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VAN GOGH écrivain : Arles - 2. Avril 1888

 

CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

 

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Vincent Van Gogh – Arles, verger en fleurs, 1888, Van Gogh Museum, Amsterdam

      

        Malgré le vent violent qui le perturbe certains jours, Vincent peint avec rage les floraisons printanières.

     Fin avril, il loue une petite maison (la maison jaune), place Lamartine, où il installe son atelier. Il prend ses repas au café de la Gare et couche au café de l’Alcazar qu’il peindra plusieurs fois durant son séjour à Arles.

 

 

 Lettre à sa sœur Willemien – vers le 1er avril 1888 (traduite du néerlandais)

 

« Tu comprends que la nature de ce pays méridional ne peut pas être précisément rendue avec, par exemple, la palette d’un Mauve, qui appartient au Nord, et qui est un maître […] dans le gris. La palette, aujourd'hui, est absolument colorée, bleu céleste, rose, orangé, vermillon, jaune très vif, vert clair, le rouge clair du vin, violet.

Mais en jouant de toutes ces couleurs, on en vient à créer le calme, l'harmonie. Et il se produit quelque chose d’analogue à ce qui se passe pour la musique de Wagner, qui, même exécutée par un grand orchestre, n'en est pas moins intime pour cela. Seulement, on choisit de préférence des effets ensoleillés et colorés, et rien ne m'empêche de penser parfois que, plus tard, beaucoup de peintres iront travailler dans les pays tropicaux. »

 

 Lettre à Théo – vers le 9 avril 1888

 

      La santé de Vincent s’améliore lentement.

 

« L’air d’ici me fait décidemment du bien, je t’en souhaiterais à pleins poumons. Un de ses effets est assez drôle, un seul petit verre de cognac me grise ici, donc, n’ayant pas recours à des stimulants pour faire circuler mon sang, quand même la constitution s’usera moins. Seulement j’ai l’estomac terriblement faible depuis que je suis ici, enfin cela c’est une affaire de longue patience probablement. »

[…]

« Hier j’ai encore vu un combat de taureaux, où 5 hommes travaillaient le boeuf avec des banderilles et des cocardes. Un toréador s’est écrasé une couille en sautant la barricade. C’était un homme blond aux yeux gris qui avait beaucoup de sang-froid. Ils disaient qu’il en aurait pour longtemps. Il était habillé en bleu céleste et or, absolument comme le petit cavalier dans notre Monticelli à trois figures dans un bois. »

  

Lettre à Théo – vers le 11 avril 1888

 

« Ce matin j’ai travaillé à un verger de pruniers en fleurs, tout à coup il a commencé à faire un vent formidable, un effet que je n’avais jamais vu qu’ici, et qui revenait par intervalles. Entre temps du soleil qui faisait étinceler toutes les petites fleurs blanches. C’était tellement beau ! »

 

 Lettre à Emile Bernard – vers le 12 avril 1888

 

« Actuellement, je suis pris par les arbres fruitiers en fleur : pêchers roses, poiriers blanc jaune.

Ne suis aucun système de touche, je tape sur la toile à coups irréguliers que je laisse tels quels.

Des empâtements, des endroits de toile pas couverts par-ci, par-là, des coins laissés totalement inachevés,des reprises, des brutalités ; enfin le résultat est, je suis porté à le croire, assez inquiétant et agaçant pour que ça ne fasse pas le bonheur des gens à idées arrêtées d’avance sur la technique.

Voici d’ailleurs un croquis, l’entrée d’un verger de Provence, avec ses clôtures jaunes de roseaux, avec son abri (contre le mistral) de cyprès noirs, avec ses légumes caractéristiques de verts variés : salades jaunes, oignons, ail, poireaux émeraudes. »

 

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Vincent Van Gogh – Arles, croquis d’un verger bordé de cyprès, 1888

 

Lettre à Théo – vers le 13 avril 1888

 

      A mi-avril, tous les vergers sont en fleurs et Vincent passe ses journées dehors. C’est un délire de couleurs.

 

« Maintenant je te dirai que je travaille aux deux tableaux desquels je voulais faire des répétitions. Le pêcher rose me donne le plus de mal."

 

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Vincent Van Gogh – Arles, croquis de trois vergers, 1888

 

  peinture,van gogh,arles,vergers[…] J’ai aussi un petit poirier en hauteur, flanqué de deux toiles en largeur. Cela fera six toiles de vergers en fleurs. Je cherche actuellement tous les jours à les achever un peu, et à les faire tenir ensemble. J’ose espérer trois autres, se tenant également, mais ceux-là ne sont encore qu’à l’état d’embryons ou de fœtus. »

 

 

 

 

 Vincent Van Gogh – Arles, croquis d’un petit poirier en fleur, 1888

 

 Lettre à Emile Bernard – vers le 19 avril 1888

 

 « Merci beaucoup de ton envoi de sonnets.

 

J’aime beaucoup comme forme et sonorité le premier :

  

Sous les dômes dormeurs des arbres gigantesques

 

 Maintenant, comme idée et sentiment, c’est peut-être le dernier que je préfère :

  

Car l’espoir dans mon sein a versé sa névrose

 […]

 Maintenant j’aime aussi :

 

 L’hiver n’avoir ni sou, ni fleurs

 […]

Là-dedans des passages excellents néanmoins :

 

 Venus des plaines bleues

 Blêmis par la longueur des lieues

 

 rend joliment bien les paysages hérissés de rocs bleus entre lesquels serpentent les chemins, des fonds de Cranach et de Van Eyck.

 

 Tordu sur sa croix en spirale

 

 rend fort bien la maigreur exagérée des Christs mystiques.  […]

 Il faut sûrement continuer les sonnets. Il y a tant de gens, surtout dans les copains, qui s’imaginent que les paroles ne sont rien. Au contraire n’est-ce pas, c’est aussi intéressant et aussi difficile de bien dire une chose que de peindre une chose. Il y a l’art des lignes et couleurs, mais l’art des paroles y est et y restera pas moins. »

 

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« Voici un nouveau verger, assez simple comme composition, un arbre blanc, un petit arbre vert, un coin de verdure carré, un terrain lilas, un toit orangé, un grand ciel bleu. »

 

 

 

 

 

 

 

 

Vincent Van Gogh – Arles, croquis d’un verger avec des poiriers en fleurs, 1888

 […]

 « J’ai éreinté une toile hier, d’un cerisier contre ciel bleu, les jeunes pousses des feuilles étaient de l’orangé et de l’or, les touffes de fleurs, blanches. Cela contre le bleu vert du ciel était rudement glorieux. Malheureusement voilà la pluie aujourd’hui qui m’empêche de revenir à la charge. »

 

« Ai vu un bordel ici le dimanche (sans compter les autres jours), une grande salle teinte à la chaux bleuie – comme une école de village. Une bonne cinquantaine de militaires rouges et de bourgeois noirs, aux visages d’un magnifique jaune ou orangé (quels tons dans les visages d’ici), les femmes en bleu céleste, en vermillon, tout ce qu’il y a de plus entier et de plus criard. Tout cela éclairé de jaune. Bien moins lugubre que les administrations* du même genre à Paris. Le spleen n’est pas dans l’air d’ici.

Actuellement je me tiens encore très coi et très tranquille, puisque je dois d’abord guérir un dérangement d’estomac dont je suis l’heureux propriétaire ; mais après il faudra faire beaucoup de bruit, car j’aspire à partager la gloire de l’immortel Tartarin de Tarascon. »

 

      * Administration dans son langage veut dire : lieu, endroit

 

 

 

Commentaires

  • "... rien ne m'empêche de penser parfois que, plus tard, beaucoup de peintres iront travailler dans les pays tropicaux."

    Intuition de Van Gogh ou se pourrait-il que Gauguin, avant qu'il accepte l'invitation de venir en Arles, lui ait déjà laissé sous-entendre qu'il se rendrait à Tahiti ?


    J'ai été très surpris, après en avoir lu la description qu'en donnait Vincent, de voir le premier croquis de verger réalisé sans les teintes décrites ...


    Dernier point : je connaissais fort peu Emile Bernard mais ignorais complètement qu'il fût également poète.
    Intéressante découverte qu'il conviendrait d'approfondir ...

  • Van Gogh et Gauguin se rencontrèrent plusieurs fois à Paris. Gauguin raconta à Vincent son voyage pour le Panama et la Martinique en 87 avec le peintre Charles Duval. Les deux hommes ne manquèrent pas de faire des projets d’atelier des tropiques. C’est d’ailleurs, en partie, la recherche de la lumière qui renforce les couleurs, qui incita Vincent à se rendre en Provence.
    Si tu veux parler du croquis de verger avec cyprès, les couleurs du tableau, qui est à Amsterdam, me paraissent correspondre au couleurs indiquées sur le croquis : pécher rose, poirier blanc, clôtures jaunes, ciel bleu, chemin jaune.
    Emile Bernard possédait plusieurs talents, dont celui d’écrire des récits sur l’art, des romans et des poèmes. Apollinaire lui écrivit même une lettre incroyablement admirative (chacun de vos vers est un rayon de soleil...) qui servit de préface à Bernard pour son recueil de poèmes « La lumière mythique ». Je n’ai rien lu.

  • Merci Alain, je me suis faite une jolie promenade au milieu de la palette arlésienne de l'ami Vincent!! Je ne savais qu'il était intime avec Emile Bernard, je le pensais juste un bon collègue!!Je le pense plutôt très proche de Gauguin, mais ceci sera pour d'autres lectures!! Je ne savais pas qu'Emile Bernard aimait tant l'écriture mais j'ai toujours apprécié sa peinture!!Grâce à toi, je vais découvrir son talent de poète!!!! BISOUS FAN

  • Emile Bernard était un bon écrivain, très ami avec Vincent qui l’appréciait. Sa peinture était assez proche de celle de Gauguin avec lequel il travailla à Pont-Aven. On retrouve souvent les mêmes motifs de bretonnes dans leurs toiles.

  • Bonsoir Alain

    J'ai lu les lettres de Vincent à Théo.
    Je crois connaître assez bien les deux frères.
    Mais ... à chaque passage sur ton site, j'apprends encore grâce
    à ces épisodes si bien documentés tant par l'image que par l'écriture.
    Bravo ! J'adore !
    Jacky

  • Moi aussi, je redécouvre à chaque lecture des paragraphes auxquels je n’avais pas porté d’intérêt auparavant. L’imagination de Vincent était riche et variée.

  • Bonjour Alain,

    Quelques esquisses de rayons de soleil peinent à percer la couche nuageuse depuis plusieurs jours maintenant, nous faisant oublier que c'est le printemps, aussi est-il doublement plaisant à regarder, ce verger en fleur :-).

    "... puisque je dois d’abord guérir un dérangement d’estomac dont je suis l’heureux propriétaire. " - En plus de ses qualités à définir les couleurs des paysages avec ses pinceaux aussi bien qu'avec ses mots, il avait un bel humour :-)

    Très belle fin de semaine
    Amitiés

  • Vincent se régalait à peindre les vergers fleuris en ce mois d’avril 1888. Il oubliait la grisaille parisienne et retrouvait un bien être physique malgré son dérangement d’estomac dont il était l’heureux propriétaire...
    L’humour de Vincent est constant dans son écriture et je m’amuse souvent à ses répartis parfois étonnantes.
    Que de pluie depuis quelques jours. Mes plantes et arbustes bruissent de bonheur.
    A l’occasion de l’expo parisienne qui vient de s’ouvrir, j’ai commencé le 20 mars dernier un cycle Berthe Morisot, cette magnifique femme peintre. Je pense que sa peinture si poétique ne peut que t’émouvoir.
    Bonne journée.

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