Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Genèse de l'impressionnisme

 

1 - Un art de lumière

 

 

     En cette fin de 19e siècle en France, l’aventure impressionniste révolutionne la peinture, chamboule l’art académique.

    Quelle aventure en effet ! Cette période des années 1860 et 1870 voit la naissance d’un mouvement de jeunes peintres avant-gardistes, talentueux, qui n’ont qu’une seule idée en tête : faire connaître leur nouvelle conception de la peinture basée sur la prépondérance de la vision. Ils s’intéressent aux jeux des couleurs variant avec la lumière, aux sensations fugitives, à la captation de l’éphémère des choses.

 

    Plusieurs parties successives illustreront le thème que j’aborde aujourd’hui consacré à la genèse de l’impressionnisme : récits anciens réactualisés ; un étonnant article de journal de l’année 1874 ; nouvelles inédites ; compte-rendus d'expositions.

 

 

peinture, écriture, impressionnisme, monet, zola

Claude Monet – Impression, soleil levant, 1873, Musée Marmottan, Paris

 

 

Extraits des « Salons » du critique d’art Émile Zola

 

 

     Ami d’enfance de Paul Cézanne, Émile Zola fut très proche du mouvement impressionniste dont il sentit très tôt la modernité. Il commença à écrire comme critique d’art dans le journal L’événement en 1866. Ses comptes rendus de Salon eurent une grande audience.

     Tout en fustigeant les peintres académiques, son intuition et un goût très sûr l’incitèrent à constamment soutenir ses amis impressionnistes de la « Nouvelle peinture » qui étaient la plupart du temps refusés au Salon officiel.

 

Emile Zola – Mon Salon L’événement illustré, le 24 mai 1868

Les Actualistes

 

Les peintres qui aiment leur temps du fond de leur esprit et de leur cœur d’artistes, entendent autrement les réalités. Ils tâchent avant tout de pénétrer le sens exact des choses ; ils ne se contentent pas de trompe-l’œil ridicules, ils interprètent leur époque en hommes qui la sentent vivre en eux, qui en sont possédés et qui sont heureux d’en être possédés. Leurs œuvres ne sont pas des gravures de mode banales et inintelligentes, des dessins d’actualité pareils à ceux que les journaux illustrés publient. Leurs œuvres sont vivantes, parce qu’ils les ont prises dans la vie et qu’ils les ont peintes avec tout l’amour qu’ils éprouvent pour les sujets modernes.

Parmi ces peintres, au premier rang, je citerai Claude Monet. Celui-là a sucé le lait de notre âge, celui-là a grandi et grandira encore dans l’adoration de ce qui l’entoure. Il aime les horizons de nos villes, les taches grises et blanches que font les maisons sur le ciel clair ; il aime, dans les rues, les gens qui courent, affairés, en paletots ; il aime les champs de course, les promenades aristocratiques où roule le tapage des voitures ; il aime nos femmes, leur ombrelle, leurs gants, leurs chiffons, jusqu’à leurs faux cheveux et leur poudre de riz, tout ce qui les rend filles de notre civilisation. (…) 

J’ai vu de Claude Monet des toiles originales qui sont bien sa chair et son sang. L’année dernière, on lui a refusé un tableau de figures, des femmes en toilettes claires d’été, cueillant des fleurs dans les allées d’un jardin ; le soleil tombait droit sur les jupes d’une blancheur éclatante ; l’ombre tiède d’un arbre découpait sur les allées, sur les robes ensoleillées, une grande nappe grise. Rien de plus étrange comme effet. Il faut aimer singulièrement son temps pour oser un pareil tour de force, des étoffes coupées en deux par l’ombre et le soleil, des dames bien mises dans un parterre que le râteau d’un jardinier a soigneusement peigné. (…) Je voudrais voir une de ces toiles au Salon ; mais il paraît que le jury est là pour leur en défendre soigneusement l’entrée. Qu’importe d’ailleurs ! elles resteront comme une des grandes curiosités de notre art, comme une des marques des tendances de l’époque.

 

peinture,écriture,impressionnisme,monet,zola

Claude Monet – Femmes au jardin, 1867, musée d’Orsay, Paris

 

Émile Zola – Notes parisiennes

Une exposition : les peintres impressionnistes - L’Evénement illustré, le 19 avril 1877

 

Je crois qu’il faut entendre par des peintres impressionnistes des peintres qui peignent la réalité et qui se piquent de donner l’impression même de la nature, qu’ils n’étudient pas dans ses détails, ni dans son ensemble. Il est certain qu’à vingt pas on ne distingue nettement ni les yeux ni le nez d’un personnage. Pour le rendre tel qu’on le voit, il ne faut pas le peindre avec les rides de la peau, mais dans la vie de son attitude, avec l’air vibrant qui l’entoure. De là une peinture d’impression, et non une peinture de détails. Mais heureusement, en dehors de ces théories, il y a autre chose dans le groupe ; je veux dire qu’il y a de véritables peintres, des artistes doués du plus grand mérite.

Ce qu’ils ont de commun entre eux, je l’ai dit, c’est une parenté de vision. Ils voient tous la nature claire et gaie, sans le jus du bitume et de terre de Sienne des peintres romantiques. Ils peignent le plein air, révolution dont les conséquences seront immenses. Ils ont des colorations blondes, une harmonie de tons extraordinaires, une originalité d’aspect très grand. D’ailleurs, ils ont chacun un tempérament très différent et très accentué.

 

 

Émile Zola - Le naturalisme au Salon -  Juin 1880

 

   Dans ce compte rendu du Salon, Zola rend un magnifique hommage aux peintres impressionnistes.

 

J’arrive maintenant à l’influence que les impressionnistes ont en ce moment sur notre école française. (…) Les véritables révolutionnaires de la forme apparaissent avec M. Edouard Manet, avec les impressionnistes, MM. Claude Monet, Renoir, Pissaro, Guillaumin, d’autres encore. Ceux-ci se proposent de sortir de l’atelier où les peintres se sont claquemurés depuis tant de siècles, et d’aller peindre en plein air, simple fait dont les conséquences sont considérables. En plein air, la lumière n’est plus unique, et ce sont dès lors des effets multiples qui diversifient et transforment radicalement les aspects des choses et des êtres. Cette étude de la lumière, dans ses mille décompositions et recompositions, est ce qu’on a appelé plus ou moins proprement l’impressionnisme, parce qu’un tableau devient dès lors l’impression d’un moment éprouvée devant la nature.

Les plaisantins de la presse sont partis de là pour caricaturer le peintre impressionniste saisissant au vol des impressions, en quatre coups de pinceau informes ; et il faut avouer que certains artistes ont justifié malheureusement ces attaques, en se contentant d’ébauches trop rudimentaires. Selon moi, on doit bien saisir la nature dans l’impression d’une minute ; seulement, il faut fixer à jamais cette minute sur la toile, par une facture largement étudiée. En définitive, en dehors du travail, il n’y a pas de solidité possible.

D’ailleurs, remarquez que l’évolution est la même en peinture que dans les lettres, comme je l’indiquais tout à l’heure. Depuis le commencement du siècle, les peintres vont à la nature, et par des étapes très sensibles. Aujourd’hui nos jeunes artistes ont fait un nouveau pas vers le vrai, en voulant que les sujets baignassent dans la lumière réelle du soleil, et non dans le jour faux de l’atelier ; c’est comme le chimiste, comme le physicien qui retourne aux sources, en se plaçant dans les conditions mêmes des phénomènes. Du moment qu’on veut faire de la vie, il faut bien prendre la vie avec son mécanisme complet.

De là, en peinture, la nécessité du plein air, de la lumière étudiée dans ses causes et dans ses effets. Cela paraît simple à énoncer, mais les difficultés commencent avec l’exécution. Les peintres ont longtemps juré qu’il était impossible de peindre en plein air, ou simplement avec un rayon de soleil dans l’atelier, à cause des reflets et des continuels changements de jour. Beaucoup même continuent à hausser les épaules devant les tentatives des impressionnistes. Il faut être du métier effectivement pour comprendre tout ce que l’on doit vaincre, si l’on veut accepter la nature avec sa lumière diffuse et ses variations continuelles de colorations. A coup sûr, il est plus commode de maîtriser la lumière, d’en disposer à l’aide d’abat-jour et de rideaux, de façon à en tirer des effets fixes ; seulement, on reste alors dans la pure convention, dans une nature apprêtée, dans un poncif d’école. Et quelle stupéfaction pour le public, lorsqu’on le place en face de certaines toiles peintes en plein air, à des heures particulières ; il reste béant devant des herbes bleues, des terrains violets, des arbres rouges, des eaux roulant toutes les bariolures du prisme. Cependant, l’artiste a été consciencieux : il a peut-être, par réaction, exagéré un peu les tons nouveaux que son œil a constatés ; mais l’observation au fond est d’une absolue vérité, la nature n’a jamais eu la notation simplifiée et purement conventionnelle que les traditions d’école lui donnent.

De là, les rires de la foule en face des tableaux impressionnistes, malgré la bonne foi et l’effort très naïf des jeunes peintres. On les traite de farceurs, de charlatans se moquant du public et battant la grosse caisse autour de leurs œuvres, lorsqu’ils sont au contraire des observateurs sévères et convaincus. Ce qu’on paraît ignorer, c’est que la plupart de ces lutteurs sont des hommes pauvres qui meurent à la peine, de misère et de lassitude. Singuliers farceurs que ces martyrs de leurs croyances !

Voilà donc ce qu’apportent les peintres impressionnistes : une recherche plus exacte des causes et des effets de la lumière, influant aussi bien sur le dessin que sur la couleur.

M. Claude Monet s'était décidé, cette année, à envoyer deux toiles au Salon. Une de ces toiles seulement a été reçue, et avec peine, ce qui l’a fait placer tout en haut d’un mur, à une élévation qui ne permet pas de la voir. C’est un paysage, Lavacourt, un bout de Seine, avec une île au milieu, et les quelques maisons blanches d’un village sur la berge de droite. Personne ne lève la tête, le tableau passe inaperçu. Cependant, on a eu beau le mal placer, il met là-haut une note exquise de lumière et de plein air ; d’autant plus que le hasard l’a entouré de toiles bitumineuses, d’une médiocrité morne, qui lui font comme un cadre de ténèbres, dans lequel il prend une gaieté de soleil levant.

 

peinture,écriture,impressionnisme,monet,zola

Claude Monet – La Seine à Lavacourt, 1880, Dallas Museum of Art, Texas

 

     Rendez-vous la semaine prochaine pour un prochain article de cette série sur la genèse de l'impressionnisme. Bonnes vacances pour les voyageurs de la Toussaint.

 

 

Commentaires

  • Merci pour votre travail. J'attends la suite avec impatience. A la semaine prochaine.

  • J’espère que la suite ne vous décevra pas.
    Belle fin de journée Geneviève.

  • Quelle joie en lisant votre article! J'aime profondément les Impressionnistes, leur poésie, leurs couleurs, leur impondérable envol, j'ai pour eux une préférence née au premier regard. Monet ou Renoir me mettent le coeur à leur cadence. Merci pour vos articles qui nous donnent notamment l'avis de critiques qui les ont vu naître. Leurs commentaires mettent à leur juste place les émotions des premiers adeptes et le ricanement des autres. J'ai l'impression de plonger dans leur époque et presque de les connaître.

    Elle est magnifique votre "Histoire de l'Art"!

    Lorraine

  • Votre commentaire me fait vraiment plaisir Lorraine. Cela démontre que vous retrouvez la forme. Et votre dernier poème sur votre blog ne trompe pas. Nous attendons tous votre recueil de poèmes, dont j’ai vu que votre fille s’occupe. Votre talent mérite d’être lu.
    Je ne doute pas un instant que vous aimiez les impressionnistes. Comme vous, ils sont des poètes de la couleur. Et, évidemment, vous aimez les meilleurs : Monet et Renoir. Cela tombe bien car il sera beaucoup question d’eux dans mes prochains articles qui devraient vous plaire.
    Zola a beaucoup défendu ce groupe d’artistes qui peinaient à exister. Il les comprenait et savait leur donner vie. L’un des seuls à cette époque…
    Merci Lorraine pour mon « Histoire de l’Art ». Je ne suis pas à ce niveau. J’essaie seulement de parler avec passion des peintres que j’aime.
    Excellente fin de journée.
    Amicalement.

  • Que dire après Zola, il a admirablement parlé de Monet, et au delà quelle belle analyse de l’impressionnisme.. Dommage que cette admiration ait causé tant de chagrin à son ami Cézanne.

  • La thèse de la rupture entre Cézanne et Zola à la suite de la réception par Cézanne en 1886 du roman « L ‘œuvre » semble être débattue.
    La lettre inconnue retrouvée et vendue pas Sotheby’s en 2013 au Musée des lettres et manuscrits à Paris rebat les cartes. Cézanne, en novembre 1887, remercie son ami pour l’envoi de son dernier roman « La Terre » et lui annonce une visite prochaine.
    Il semblerait que d’autres lettres écrites pas la suite n’aient pas été retrouvées.
    Rien d’ailleurs ne prouve que Zola s’inspire de son ami Cézanne dans le héros Claude Lantier de son roman.

    http://www.societe-cezanne.fr/2016/07/09/cezanne-et-zola-la-fin-dune-amitie/

  • Belle idée de remettre les points sur les "i", Alain, en nous permettant de retourner aux sources de l'impressionnisme. Belle idée également de nous replonger dans le verbe haut de Zola qui n'est pas fait que de ces Rougon-Maquart dans lesquels, trop souvent, l'ont enfermé jadis nos professeurs ...

  • Il est vrai, Richard, que beaucoup de gens connaissent Zola essentiellement par sa série des Rougon-Macquart. À ses débuts, la critique d’art était une activité importante. Avec son style d’écriture, il était évidemment bon et très apprécié, surtout par les impressionnistes qui bénéficiaient le plus souvent de ses articles. Ils en avaient bien besoin.

  • Entièrement d'accord avec Lorraine ! "Elle est magnifique votre "Histoire de l'Art"! "
    Les impressionnistes je les aime tous ! Les plus souvent cités bien sûr, Monet, Renoir... mais J'ai un faible pour Pissarro le peintre mais aussi "l'homme" au grand coeur tout comme Caillebotte leur mécène, pour Sisley, Guillaumin le moins connu, et comme je suis languedocienne, Bazille mort trop tôt.
    Je les ai suivis, depuis très longtemps, des boucles de la Seine jusqu'en Normandie en faisant des photos sur les lieux que j'ai pu identifier où il ont peint, jeu de piste passionnant.
    J'ai été émue à Vétheuil sur la tombe de Camille Doncieux, émerveillée par le jardin de Monet à Giverny....suivi Sisley à Moret.... etc....

    Alors vous comprenez pourquoi j'attends la suite avec impatience ! J'ai tant de choses à découvrir pour cette période que j'aime !
    Bonne journée à tous

  • Je vois, Geneviève, que vous êtes une passionnée d’impressionnisme, ces peintres qui ont donné un coup de balai à l’art académique, ce qu’avaient déjà commencé à faire les Delacroix, Corot, Daubigny, et quelques autres peintres de l’Ecole de Barbizon.
    Vous avez du faire de belles balades en Normandie dont je connais bien tous les lieux que vous indiquez. On les retrouve un peu partout.
    La petite tombe de Camille, dont je parlerai cette semaine, à Vétheuil , entourée d’un ouvrage métallique, m’attriste toujours autant. Plus personne ne s’intéresse à la muse de Monet…
    Pauvre Bazille qui n’eut pas le temps de connaître le succès…
    Merci de parler de ces peintres avec cette chaleur.
    A bientôt.
    Belle journée.

  • Comme vous le savez, la documentation est le point de départ de tout récit. On ne peut parler d'histoire de l'art sans de solides références historiques. J'aurais aimé être historien pour fouiller dans des archives et trouver la perle rare. J'ai mal tourné...

  • Cette poésie impressionniste est tissée de charmes infinis... Toujours le regard peur s'enfoncer dans la couleur, à travers les nuages, attirer à lui des éclats de soleil, chevaucher la brume, galoper sur les feux de l'azur, s''imprégner de laves dansantes, se parer de mille et une nuances de lin et de soie...
    Magie de cette peinture que j'aime énormément, tout comme j'aime ce qu'on appelle avec mépris "Académisme"... Les oppositions, en ces "temps-là" comme de nos jours, ont tendance à me décevoir (on peut aimer une chose et ce qui est censé être son contraire) aussi j'apprécie tout particulièrement votre regard éclectique sur l'Art... L'Art qui est avant tout une Aventure, avec un grand A...
    Merci de ce magnifique travail Alain, amitiés et belle fin de journée
    Cendrine

    Je file de ce pas lire la suite de ces passions impressionnistes, encore merci

  • Ce sont surtout certains peintres académiques qui méprisaient les impressionnistes, ces barbouilleurs comme on les nommait.
    Il y avait une telle diversité dans les styles de peinture dans ce 19e mouvementé que l’on pouvait souvent se trouver en opposition dans ses choix.
    En matière d’art, il faut se laisser guider par ses propres sentiments et ne pas tenter de les imposer aux autres, ce qui me gêne souvent dans l’art contemporain.
    Merci pour votre lyrisme toujours aussi débridé.
    Belle journée.

Écrire un commentaire

Optionnel