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2. Maurice Quentin de La Tour, prince du pastel

 

     A la suite de ma visite au Louvre de la superbe exposition « PASTELS du musée du Louvre 17e et 18e siècles », et après un premier article sur Rosalba Carriera dont la venue à Paris en 1720 lança la mode du pastel en France au 18e siècle, je consacre le présent article au plus célèbre des pastellistes français Maurice Quentin de la Tour qui s’inspirera beaucoup de la vénitienne.

 

« Que d’attentions, que de combinaisons, que de recherches pénibles pour conserver l’unité de mouvements malgré les changements que produit sur la physionomie et dans les formes la succession des pensées et des affections de l’âme ! »

 

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Maurice Quentin de La Tour – Autoportrait à l’œil-de-bœuf ou à l’index, 1737, musée du Louvre, Paris

 

 

     A la suite de son agrément le 25 mai 1837 à l’Académie royale de peinture pour plusieurs de ses ouvrages, dont celui de Voltaire, l’Académie demande à Maurice Quentin de La Tour différents portraits comme morceaux de réception. Cinq pastels seront exposés au Salon de 1738 dont celui de mademoiselle de la Boissière.

    Dans une lettre, ci-dessous, de septembre 1738 à une marquise « Description raisonnée des tableaux exposés au Louvre », le chevalier Noeufville de Brunaubois-Montador décrit avec talent ce qui caractérise la peinture de ce pastelliste encore peu connu et qui va le distinguer de la plupart des autres pastellistes du siècle : ne pas se contenter de fixer la ressemblance mais laisser apparaître l’âme du modèle.

« Quelque admiration qu’on ait donné à tout ce dont je viens de vous entretenir, Madame ; il faut en redoubler à la vue des Pastels de M. La Tour. Il en a produit cinq. C’est la nature même pour la vérité de la ressemblance. (…)

De même que celui de Melle La Boissière, à laquelle il a su conserver toutes les grâces qu’on lui connaît, et qui, sans la rendre belle, lui donnent le triomphe sur la beauté. Son attitude est aisée, naturelle, et artistement négligée. Elle est appuyée sur une fenêtre, les mains passées dans un de ces petits manchons, que vous avez pris en déplaisance, mais avec lesquels vous vous réconcilierez en faveur de celui-ci. Rien n’est plus léger et plus spacieux que sa Touche. On voit, on sent, on croit aller toucher tout ce qu’il peint. C’est du velours, c’est une pelisse, c’est de la gaze ; il n’est pas possible que ce ne soit qu’une imposture de couleurs. »

 

     La demoiselle à 16 ans, un sourire malicieux. Les yeux noirs semblent se moquer du peintre en train de la portraiturer.

 

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Maurice Quentin de La Tour – Marie-Louise Gabrielle de La Fontaine Solare de La Boissière, 1738, musée du Louvre, Paris

 

  

    Qui est cette jeune religieuse aux yeux bleus ? Serait-elle un membre de la famille de Maurice Quentin de La Tour ? Elle semble surprise, peinture,louvre,quentin de la tourdérangée, en train de feuilleter un livre de musique. L’artiste a déposé un point blanc, comme une goutte, sur la pointe du nez accrochant la lumière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

    

Maurice Quentin de La Tour – Portrait de religieuse, 1740, musée du Louvre, Paris

 

     L’artiste eut beaucoup de mal à obtenir du roi Louis XV quelques séances de pose.

Belle prestance, ce monarque !peinture,,louvre,quentin de la tour

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 Maurice Quentin de La Tour – Louis XV, roi de France, 1748, musée du Louvre, Paris

 

     Toute la qualité des pastels de La Tour apparaît dans ce portrait. De cette épouse de Louis XV, qui se sait pas très belle, il fait un portrait exceptionnel. La qualité technique de la robe à damiers et rubans est superbe mais l’essentiel est dans la représentation que l’artiste fait de la reine. Tous ceux qui voyaient ce tableau le considéraient comme un chef-d’œuvre. Contrairement à d’autres peintres qui avaient peint la reine, La Tour, dans les gestes, l’ovale de la figure avec un large front, cet air affable, avait su exprimer la gentillesse, la bonté qui se dégageait de cette femme de 45 ans.

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Maurice Quentin de La Tour – Marie Leszcynska, reine de France,1745, musée du Louvre, Paris

 

 

     Les personnes que la technique du pastel intéressent retiendront la confession que Quentin de la Tour fit au marquis de Marigny en 1763 sur la difficulté de peindre des portraits au pastel :

 

« (...) C’est un nouveau portrait à chaque changement ; et l’unité de lumière qui varie et fait varier les tons de couleurs suivant le cours du soleil et le temps qu’il fait ! Ces altérations sont d'autant plus perfides qu'elles arrivent insensiblement. Un homme dévoré de l’ambition de son art est bien à plaindre d’avoir à combattre tant d’obstacles.

Le pastel, Monsieur le Marquis, en fournit encore d’autres, tels que les poussières, la faiblesse de certaines couleurs. Jamais un ton juste, être obligé de faire les teintes sur le papier et de donner plusieurs coups avec différents crayons au lieu d’un, risquer d’altérer le mérite de la touche et de n’avoir point de ressources si l’esprit en est ôté. A l’huile, les teintes se font au bout du pinceau, la touche reste pure, et quand on a le malheur d’avoir gâté son ouvrage, il est facile, en effaçant sa faute, de retrouver ce qui était en dessous.

(…)

Il faudrait être à ma place pour sentir les efforts que je fais pour mettre une figure et une tête ensemble dans les règles de la perspective. Les angles sont si courts que la personne qu’on peint de près ne peut pas regarder des ses deux yeux à la fois l’oeil du peintre. Ils vont et viennent sans jamais être ensemble. C’est pourtant de leur parfait accord que résultent l’âme et la vie du portrait. De la naissent les inquiétudes qui occasionnent tant de changements qu’ils font passer le malheureux peintre pour fou ou tout au moins capricieux, fantasque… »

 

     En 1753, La Tour fit le portrait de Jean Le Rond d’Alembert, homme de lettre. Une fois de plus, le peintre avait su saisir l’esprit du personnage. Comment ne pas ressentir l’intelligence de ce scientifique qui entrait à l’Académie des sciences à l’âge de 23 ans, et publiait à 30 ans, associé avec Denis Diderot, L’Encyclopédie dont il rédigea le discours préliminaire.

 

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Maurice Quentin de La Tour – Jean Le Rond d’Alembert, 1753, musée du Louvre, Paris

 

     La Tour peint pour la première fois un enfant. Le tout jeune prince, futur Louis XVIII, a belle allure sous le crayon de l’artiste.peinture,,louvre,quentin de la tour

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

    

Maurice Quentin de La Tour – Louis Stanislas Xavier, comte de Provence, futur Louis XVIII, 1762, musée du Louvre, Paris

 

  En 1761 La Tour ne représente pas en peintre son vieil ami Chardin mais peinture,louvre,quentin de la touren bourgeois élégant, la perruque poudrée, l’air satisfait du nouveau trésorier chargé de l’accrochage du Salon de l’Académie.

     Chardin va garder le tableau jusqu’en 1774, année où il démissionne de sa charge de trésorier pour des raisons de santé. Il fait savoir à l’assemblée qu’il serait flatté que l’Académie accepte de placer le portrait de La Tour dans l’Académie, ce qui se fera en présence de Chardin en 1775. En 1797 il sera l’un des tout premiers pastels exposé dans le nouveau musée.

 

 

Maurice Quentin de La Tour – Jean-Baptiste Siméon Chardin, 1760, musée du Louvre, Paris

 

 

     J’ai gardé pour la fin de mon article l’œuvre la plus célèbre des pastels du 18e en France peint par Maurice Quentin de La Tour : la marquise de Pompadour.

     A l’occasion de l’exposition du Louvre une importante restauration du tableau a été faite et a permis d’en savoir davantage sur l’œuvre peinte entre 1752 et 1755 à la suite d’une commande de la marquise. Le grand tableau présent dans l’exposition est magnifique et semble avoir gardé sa fraicheur du jour de sa présentation au Salon de 1755.

 

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Maurice Quentin de La Tour – Jeannne Antoinette Lenormant d’Étiolles, marquise de Pompadour, 1755, musée du Louvre, Paris

 

 

    Compte tenu du format exceptionnel du portrait, La Tour n’obtint de la marquise peinture,louvre,quentin de la tourque quelques séances de travail en sa présence afin de fixer le plus important : les traits du visage. Ainsi, l’artiste pouvait terminer le tableau dans le calme de son atelier. Trois préparations du visage ont été retrouvées dans le fonds d’atelier du maître. Le peintre avait apparemment une idée précise de l’orientation qu’il comptait donner au modèle.

 

 

 

 

     L’artiste avait une technique bien à lui qu’il utilisait parfois pour les grands formats afin de ne pas importuner le modèle en le laissant poser trop longtemps. La Tour prépara le portrait en pied dans son atelier sur huit grandes feuilles de papier bleu superposées pour obtenir la surface voulue. Une feuille de papier fut ensuite collée à l’emplacement prévu pour le visage et le buste de la marquise. Puis, s’inspirant de sa meilleure étude de visage, il put mettre en couleur la feuille collée en la chargeant de pastel pour la raccorder à l’ensemble et permettre de dissimuler les contours de l’empiècement.

     Il s’agit là d’un travail d’une grande précision dans lequel le peintre excellait. Il fit peinture,louvre,quentin de la tourplusieurs autres modifications : la main droite fut reprise.

 

 

 

 

 

 

 

     Il retravailla le pied gauche du modèle qui ne lui convenait pas.peinture,,louvre,quentin de la tour 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     Sur la console l’emplacement de l’Encyclopédie qui se trouvait auparavant plus à peinture,louvre,quentin de la tourgauche fut modifié. La Tour prenait un risque en provoquant le roi qui n’aimait pas ce livre dont les premiers volumes avaient été interdits en 1752 car certains textes défendaient des idées contraires à la religion et à l’autorité des rois. L’interdiction avait été levée en 1754. Peut-être l’idée de mettre le livre à la hauteur de la tête de la marquise venait-elle de celle-ci qui manifestait ainsi sa liberté de penser.

 

   Lorsque l’œuvre fut présentée au Salon de 1755 elle divisa les amateurs pour la beauté de la toile ou pour la non-acceptation de l’Encyclopédie figurant en bonne place derrière la marquise.

 

     Ce tableau restera un des chefs-d’œuvre du pastel et de l’art français.

 

 

*

 

 

J'ai récemment écrit un article d’hommage à l’occasion du décès du grand comédien JEAN PIAT.

A nouveau, le décès de CHARLES AZNAVOUR nous a tous bouleversés. Plein d’hommages lui ayant déjà été adressés, je rappellerai simplement les dernières paroles d’une de ses magnifiques chansons qui raisonnent encore en moi :

 

On a souvent besoin d'un bain d'adolescence

C'est doux de revenir aux sources du passé
Je voudrais si tu veux sans vouloir te forcer 
Te revoir à nouveau enfin si c'est possible
Si tu en as envie si tu es disponible
Si tu n'as rien oublié
Comme moi, oui moi qui n'ai, qui n'ai rien oublié
Non rien

 

A bientôt Charles

 

 

Commentaires

  • Quel enthousiasmant voyage au sein des pastels tu nous offres, Alain, en nous donnant à voir cette exposition par tes yeux et au travers de ton propre ressenti ...

    Dans un contexte autre que celui principal de ton article, contexte dans lequel je me retrouve depuis quelques mois, que j'aime cet alexandrin, indépendamment du sujet traité par Charles Aznavour dans sa chanson :

    "C'est doux de revenir aux sources du passé ..",

    se rappelant qu'il est précédé de :

    "On a souvent besoin d'un bain d'adolescence "

  • Effectivement il manquait la phrase que tu mentionnes dans cette fin de la chanson d’Aznavour. Je l’ai rajoutée.
    Pour le pastel, j’ai fait le maximum pour montrer le talent de Maurice Quentin de La Tour. Ce qui le différenciait des autres était l’âme des personnages qui sautait aux yeux dès que l’on voyait un de ses tableaux.
    Belle journée proustienne, Richard.

  • Merci Alain pour ce voyage en douceur pastel !! Mon préféré reste celui de Madame la Marquise de Pompadour!! Quelles grâce et quelle finesse !de plus, l'audace des livres insérés sur ce tableau plus la feuille de journal !! je suis béate d'admiration!! Toi, qui a aimé pratiqué le pastel, tu devrais nous montrer un peu tes oeuvres en toute modestie bien sur!! Perso, c'est le seul médium que je n'ai pas tenté!! trop timide sans doute!! Bisous Fan

  • La Marquise est le chef-d’œuvre de Maurice Quentin de La Tour. Un énorme travail comme je l’explique dans l’article. La restauration lui a donné une nouvelle jeunesse.
    Tu aurais du tenter le pastel. Je pense que cela t’aurait plu. Malgré l’apparente rapidité de résultats qui peuvent paraître intéressants, il faut se méfier car le pastel est difficile. Les mélanges sont interdits et l’on ne peut guère repasser sur une première couche sans fixer la première. Et encore, car le fixatif fait perdre de la fraîcheur au pigment… De plus les tableaux restent éternellement fragiles. Mais si l’on sait les conserver, ils ne bougeront plus.
    Mes tableaux ne sont pas exceptionnels, dans le style impressionniste que j’aime. J’ai couvert les murs chez moi. Je n’arrive pas vraiment à les photographier car ils sont sous verre et la photo est mauvaise. Le récit qui clôturera mon dernier article est en partie autobiographique, cela te donnera une idée de mon activité ancienne.
    Belle journée Fan

  • Magnifique article au sujet d'un artiste plein de sensibilité!
    La sensibilité anime les artistes mais elle est plus ou moins perceptible en fonction de tel ou tel...
    J'ai toujours aimé Maurice Quentin de La Tour qui figure en bonne compagnie dans les chapitres de mon Doctorat d'Histoire de l'Art qui portait sur le 18e siècle.
    Quelque chose de très "humain" nous happe à travers les regards de ses personnages
    Bon week-end Alain et pensées d'amitié
    Cendrine

  • Quentin de La Tour est certainement le meilleur des pastellistes français du 18e. Le plus demandé par la cour est les collectionneurs. S’il n’arrivait pas à capter l’âme de ses modèles, il laissait tomber plutôt que de faire un portrait qui n’exprime rien.
    Belle journée Cendrine

  • Et merci pour l'hommage concernant Mr Charles...
    beaucoup de souvenirs à travers ses chansons que jamais je n'oublierai...
    Cendrine

  • Le grand Charles vivra éternellement. Les hommes de talent ne sont jamais oubliés.
    Amitiés

  • le maitre !!!! vraiment, le pastel est roi pour le portrait - la marquise est somptueuse, mais les tons de la peau de son autoportrait sont extraordinaires, le bleuté de la barbe, les lèvres, les veines des mains, quelle merveille ! tu nous instruis beaucoup avec tes articles fouillés et si bien documentés - j'aimerais plus de détails sur la façon dont il travaillait et en particulier ses supports, gigantesques parfois, papier marouflé ? chevalet ?
    je me réjouis que tu aies prévu de montrer tes propres pastels, j'ai essayé de m'y frotter (le terme est bien choisi je trouve ) (http://emmabarbouille.eklablog.com/soleil-soleil-a93174505) mais ai été dégoutée par l'avis d'un maitre d'atelier qui m'a dit sur un ton ironique que je ferais merveille sur les cartes de voeux de l'UNICEF

  • Le tableau de marquise de Pompadour est le pastel le plus admiré au Louvre lorsqu’il est, pas souvent, présenté au public.
    Le peintre l’a peint grandeur nature. En raison du format exceptionnel du portrait, celui-ci fut fait en plusieurs fois : en présence de la marquise pour les traits du visage comme je le montre, ensuite le portrait en pied dans l’atelier.
    Il s’agit d’un assemblage de huit feuilles de papier bleu collées à joints couvrants sur lequel ont été collées deux autres feuilles aux contours irréguliers et amincis pour le visage et la main droite. L’ensemble a été marouflé sur toile avant d’être tendu et cloué au pourtour de l’oeuvre sur un châssis.
    Les collages du visage et de la main n’avaient pu se faire que sur une surface qui n’était pas encore couverte de pastel. Une fois collée les feuilles avaient pu être mises en couleur et chargées de pigments afin de raccorder les parties à l’ensemble et de dissimuler les contours de l’empiècement. C’est un beau travail que l’artiste faisait assez souvent.
    Comme je le dis à Fan le 5e article que je publierai sur le pastel est un récit en partie autobiographique. Pour vous faire plaisir, je montrerai un ou deux de mes anciens tableaux que j’ai pu photographier avant la mise sous verre.
    Pour ton pastel, je trouve que ton maître d’atelier est vraiment injuste car, comme le disent tous les commentaires que tu as reçus, je trouve cette jeune femme très jolie et d’une sensualité douce, un peu comme les Madones anciennes. Les cheveux roux font ressortir la blancheur diaphane de la peau. Tu as utilisé le pastel en estompant contrairement à moi qui avais tendance, peut-être à tort, à l’utiliser comme les impressionnistes par petites touches.
    Belle journée Emma.

  • Magnifiques portraits, j'adore ce peintre !
    Et merci pour ces mots d'Aznavour.
    Il ne faut rien oublier. :)
    Passe une douce journée.

  • Oui, c’est très beau. Pour moi, le pastel apporte quelque chose de vivant, de vrai, totalement différent de l’huile. Les personnages de La Tour semblent nous parler.
    La suite de ma visite te plaira certainement. Les autres peintres exposés étaient également d’un très haut niveau.
    Belle journée.

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