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Toulouse-Lautrec au cirque

 

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Henri de Toulouse-Lautrec – Au cirque Fernando, Écuyère, 1888, The Art Institute of Chicago

 

     Au début de 1899, l’alcool, le manque de sommeil, les femmes faciles, avaient fait chuter le peintre Toulouse-Lautrec.

    Il n'avait cessé de se moquer de la bourgeoisie à la pointe de son crayon. La presse s’était déchaînée en apprenant la nouvelle de son internement dans une clinique parisienne : « Cette loque qui n’arrivait plus à tenir un pinceau ». Il était devenu un objet de compassion, de risée.

 

 

     Misia, l’atout charme de la Revue Blanche à Paris, accompagnait son mari Thadée Natanson, cofondateur et directeur de la revue, à la maison de santé. Elle s’était prise d’affection pour Lautrec, un des fidèles du « Relais » où ils recevaient, l’été, les nombreux artistes de leur cercle d’amis.

     Le petit bonhomme riait aux larmes lorsque nous pénétrâmes dans la chambre.

     — V’tombez bien, dit Lautrec. J’suis en plein cirque.

   Il se remit à rire, ce rire d’autrefois qui le faisait hoqueter jusqu’à s’en étouffer lorsqu’il venait au Relais. Désintoxiqué, il semblait en bonne forme.

   — J’suis heureux que vous soyez venus. J’m’ennuyais. Alors j’ai demandé à récupérer ma boite d’aquarelle et des crayons. Des souvenirs anciens sur le cirque… Dis-moi la vérité, Thadée ! Que penses-tu de mes dessins ?

     Plusieurs dizaines de dessins sur le cirque traités au crayon noir et aux crayons de couleurs m’apparaissaient. La main était ferme. Une perfection hallucinante se dégageait de chaque dessin. Je retrouvais l’affichiste le plus recherché à Paris, celui qui avait peint à l’huile « Au cirque Fernando, l’écuyère » : un maître de piste un fouet à la main faisait gambader un cheval monté par une amazone sur une piste de cirque. Celle-ci, un rictus canaille sur les lèvres, dévoilait ses cuisses avec impudeur.

     Lautrec continuait à sourire, concentré sur un dessin qu’il finissait, une caricature du clown Chocolat, écroulé, les bras autour du cou d’un cheval incontrôlable tournant au galop. Hilarant ! Le peintre allait voir régulièrement le couple célèbre de clowns Footit et Chocolat. Il ne cessait de dessiner l’enfariné Pierrot blanc et le Scapin nègre toujours maltraité et ahuri sous les coups de son comparse.

 

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Henri de Toulouse-Lautrec – Au cirque - Chocolat, 1899, Sterling and Francine Clark Art Insitute, Williamstown

 

    Le peintre n’avait rien oublié de ses heures d’observations, attentif au bord de la piste, des nombreux cirques qu’il fréquentait : Médrano, Molier, Cirque d’Hiver, Nouveau Cirque. Le résultat était stupéfiant de vérité : dresseurs d’éléphants, écuyères, clowns, équilibristes.

    Sur un dessin une écuyère s’apprêtait à sauter à travers un cercle de papier. Une autre était suspendue en arc sur le côté d’un cheval dans une acrobatie de voltige. À côté du dresseur, je reconnaissais le clown Foottit avec sa tête surmontée d’un toupet de cheveux blonds.  

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Henri de Toulouse-Lautrec – Au cirque - Voltige, 1899, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

 

     Misia s’approcha de son ami et lui prit la main affectueusement.

     — Tu m’as manqué, Henri. Tu as retrouvé ta patte d’artiste.

   — Qu’t’es belle Misia ! J’voudrais te peindre à nouveau. Le corps des femmes, un beau corps de femme comme le tien vois-tu… c’est tellement chouette, hein ? Mais il ne faut pas qu’elles raisonnent de trop, les femmes savantes… rreur de ça !...

     Il lâcha la main de Misia, puis se mit à vociférer contre ceux qui l’avaient enfermé :

     — J’me vengerai. J’leur arracherai les côtelettes. C’est sûr…

     Il se leva et fit quelques pas sur ses petites jambes en claudicant.

     — Quand ils verront mes dessins, sûr, ils me laisseront sortir.

   Sur un dernier dessin, un personnage accomplissait une prouesse : une sorte de caniche nain se tenait en équilibre sur ses pattes avant dans la main du dresseur, son derrière et ses pattes arrières étaient dressés en l’air.

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Henri de Toulouse-Lautrec – Au cirque – Un dresseur de chien, 1899, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

 

   Je voyais dans toutes ces caricatures un incroyable numéro d’artistes du spectacle mettant en évidence l’absurdité du monde. Lautrec cherchait-il dans ces figures dérisoires de l’univers du cirque qu’il adorait à explorer son propre monde, celui d’un périlleux équilibriste tentant de comprendre son infortune, sa raison de vivre.

     — Formidable, Henri ! Tes dessins sont exceptionnels de virtuosité, de lucidité.

     Le peintre émit un dernier rire d’enfant qui vient de faire une bonne farce. Il prit un dessin au hasard et le dédicaça à Misia : « À la colombe de l’Arche »

     Nous partions. Il se tourna vers moi.

     — Thadée, tu leur diras ! Mes dessins… Tu sais maintenant que ma main ne tremble plus. Dis-leur que je suis guéri. Ils me laisseront sortir…

     Nous embrassâmes notre ami, très émus.

     Reverrons-nous le Lautrec d’autrefois, pensai-je…

 

 

 

Cette série de 39 dessins aux crayons noirs et de couleurs permirent à l'artiste de démontrer qu'il avait retrouvé sa santé mentale et sa capacité à travailler. Son internement sera abrégé et il sortira en mai 1899. Il retournera à sa vie festive et alcoolique et décèdera deux années plus tard.

 

 

Commentaires

  • Magnifiques dessins que je ne connaissais pas!!! Merci Alain, tu nous gâtes!! Hélas, cette pauvre âme était incorrigible en ce qui concerne la fête!!! son organisme n'en pouvait plus!! Dommage!!!Bisous Fan

  • Oui, la fête se terminait pour Lautrec. Il avait jeté ses dernières flammes dans ces magnifiques dessins sur le cirque dans lesquels il voulait démontrer qu'il n'était pas fini. C'était trop pour lui. Il pouvait partir son oeuvre était accomplie.
    Merci Fan pour ta fidélité depuis des années.
    Excellente journée à toi.

  • merci, Alain, voilà une évocation très vivante de cet artiste extravagant accablé par le destin

  • J'ai tenté de le faire parler de la façon dont il s'exprimait en avalant les mots. Ce ne devait pas toujours être facile à comprendre. Il avait beaucoup d'humour, comme vous Emma : « Non, je vous assure, chère madame, que j’bois sans danger… j’suis si près de la terre, hein ? »
    Très belle journée, Emma.

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