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Maximilien Luce (1858-1941) à Giverny

 

 

 Un pointilliste méconnu

 

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 Delannoy – Maximilien Luce, Les hommes du jour n°60, 1909

 

       Je pousse les portes de ce charmant musée normand de Giverny proche de la maison rose de Claude Monet située à une centaine de mètres.

      Je me suis violenté pour ne pas arriver, comme trop souvent, le dernier jour de cette exposition…

      Il s’agit de la première rétrospective consacrée au peintre néo-impressionniste Maximilien Luce. 70 œuvres, dessins et peintures sont exposées jusqu’au 31 octobre au Musée des impressionnismes de Giverny.

      J’aime ces peintres du petit point et de la division des couleurs…

 

 

       Au moment où les impressionnistes commençaient seulement à être appréciés, Georges Seurat allait devenir le chef de file d’une nouvelle école néo-impressionnistes en présentant, en 1886, lors de la huitième et dernière exposition commune du groupe des impressionnistes, un tableau intitulé Un Dimanche à la Grande Jatte qui était son manifeste.

      Le système divisionnisteSeurat - grande jatte 1886.jpg des tons de Seurat était rigoureusement scientifique. La technique paraissait simple : couvrir le tableau de petits points juxtaposés de couleurs pures soucieuses les unes des autres selon le principe des complémentaires. Ainsi, les couleurs ne se mêlaient plus sur la toile, mais dans l’œil du spectateur. La toile vibrait sous le regard. Certains critiques de l’époque utilisaient des expressions imagées en parlant de « confettisme », de « semis de menues touches colorantes » ou de « tourbillonnantes cohues de menues macules ».

Georges Seurat – Un dimanche à la Grande Jatte, 1886, Art Institute, Chicago

 

          La luminosité du mélange optique obtenu allait ainsi rallier à cette théorie de grands peintres comme Paul Signac et Camille Pissarro. Plusieurs autres, moins connus, allaient suivre : Cross, Angrand, le belge Van Rysselberghe et, un certain… Maximilien Luce.

      Je ne connaissais guère ce Maximilien Luce dont j’avais aperçu trop rapidement quelques toiles au musée d’Orsay. C’est pourquoi j’ai pris soin, avant de venir, de faire sa connaissance en me procurant le catalogue de l’expo.

      Je vous invite à me suivre.

  

Des portraits

           

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M. Luce – La toilette, 1887, Association des amis du Petit Palais, Genève

     

      Pour sa première exposition au Salon des Artistes Indépendants de 1887, Luce fait la connaissance de Paul Signac qui lui achète La toilette représentant un homme torse nu se lavant dans une bassine. Cette toile fut qualifiée de « rude morceau de peinture ». Un critique lança : « monsieur Luce peint des prolétaires ». Une grande amitié allait ainsi naître entre Signac et Luce.

Luce - portrait de paul signac 1890 particulier.jpg 

 

     Luce a souvent peint ses amis. J’apprécie le superbe portrait qu’il fait de Paul Signac, représenté de profil à contre-jour penché sur sa toile.

 

 

 

  

 

 M. Luce – Portrait de Paul Signac, 1890, Collection particulière 

 

       Je reconnais le seul portrait de femme du catalogue de l’expo. Luce - femme se peignant 1901 - mantes la jolie.jpg

      Luce vit depuis plusieurs années avec Ambroisine Bouin lorsqu’il peint en 1901 la sœur de celle-ci, Eugénie Bouin, âgée de 24 ans. Le peintre s’est inspiré de Jo, la belle irlandaise de Courbet qu’il a vue chez Durand-Ruel. Eugénie peigne ses longs cheveux bruns. Le corsage très décolleté, la jupe en tissu épais et son visage poupin lui donnent un physique sensuel bien différent de celui de sa sœur, la fine et élégante Ambroisine dont j’ai vu une photo. Malheureusement, Eugénie, malade, mourra l’année suivante.

 

  

M. Luce – Madame Bouin à sa toilette, 1901, Musée de l’Hôtel-Dieu, Mantes-la-Jolie

 

 Des paysages somptueux

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 M. Luce – Vue de Montmartre, 1897, Kröller-Müller Museum, Otterlo

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                                               M. Luce – Le Port de Saint-Tropez, 1893, Collection particulière

 

      Je suis frappé par la puissance coloriste du peintre. La qualité de son pinceau illumine une vue montmartroise et des quais de Saint-Tropez éclaboussés de soleil, grouillant de monde.

       luce - louvre et carrousel 1890 brown.jpg

      M. Luce – Le Louvre et le pont du Carrousel, effet de nuit, 1890, Collection M. et Mme Walter F. Brown

 

Je circule un long moment devant toute une série de « nocturnes » aux tonalités mauves et vertes. Un coup de foudre… Les crépuscules marins contrastés et les effets d’éclairage urbain sont somptueux.

 

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 M. Luce – Bord de mer Pointe du Toulinguet, 1893, Amis du Petit Palais, Genève

                                                     

Luce - quai à camaret 1894.JPEG

                                            M. Luce – Quai à Camaret, Finistère, 1894, Springfield, Massachusetts

 

      Je contemple un long moment ces chefs-d’œuvre. Une question me taraudait l’esprit : comment avait-on pu oublier un artiste aussi talentueux ?... Peut-être ces convictions politiques anarchistes ?

  luce - louvre et pont neuf nuit, éventail 1892 orsay.jpg

                        M. Luce – Le Louvre et le Pont Neuf, la nuit, éventail, 1892, musée d’Orsay, Paris

  

 

 Un dessinateur de talent

Luce - la famill pissarro 1890 mantes la jolie.jpg

               Luce - louise michel 1905 - musée de saint-denis.jpg         M. Luce – La Famille Pissarro, 1890, musée de l’Hôtel-Dieu, Mantes-la-jolie

 

      Des nombreux dessins et lithographies sont exposés. Je remarque, crayonné sur une même feuille, toute la famille du peintre Pissarro, ami de Luce, et un portrait expressif  de Louise Michel, héroïne de la Commune, à son retour de déportation en Nouvelle Calédonie.

 

 

   M. Luce – Louise Michel à son retour de Nouméa, 1905, d’après une photo, musée d’Art et d’Histoire, Saint-Denis

 

 Un univers industriel

  Luce - l'aciérie 1895 genève.jpg

      Maximilien Luce s’intéresse au monde du travail. En 1895, il découvre le Pays noir du Borinage à Charleroi où la production du charbon et de l’acier se fait dans la vallée de la Sambre. De grandes toiles montrent la fascination du peintre pour ce spectacle de hauts fourneaux impressionnant de beauté.

       « Partout des feux de Bengale multicolores, des étincelles. Les ouvriers ne sont plus rien, je vois le règne du feu ! Jamais je le crois je n’ai eu une pareille joie de couleur ! dit Signac en rejoignant Luce à Charleroi en 1897. » 

 

 

M. Luce – L’aciérie, 1895, Amis du Petit Palais, Genève

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M. Luce – La Fonderie, 1899, Kröller-Müller Museum, Otterlo

 

La peinture d’histoire

 

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                                                M. Luce – Les Batteurs de pieux, 1903, musée d’Orsay, Paris

 

         L’humanisme de Luce perce dans ses tableaux d’histoire. Il aime montrer des hommes et femmes du peuple, de simples travailleurs ou des syndicalistes.

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M. Luce – La Gare de l’Est sous la neige, 1917, musée de l’Hôtel-Dieu, Mantes-la-Jolie

 

      Il témoigne de la réalité sombre de la guerre de 1914-1918 en peignant des scènes de « l’arrière » montrant la Gare de l’Est et les soldats permissionnaires blessés, fatigués, affalés sur le sol. Résignés, ceux-ci sont indifférents à l’éclatante lumière du nouveau Paris d’Haussmann que l’on voit derrière eux, au loin.

                                

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    M. Luce – La gare de l’Est, 1917, Musée de l’Armée, Paris

 

      Je remarque dans ces tableaux, comme dans certaines toiles du borinage précédentes, que les pointillés ont disparus. Le style est plus classique…

  

 Un peintre et illustrateur engagé

 

       La politique…

       Une large partie de l’œuvre de Luce est inspirée par ses convictions politiques. Avec son crayon et ses pinceaux, tant dans les journaux, affiches, textes illustrés de chansons et programmes de théâtre, il accorde une grande place aux thèmes sociaux.

          A l’âge de 13 ans, Luce découvre les horreurs et l’écrasement sanglant de la Commune de Paris en 1871 qui le marque profondément et qu’il n’oubliera pas. Il devient un anarchiste convaincu et militant actif. Du fait de ses amitiés et de sa participation au « Père Peinard » il fera un mois de prison après l’attentat qui coûtera la vie au président Sadi Carnot en 1894. Il est finalement relâché.

       Vers le 30ème anniversaire des massacres de la Commune, il peint une toile d’une grande puissance évocatrice. « Nulle allégorie, nulle généralisation ne saurait être pour nous aussi pathétique que cette vision des morts » dira l’anarchiste Jean Denauroy.

      Cette grande toile clôture l’exposition. Je m’installe à côté d’écoliers méditatifs.

 

luce- paris mai 1871- 1903 orsay.jpg

  Maximilien Luce – Une rue de Paris en mai 1871, La Commune, 1905, musée d’Orsay, Paris

 

      Des communards gisent sur les pavés près d’une barricade renversée lors des combats. Les agresseurs « Versaillais » ont quitté les lieux. Des fédérés, jeunes ouvriers, et une femme aux longs cheveux bruns sont criblés de balles au premier plan. J’ai le sentiment que la jeune femme ressemble à Eugénie, la sœur de la compagne de Luce, qu’il avait peinte en train de se coiffer ?

       C’est une scène étrange. La rue est déserte, silencieuse. Curieusement, cette toile n’est pas sombre... Les couleurs sont chaudes, lumineuses sur les façades des maisons. Tout en haut, sur la gauche, un petit coin de ciel bleu apporte une note d’espoir inepte au-dessus des cadavres. Un minuscule chat perché sur un toit semble contempler le spectacle, indifférent...

  

 

       L’exposition est terminée.

        J’étais enchanté de mon après-midi. Curieux, j’étais venu voir la rétrospective d’un peintre mal connu, et j’avais découvert un grand artiste. Pas un simple suiveur, mais un des tout meilleurs du mouvement néo-impressionniste. A mes yeux, il méritait d’être comparé à Paul Signac qui l’avait initié à cette technique et avec lequel il allait souvent peindre les bords de Seine.

       Je venais de rencontrer un homme libre, dans ses idées politiques comme dans sa peinture. Plusieurs des toiles que j’avais vues montraient que Luce avait su, comme l’avait fait un Van Gogh, prendre ses distances avec des règles pointillistes parfois trop contraignantes et les adapter à son tempérament.

       J’aspire une grande bouffée d’air en sortant du musée.

        Le ciel normand délavé s’ennuageait. Curieusement, mes yeux distinguaient des petites paillettes colorées dansant dans le bleu du ciel.

   

                                                                                                    Alain

  

 

Commentaires

  • Une belle découverte !
    Le portrait d'Eugénie Bouin est magnifique.
    Merci pour cet article fort intéressant.

  • J’ai effectivement rencontré un grand artiste à Giverny.
    Eugénie Bouin était couturière et mourut trop vite à 24 ans. Luce et Ambroisine Bouin, sa sœur, recueillirent son enfant de 5 ans. Luce était très attaché à ce tableau et ne s’en sépara jamais. Il se pourrait d’ailleurs qu’il se soit inspiré de ce portrait pour peindre la jeune femme gisant sur les pavés dans sa toile sur La Commune que je montre à la fin.
    Bon dimanche

  • Bonsoir Alain

    Cette visite est magnifiquement orchestrée
    ton texte est pratiquement tout au présent ce qui le rend tellement vivant.
    Mais quand je relis en regardant, je vois du trés beau vocabulaire.

    Et surtout de la construction dans de trés belles phrases :

    Je circule un long moment devant toute une série de « nocturnes » aux tonalités mauves et vertes. Un coup de foudre… Les crépuscules marins contrastés et les effets d’éclairage urbain sont somptueux.

    Deux phrases complémentaires et soeurs dans l'esprit !
    On dirait du PROUST... Si Si ...

    Le thème est forcément séduisant relativement à la passion que je porte à la peinture.

    Quant au lieu, il fait partie de ces endroits telluriques ou la magie rejoint la réalité...

    Bref ton travail est excellent ! Bravo !
    a+
    et merci
    Jacky

  • Proust… Comme tu y vas Jacky ! Je n’ai malheureusement rien à voir avec cet immense écrivain. Quel dommage !
    Je ne faisais que commenter ma visite de l’exposition Luce qui se termine bientôt à Giverny. Ce musée présente toujours de très belles expos. Et puis, je respirais l’odeur de Claude Monet proche…
    Je voulais surtout montrer les tableaux de Luce qui sont superbes, en particulier les nocturnes. Il y en avait beaucoup d’autres tout aussi beaux.
    Bon dimanche

  • Que voilà une très belle découverte !
    Au fur et à mesure de la lecture, je voulais te poser différentes questions, et quelques lignes plus bas, tu me fournissais la réponse. Ton correspondant ci-dessus l'a aussi judicieusement relevé : ton texte est "magnifiquement orchestré", graduellement construit, distillant à propos le détail que l'on attend.
    Esthétiquement parlant, je préfère la première période de M. Luce, le pointillisme, plutôt que la suite qu'il donnera à sa technique de création.
    Mais, en tant qu'historien, ce sont ses toiles "sociales" - notamment celles du Borinage - qui retiennent évidemment mon attention.
    Une question, néanmoins : j'ai beau fouiller ma mémoire, puis le Net, je ne trouve réponse aux fins de savoir qui est cet anarchiste Jean Denauroy.
    As-tu l'une ou l'autre référence le concernant à me fournir ?

  • Ton commentaire est passé sans problème Richard… ?
    Moi aussi, je préfère les toiles pointillistes de Luce beaucoup plus lumineuses. Il n’abandonnera jamais complètement ce style mais, comme d’autres néo-impressionnistes dont Signac et Pissarro, il n’enfermera pas son talent dans cette technique et gardera une grande liberté de travail.
    Les toiles du borinage ont des coloris somptueux. Elles reflètent bien la réalité de ces immenses hauts fourneaux d’acier et de verre crachant une féerie de flammes. Le borinage me fait penser à Van Gogh qui, quelques années auparavant, y était venu pour évangéliser la population des mines…
    Je te donne mes infos sur Jean Denauroy. Celui-ci était un anarchiste qui écrivait dans le journal « Les Temps Nouveaux » édité par Jean Grave de 1895 à 1914. Quelques noms connus ont collaboré à ce journal anarchiste comme rédacteur ou illustrateur : Octave Mirbeau, Félix Fénéon, Félix Nadar, Camille Pissarro, Maximilien Luce.
    Luce envoya de nombreuses œuvres à cet hebdomadaire dont il était le principal illustrateur. Il tirera une lithographie de son tableau sur La Commune pour Les Temps Nouveaux en 1910.
    Bon dimanche

  • Merci Alain.

    Ravi que mon commentaire d'hier t'arrive enfin aujourd'hui ... et que celui-ci passe sur l'instant sans problème.

    Avec tes quelques précisions, je pars à la recherche de cet anarchiste ... que je ne connais pas !

  • Bonne recherche Richard. J'ai vu qu'il y avait pas mal de doc sur le net concernant ce journal.

  • J'avais vu les affiche de l'exposition du musée de Giverny sans aller à l'exposition. Ton compte rendu très complet nous permet de découvrir ce peintre pas seulement en tant qu'artiste mais aussi comme un homme engagé pour ses opinions.

  • Moi aussi, j’ai découvert cet artiste dont la qualité de peinture m’a réellement surpris. Je pense que ses engagements politiques ont dû nuire à sa reconnaissance officielle.
    Tu as loupé une belle expo que j’ai tenté de montrer imparfaitement. Il n’est peut-être pas trop tard car elle se termine dimanche. La région de Giverny est si belle à l’automne…

  • Bonsoir, bel article sur un peintre assez peu connu du grand public, merci de mieux nous le faire découvrir. JA

  • Effectivement, il gagne à être connu. Je ne m’attendais pas à une telle qualité picturale, surtout dans ses paysages ou la lumière est les couleurs sont si joliment distillées.

  • Ayant habité quelques temps à côté de Vernon, je connais Giverny, la maison de Monet, le musée américain mais revenue dans l'Oise, je n'ai pu aller admirer ce peintre peu connu et d'une belle qualité!!Merci Alain pour ce post qui est intéressant et d'un verbe toujours accueillant!!!BISOUS FAN
    ps, ce jour, j'ai mis une vidéo le concernant pour lui rendre hommage

  • Ce n’est plus le musée américain mais celui des impressionnismes.
    J’ai vu ta vidéo. Ce peintre est un vrai plaisir. Rafraîchissant, comme l’est actuellement Claude Monet au Grand Palais. Cela fait du bien à cette période de l’année que je supporte mal.
    A bientôt

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