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Eugène DELACROIX écrivain

 

Journal – 7. Extraits choisis, année 1849

 

 

     Le Salon ouvre ses portes le 15 juin 1949. Delacroix va y exposer une seconde version des « Femmes d’Alger », plus petite que la grande peinture de 1834. Les femmes, présentées dans des poses semblables à la première, sont observées de plus loin dans un effet de clair-obscur se rapprochant de la narration vécue d’une visite du harem par le peintre Charles Cournault en 1832 :  « Lorsqu’après avoir traversé quelque couloir obscur, on pénètre dans la partie de la maison qui leur est réservée, l’œil est vraiment ébloui par la vive lumière, par les frais visages de femmes et d’enfants, apparaissant tout à coup au milieu de cet amas de soie et d’or ».

 

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Eugène Delacroix – Femmes d’Alger dans leur intérieur, 1849, musée Fabre, Montpellier

 

 

 

LE JOURNAL

 

 

     L’agenda du journal de l’année 1848 ne semble pas avoir été conservé. Il pourrait avoir été perdu. L’artiste n’a peut-être pas rédigé de notes cette année là…

 

 

 

 

    Eugène Delacroix se moque souvent de ses contemporains. Dans les quatre extraits ci-dessous de février et mars 1849, il croise certains personnages en rapportant leurs travers ou bêtises.

 

Paris, 10 février 1849

[…]

Chez Pierret le soir : beaucoup de monde. J’y ai vu Lassus, perdu de vue depuis longtemps.

Un imbécile nommé M…, que je n’y avais pas vu depuis longtemps, y était en toilette exacte et ganté hermétiquement. Il a l’air de se croire beau ou intéressant pour le sexe ; cela lui impose la tenue. Je ne mentionne ceci que parce que, à propos de cet individu qui n’est qu’un fat, j’ai pensé à certains hommes à bonnes fortunes, qui sont les victimes de l’obligation où ils se croient d’être toujours beaux.

 

 

Paris, 26 février 1849

 

Fait peu de chose… Dîné chez Bixio avec Lamartine, Mérimée, Malleville, Scribe, Meyerbeer et deux Italiens. Je me suis beaucoup amusé ; je n’avais jamais été aussi longtemps avec Lamartine.

Mérimée l’a poussé au dîner sur les poésies de Pouchkine, que Lamartine prétend avoir lues, quoiqu’elles n’aient jamais été traduites par personne. Il donne le pénible spectacle d’un homme perpétuellement mystifié. Son amour-propre, qui ne semble occupé qu’à jouir de lui-même et à rappeler aux autres tout ce qui peut ramener à lui, est dans un calme parfait au milieu de cet accord tacite de tout le monde à le considérer comme une espèce de fou. Sa grosse voix a quelque chose de peu sympathique.

 

 

Paris, 8 mars 1849

 

Le soir, Chopin (Chopin est très malade et mourra la même année). Vu chez lui un original qui est arrivé de Quimper pour l’admirer et pour le guérir.

C’est un amateur forcené de musique ; mais son admiration se borne à peu près à Beethoven et à Chopin. Mozart ne lui paraît pas à la hauteur de ces noms-là ; Cimarosa est perruque, etc.

Il faut être de Quimper pour avoir de ces idées-là, et pour les exprimer avec cet aplomb : cela passe sur le compte de la franchise bretonne… Je déteste cette espèce de caractère ; cette prétendue franchise à l’aide de laquelle on débite des opinions tranchantes ou blessantes est ce qui m’est le plus antipathique. Il n’y a plus de rapports possibles entre les hommes, s’il suffit de cette franchise-là pour répondre à tout. Franchement il faut, avec cette disposition, vivre dans une étable, où les rapports s’établissent à coups de fourche ou de cornes ; voilà de la franchise que je préfère.

 

 

Paris, 21 mars 1849

[…]

Je suis entré à la Madeleine, où l’on prêchait. Le prédicateur, usant d’une figure de rhétorique, a répété dix ou douze fois, en parlant du juste : Il va en paix !… il va en paix ! « Va en paix » a été ce qu’il y a eu de plus remarquable dans son discours. Je me suis demandé quel fruit pouvait résulter des lieux communs répétés à froid par cet imbécile. Je suis obligé de reconnaître aujourd’hui que cela va avec le reste, fait parti ? de la discipline comme le costume, les pratiques, etc… Vive le frein !

 

 

 

 

     A la belle saison, l’artiste passe du temps à Champrosay où il apprécie le spectacle de la nature. En 1848 il a travaillé longuement sur de grandes compositions de fleurs qu’il va présenter au Salon.

 

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Eugène Delacroix – Corbeille de fleurs renversée dans un jardin ,1849, The Metropolitan Museum of Art, New York

 

 

Valmont, 9 octobre 1849

 

Par quelle triste fatalité l’homme ne peut-il jamais jouir à la fois de toutes les facultés de sa nature, de toutes les perfections dont elle n’est susceptible qu’à des âges différents ? Les réflexions que j’écris ici m’ont été suggérées par cette parole de Montesquieu, que je trouvai ici ces jours-ci, à savoir qu’au moment où l’esprit de l’homme a atteint sa maturité, son corps s’affaiblit.

Je pensais à propos de cela qu’une certaine vivacité d’impression, qui tient plus à la sensibilité physique, diminue avec l’âge. Je n’ai pas éprouvé, en arrivant ici, et surtout en y vivant quelques jours, ces mouvements de joie ou de tristesse dont ce lieu me remplissait, mouvements dont le souvenir m’était si doux… Je le quitterai probablement sans éprouver ce regret que j’avais autrefois. Quant à mon esprit, il a, bien autrement qu’à l’époque dont je parle, la sûreté, la faculté de combiner, d’exprimer ; l’intelligence a grandi, mais l’âme a perdu son élasticité et son irritabilité. Pourquoi l’homme, après tout, ne subirait-il pas le sort commun des êtres ? Quand nous cueillons le fruit délicieux, aurions-nous la prétention de respirer en même temps le parfum de la fleur ? Il a fallu cette délicatesse exquise de la sensibilité au jeune âge pour amener cette sûreté, cette maturité de l’esprit. Peut-être les très grands hommes, et je le crois tout à fait, sont-ils ceux qui ont conservé, à l’âge où l’intelligence a toute sa force, une partie de cette impétuosité dans les impressions,… qui est le caractère de la jeunesse ?

 

 

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Eugène Delacroix – Odalisque, 1849, musée du Louvre, Paris

 

 

     Mort de Chopin.

 

Fécamp, 18 octobre 1849

 

J’ai appris, après déjeuner, la mort du pauvre Chopin. Chose étrange, le matin, avant de me lever, j’étais frappé de cette idée. Voilà plusieurs fois que j’éprouve de ces sortes de pressentiments.

Quelle perte ! Que d’ignobles gredins remplissent la place, pendant que cette belle âme vient de s’éteindre !

 

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Eugène Delacroix – Portrait de Frédéric Chopin, 1838, musée du Louvre, Paris

 

 

Commentaires

  • Le journal de l'artiste enrichit la perception que nous avons de son oeuvre.
    Merci pour les extraits et pour les tableaux présentés.
    Passe une douce journée Alain.

  • Ce journal, dont je ne donne que de courts extraits, est souvent passionnant par la multiplicité des centres d’intérêts de Delacroix. Cela me permet parfois, ce qui n’est pas le cas pour cette année 1849, de faire coïncider les mots avec les œuvres. J’aurais aimé le faire dans mon article précédent sur « La mort de Sardanapale », mais il n’y avait pas de journal et de mots pour en parler.
    Beau dimanche.

  • "Dîné avec Lamartine, Mérimée, Meyerbeer..." waouh ! passionnant ce journal qui nous plonge "en live" dans ce siècle si riche en artistes et créateurs

  • Un siècle passionnant. Delacroix, assez mondain, passait beaucoup de temps dans des soirées où il rencontrait les célébrités de son époque. Il ne leur faisait pas de cadeaux comme on peut le voit pour Lamartine.
    Beau dimanche.

  • Effectivement, pas de cadeaux ! Que ce soit ici vis-à-vis du prédicateur de la Madeleine ou de Lamartine.
    Mais m'étonne quand même ce portrait charge à propos de ce dernier.
    Peut-on vraiment unanimement considérer comme "fou" quelqu'un qui joua un rôle non négligeable dans la politique française lors de la Révolution de 1848 ?
    Peut-on considérer comme "fou" quelqu'un qui, au sein même de la Deuxième République qu'il venait d'instaurer, occupa, quelques mois seulement, c'est vrai, les fonctions de ministre des Affaires étrangères ?

    L'on sait, toujours d'après son Journal, que Delacroix n'appréciait pas vraiment les "Méditations", voire d'autres textes de Lamartine ... mais de là à entériner l'avis qui semble général de le considérer comme "fou", il y a une marge.

  • Il faut effectivement reconnaître que les deux critiques que tu mentionnes semblent vraiment excessives, voir grossières envers ces personnages.
    Beaucoup de personnes aimeraient avoir la folie de Lamartine…
    Belle journée Richard

  • Je suis toujours admirative du caractère passionné et direct de ce Delacroix!! et puis, cette époque où il côtoie maintes lumières de tous horizons!! Merci Alain!! le tableau "corbeille de fleurs dans le jardin" est tellement magnifique!!!!!! Bisous Fan

  • C'est pour toi que j'ai mis ce tableau de fleurs que je t'avais annoncé dans une précédente réponse. Parfois l'artiste aimait peindre des fleurs lorsqu'il partait à la campagne.
    Oui, il ne mâchait pas ses mots notre écrivain. Tout le monde en prenait pour son grade.
    Travaillant sur Delacroix, je suis allé revoir son musée, ancien appartement derrière l'église de Saint Germain des près. Je publierai des photos de son dernier lieu de vie.
    Beau dimanche.

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