août 1888

 

CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

 

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Vincent Van Gogh – Wagons de chemin de fer, août 1888, Fondation Angladon-Dubrujeand, Avignon

 

      Vincent eût cru constamment au feu central de la Terre, qu'il n'eût pas davantage enflammé ses toiles. Même quand elles présentent, relativement, une apparence de repos, elles brûlent. Elles brûlent de leurs couleurs pures, comme rajeunies, comme vives, ou comme, parfois, cendrées ; mais, chaque fois, elles jaillissent d'un foyer incandescent. On les a comparées souvent à des pierreries ; c'est une sottise. Elles ne projettent pas d'éclairs, elles sont embrasées intérieurement, uniformément.

                                                                           Gustave Coquiot

 

 

Lettre à Théo – vers le 18 août 1888

 

Sous peu tu vas faire connaissance avec le sieur Patience Escalier, espèce d’homme à la houe, vieux bouvier camarguais, actuellement jardinier dans un mas de la Crau.

peinture,van gogh,arlesJe ne crois pas que mon paysan fera du tort par exemple au Lautrec que tu as, et même j’ose croire que le Lautrec deviendra par contraste simultané encore plus distingué, et le mien gagnera par le rapprochement étrange, parce que la qualité ensoleillée et brûlée, hâlée du grand soleil et du grand air, se manifestera davantage à côté de la poudre de riz et de la toilette chic.

 

 

 

 

 

Toulouse-Lautrec – Poudre de riz, 1887, Van Gogh Museum, Amsterdam

J’ai supposé l’homme terrible que j’avais à faire en pleine fournaise de la moisson, en plein midi. De là des orangés fulgurants comme du fer rougi, de là des tons de vieil or lumineux dans les ténèbres.

 

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Vincent Van Gogh – Portrait de Patience Escalier, août 1888, Collection Niarchos

  […]

C’est la bonne chaleur qui me rend mes forces, et certes je n’ai pas eu tort d’aller maintenant dans le midi au lieu d’attendre jusqu’à ce que le mal fût irréparable. Oui je me porte aussi bien que les autres hommes maintenant, et cela n’est pas désagréable. Par “les autres hommes” j’entends un peu les terrassiers grévistes, le père Tanguy, le père Millet, les paysans ; si l’on se porte bien il faut pouvoir vivre d’un morceau de pain, tout en travaillant toute la journée, et en ayant encore la force de fumer et de boire son verre, il faut ça dans ces conditions. Et sentir néanmoins les étoiles et l’infini en haut clairement. Alors la vie est tout de même presque enchantée. Ah ! Ceux qui ne croient pas au soleil d’ici sont bien impies.

 

 Lettre à Emile Bernard – vers le 21 août 1888

 

peinture,van gogh,arlesJe veux faire de la figure, de la figure et encore de la figure. C’est plus fort que moi, cette série de bipèdes, à partir du bébé jusqu’à Socrate, et de la femme noire de chevelure à peau blanche jusqu’à la femme aux cheveux jaunes et le visage couleur de brique, hâlé par le soleil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vincent Van Gogh – La mousmé, juillet 1888, National Gallery of Art, Washington

[…]

Ah ! mes chers copains, nous autres toqués (les peintres) jouissons-nous tout de même de l’œil, n’est-ce pas !

Hélas, la nature se paye sur la bête et nos corps sont méprisables et une lourde charge parfois. Mais, depuis Giotto, souffreteux personnage, il en est ainsi.

Ah ! et tout de même quelle jouissance de l’œil, et quel rire que le rire édenté du vieux lion Rembrandt, la tête coiffée d’un linge, la palette à la main !

 

 Lettre à sa sœur Willemien – vers le 22 août 1888 (traduite du néerlandais)

 

Si je puis obtenir de la mère et du père qu’ils me laissent faire, je ferai l’un de ces jours un bébé dans son berceau.

Le père (le facteur Roulin peint par Van Gogh) n’a pas voulu qu’on baptise l’enfant. C’est un révolutionnaire résolu ; quand la famille a fait la moue, probablement à cause du repas de baptême, il baptiserait bien le bébé lui-même ; et il a entonné une effroyable Marseillaise et a nommé l’enfant : Marcelle « comme la fille du brav’ général Boulanger », au grand scandale de la grand’mère du petit innocent et des autres membres de la famille.

 

Lettre à Théo – vers le 22 août 1888

 

      Dans cette lettre, Vincent paraît heureux. Il vient d’apprendre la venue prochaine du peintre Paul Gauguin qu’il attend avec impatience.

 

je t’écris bien à la hâte, mais pour te dire que je viens de recevoir un mot de Gauguin, qui dit qu’il n’a pas écrit à cause qu’il travaillait beaucoup, mais se dit toujours prêt à venir dans le Midi, aussitôt que la chance le permettra.

(Gauguin et Bernard sont à Pont-Aven) Ils s’amusent bien à peindre, à discuter, à se battre avec les vertueux anglais. Il dit beaucoup de bien du travail de Bernard et Bernard dit beaucoup de bien du travail de Gauguin.

Je suis en train de peindre avec l’entrain d’un Marseillais mangeant la bouillabaisse, ce qui ne t’étonnera pas, lorsqu’il s’agit de peindre des grands tournesols.

[…]

Dans l’espoir de vivre dans un atelier à nous avec Gauguin, je voudrais faire une décoration pour l’atelier. Rien que des grands tournesols. Enfin si j’exécute ce plan,  il y aura une douzaine de panneaux. Le tout sera une symphonie en bleu et jaune donc. J’y travaille tous ces matins à partir du lever du soleil, car les fleurs se fanent vite et il s’agit de faire l’ensemble d’un trait.

 

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Vincent Van Gogh – Trois tournesols dans un vase, août 1888, collection privée

 […]

Je commence de plus en plus à chercher une technique simple, qui peut-être n’est pas impressionniste. Je voudrais peindre de façon, qu’à la rigueur tout le monde qui a des yeux, puisse y voir clair.

  

Lettre à Théo – vers le 30 août 1888

 

J’ai deux modèles cette semaine, une Arlésienne et le vieux paysan.  Malheureusement je crains que la petite Arlésienne me posera un lapin pour le reste du tableau. Candidement elle avait demandé l’argent que je lui avais promis pour toutes les poses d’avance, la dernière fois qu’elle était venue, et comme je ne faisais à cela aucune difficulté, elle a filé sans que je l’aie revue. Enfin un jour ou un autre elle me doit de revenir, et ce serait un peu fort si elle manquait tout à fait.

Egalement j’ai un bouquet en train et aussi une nature morte d’une paire de vieux souliers.

 

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Vincent Van Gogh – Paire de souliers, août 1888, Metropolitan Museum of Art, New York

 

  Lettre à Théo – vers le 31 août 1888

 

       Le 18 août, dans une lettre à Théo, Vincent lui parle d’un ami belge, le peintre Eugène Boch, qu’il a rencontré à Arles : "Je voudrais faire le portrait d'un ami artiste, qui rêve de grands rêves, qui travaille comme le rossignol chante, parce que c'est ainsi sa nature. Cet homme sera blond. Je voudrais mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j'ai pour lui. Je le peindrai donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai [...]. Derrière la tête, au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l'infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison la tête blonde éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l'étoile dans l'azur profond".

 

peinture,van gogh,arlesHier j’ai encore passé la journée avec ce Belge, qui a aussi une soeur dans les Vingtistes *. Tu le verras sous peu ce jeune homme à mine Dantesque, car il va venir à Paris et en le logeant, si la place est libre, tu feras bien pour lui. Il est bien distingué d’extérieur et il le deviendra, je crois, dans ses tableaux. Il aime Delacroix et nous avons bien causé de Delacroix hier, justement il connaissait l’esquisse violente de la barque du Christ.

Eh bien, grâce à lui, j’ai enfin une première esquisse de ce tableau, que depuis longtemps je rêve – le Poète. Il me l’a posé. Sa tête fine au regard vert se détache dans mon portrait sur un ciel étoilé outremer profond, le vêtement est un petit veston jaune, un col de toile écrue, une cravate bigarrée. Il m’a donné deux séances dans une seule journée.

* Société des artistes Les Vingt à Bruxelles

 

 

 

 

 

Vincent Van Gogh – Portrait d’Eugène Boch, août 1888, Musée d’Orsay, Paris

[…]

Ah ! mon cher frère, quelquefois je sais tellement bien ce que je veux. Je peux bien dans la vie et dans la peinture aussi me passer de bon Dieu, mais je ne puis pas, moi souffrant, me passer de quelque chose plus grand que moi, qui est ma vie, la puissance de créer.

[…]

Et dans un tableau je voudrais dire quelque chose de consolant comme une musique. Je voudrais peindre des hommes ou des femmes avec ce je ne sais quoi d’éternel, dont autrefois le nimbe était le symbole, et que nous cherchons par le rayonnement même, par la vibration de nos colorations.

[…]

L’étude de la couleur. J’ai toujours l’espoir de trouver quelque chose là-dedans. Exprimer l’amour de deux amoureux par un mariage de deux complémentaires (les couleurs), leur mélange et leurs oppositions, les vibrations mystérieuses des tons rapprochés. Exprimer la pensée d’un front par le rayonnement d’un ton clair sur un fond sombre.

Exprimer l’espérance par quelqu’étoile. L’ardeur d’un être par un rayonnement de soleil couchant. Ce n’est certes pas là du trompe l’oeil réaliste, mais n’est ce pas une chose réellement existante ?

 

 

      Je mets le blog au repos sur la vision de l’excellent portrait d’Eugène Boch. Vincent est en train de se construire cette œuvre de lumière et de couleurs qui laissera une trace fulgurante dans l’histoire de la peinture.

      Je vous souhaite de superbes vacances et vous retrouverai aux prémisces de l’automne.

      A bientôt.

 

 

Commentaires

  • Pour clore ta saison, Alain, que j'apprécie ce revigorant choix de lettres faites de soleil, de tournesols et de veston jaune. Tout ce chatoiement de teintes chaudes - et je pense plus particulièrement à ces ors incandescents de ce "Patience Escalier" que je ne connaissais pas -, constitue à la fois un hymne superbe à la couleur du Midi de la part de Vincent et, de la tienne, une promesse d'un été enfin à venir pour nous réchauffer le coeur et les os ...

    Excellentes vacances à toi.
    Et merci pour tout ce parcours pictural auquel tu nous convies.

    Amicalement,
    Richard

  • Les gens du Sud ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont de pouvoir profiter des bienfaits du soleil et de la chaleur.
    En plein mois d’août 1888, Vincent, l’homme du Nord, appréciait tellement la région que ses couleurs explosaient de bonheur.
    Malgré ses problèmes, il devait, dans cette nature, éprouver des emportements, des plaisirs… Il dit lui-même : « Ah ! Mes chers copains, nous autres toqués jouissons-nous tout de même de l’œil, n’est-ce pas ! »
    Courage Richard, la météo semble optimiste pour la suite.
    Amitiés.

  • Bonsoir Alain

    tres bel article !
    trois tableaux que je n'avais jamais vu :
    Les wagons de chemin de fer
    le portrait de Patience Escalier
    et le portrait d'eugène Boch
    Il y a quelque chose de BREL dans ce visage !
    et puis cette superbe citation :

    Et dans un tableau je voudrais dire quelque chose de consolant comme une musique. Je voudrais peindre des hommes ou des femmes avec ce je ne sais quoi d’éternel, dont autrefois le nimbe était le symbole, et que nous cherchons par le rayonnement même, par la vibration de nos colorations.

    Voilà pour ceux qui doutaient de la profondeur de Vincent, là c'est clair !

    Merci encore !

    ou trouves tu tous ces tableaux méconnus ?

    A bientôt

    Jacky

  • Le tableau de tournesols est également très beau et peu connu.
    Je n’aurais pas pensé à comparer le célèbre portrait d’Eugène Boch, qui est à Orsay, à Brel ? Pourquoi pas en enlevant la barbiche ?
    Ce portrait est un de mes préférés de Van Gogh. Peut-être a-t-il réussi à donner à cet homme ce je ne sais quoi d’éternel.
    Il existe beaucoup de site sur la peinture. Mon préféré, et le plus complet, est « The-athenaeum.org » qui montre la production presque complète de nombreux peintres.
    Bonne journée

  • Bonnes vacances Alain et merci pour ce dernier post!!Nous avons de nouveau été transporté par le bonheur de Vincent heureux d'être au soleil et de ce fait, plein d'idées nouvelles pour les couleurs!!Je ne connaissais pas "les wagons de chemin de fer" toile brûlante!!! et j'aime aussi la tomette du tableau des vieux souliers!!Mais j'aime aussi, le regard patient de Patient!! Au plaisir de te lire!!!BISOUS FAN

  • Vincent est déchaîné en cet été 1888. Ses toiles sont un enchantement. Il sait maintenant qu’il est dans le vrai même si personne ne croit en lui.
    Je te souhaite un été superbe où tu seras.
    A bientôt

  • merci pour cette ballade colorée "van goghienne"
    le musée d'Amsterdam est très sympa

    A bientôt
    JA

  • Le musée d’Amsterdam est mon meilleur souvenir du peintre puisque ce musée est le plus important au monde sur l’œuvre de Van Gogh. Un régal…

  • Bonsoir Alain

    Comment vas tu ?
    tes lecteurs aimeraient avoir de te nouvelles
    merci d'avance

    Jacky

  • Pas d’inquiétude Jacky. Le blog était simplement en pose estivale et je viens de rentrer d’un long séjour au Pays Basque. Il va repartir ce week-end avec une nouvelle amusante écrite durant mon séjour.
    A bientôt

  • Bonjour Alain,

    Je pensais avoir laissé un message ici il y a deux jours, je remarque qu'il n'a pas passé :-(. Je recommence donc.

    Tout d'abord, j'espère que tu vas bien! J'ai un peu déserté internet et les blogs cet été, je remarque que de ton côté ton blog est au repos également :-).

    Quel beau panache de couleurs dans ce billet. Sait-on si la petite Arlésienne est revenue et s'il a pu ainsi terminer son tableau ? J'en doute...

    Sinon, il y a une lecture audio sur litteraturaudio.com qui pourrais peut-être t'intéressé. J'ai pensé à toi en l'écoutant :
    http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/van-gogh-vincent-lettre-a-theo.html

    Dans l'attente de te retrouver par ici, je te souhaite une très belle fin de semaine.
    Amitiés

  • Je vais revenir. L’été incite plus au farniente qu’à l’écriture.
    Pauvre Vincent. La petite arlésienne lui a posé un lapin et est partie avec l’argent. Je saurai dans la suite de la correspondance si elle est reparue. C’est possible car Vincent a peint plusieurs tableaux d’arlésiennes.
    Un grand merci pour cette lecture sur le site Litteratureaudio.com d’une lettre de Van Gogh en juin 1880. Je l’avais déjà lue mais je ne m’en souvenais plus.
    Cette lettre, en l’écoutant, me paraît être l’une des plus importantes du peintre qui se sent abandonné, prisonnier derrière des barreaux. Il sait, il sent tout ce qu’il pourrait exprimer mais n’y arrive pas, comme le ressentent beaucoup de personnes. C’est un hymne à l’espérance, à la réalisation de soi, à la liberté d'être. J’écris un commentaire à Ahikar sur le site.
    A bientôt

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