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Les jumelles

 

 

      Je n’arrive pas à trouver ce qui cloche ?

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    Encore humide, allongé paresseusement sur ma serviette de plage, je les reluque avec un intérêt croissant. Avant de partir faire mes longueurs de bassin, je les avais déjà remarquées installées à 3 mètres de ma serviette.

     Je cherche. Le petit jeu de la différence m’amuse… Je n’ai jamais cru aux sosies parfaits. Il y a toujours un petit détail, quelque chose qui permet de distinguer deux personnes, même des jumeaux.

     Ces filles sont incroyablement semblables ? Les bustes sont courts, ramassés. Les jambes petites et galbées. Des visages sans âge, un peu vieillot malgré leur jeunesse certaine. Une épaisse tignasse brune frisée tirée en arrière est maintenue par un large turban noir en harmonie avec les maillots deux pièces de même couleur.

     Les jumelles arborent un teint cuivré du plus bel effet sur leurs serviettes de bain bleu fluo alignées pile poil à la même hauteur, côte à côte. Le soleil tape et je transpire copieusement.

 

 

     J’avais remarqué qu’elles changeaient de position toutes les vingt minutes. Etrange mimétisme…

     Actuellement, elles sont aplaties sur le ventre, les bras dans le prolongement du corps, les pieds recroquevillés. Seules leurs fesses au galbe sans défaut surmontent les serviettes. Rien ne bouge. Cela ne devrait guère tarder…

     Effectivement, elles entament la phase de retournement. La synchronisation est parfaite entre les deux sœurs, réglée au millimètre. La main droite s’appuie d’abord sur le sol, le bras plié, puis, dans le même mouvement, le buste suivi des jambes effectue une bascule arrière, une sorte de roulé boulé que le bras gauche amorti sans heurt. Elles se retrouvent aplaties sur le dos face au soleil. L’exercice s’est effectué avec une souplesse étonnante.

      Cette ressemblance totale, y compris dans des mimiques gestuelles, m’intrigue de plus en plus.

     D’un bloc, elles se lèvent et se dirigent vers l’eau qu’elles tâtent du pied avant de s’asseoir au bord du bassin. Leurs têtes tournées sur le côté, elles regardent je ne sais quoi qui semble les amuser. J’en profite pour examiner leurs deux profils qui se découpent dans la lumière solaire. Les lèvres sont entrouvertes. J’aperçois même les canines. Elles esquissent une sorte de grimace…un peu comme les tigres lorsqu’ils sentent une proie… Un sourire carnassier...

     Je meurs d’envie d’aller me rafraîchir à nouveau. Néanmoins, je continue d’observer ces jumelles trop parfaites.

     La plus à gauche plonge, suivie comme son ombre par la seconde. Elles se rejoignent en surface et amorcent un crawl peu vigoureux 07_07_61.JPEGparallèlement à la piscine. La nage manque de souplesse. De loin, je ne vois que leurs dos bronzés et leurs bras écopant l’eau maladroitement, en cadence.

     Une des sœurs a disparu. Se serait-elle noyée ? Non, je l’aperçois un peu plus loin ! Ai-je la berlue ? Elle s’est séparée de son sosie. Son mouvement de bras se précipite et elle entame une longueur de bassin avec, cette fois, un crawl dévastateur qui n’épargne guère les nageurs passifs alentour surpris par cette énergie soudaine. Un homme dont le crâne rasé dépasse se prend une superbe claque au passage. Je l'entends hurler un "pouffiasse !" en lui jetant un regard assassin qui la laisse indifférente.

     Les clones se rejoignent et sortent de l’eau. Elles reprennent la position allongée, le corps dans le prolongement exact du soleil. Etendues, elles me font penser à ces sarcophages égyptiens en bois peint que je vois parfois au Louvre.

 

     J’en ai marre de les observer. Elles n’ont même pas remarqué l’attention que je leur porte ?

     Maintenant, les fesses calées au centre de leurs serviettes, assises, les mains accrochées à leurs genoux, elles contemplent l’onde verte. Petits bouddhas mystérieux aux regards lointains…

     Le petit jeu finit par m’énerver. Il faut que je trouve la faille. Il y a bien un défaut dans ces silhouettes trop calquées ? Je les contemple discrètement une dernière fois de la tête aux pieds. Rien… C’est du copié collé ! Même les ongles sont peints de la même couleur : nacrée blanche sur les mains, rouge carmin sur les pieds. Pas une tache de rousseur ou le moindre grain de beauté apparent pour les différencier…

     Leurs copains ne doivent pas être à la fête, pensai-je, réjoui. Confrontés à une telle ressemblance, il devait bien arriver à ces pauvres garçons de se tromper, de les confondre l’une l’autre ? Peut-être même que les coquines, pour s’amuser, s’intervertissaient leurs hommes qui n’y voyaient que du feu ?

    Une des jeunes femmes sort son portable. Evidemment, le sosie fouille dans son sac de plage et se saisit du sien. J’examine les modèles : des Motorola argentés récents. Les mêmes… Elles composent un numéro. J’entends leurs voix suaves : « Allo ! Maman... » C’en est trop ! Ces filles appellent leur mère sur deux portables différents. Mais elles ont la même mère !...

 

     Mon cerveau bouillonne furieusement. Peut-être le soleil ? J’aurais dû prendre une casquette avant de venir.

     Dégoûté, je me lève et me dirige d’un pas mal assuré vers les vestiaires. Je me retourne. Je les vois à distance. Elles n’ont pas bougé, l’oreille collée au portable. Avec la mère…

     Troublé, je loupe la marche de l’entrée qui mène au bassin intérieur et m’étale lourdement sur le carrelage vert citron. Ma tête a cogné. Je reste un moment étendu, groggy.

     Je commence à retrouver mes esprits. Une jolie main manucurée m’aide à me relever. Une autre, accrochée à mon bras, me soutient…

     Le sourire carnassier…

     - Vous ne vous êtes pas fait mal, me lancent-elles d’un élan commun !

          

                                                                 Alain       

                                                                                                                                                                                                               

                                                                                                                                                                

 

Commentaires

  • Réponse à Grillon et Lady en balade :

    C’est en partie du vécu et beaucoup du fantasme. Quand à la quatrième dimension…
    C’est simplement une nouvelle imaginaire qui m’a été inspirée par la vision de jumelles dans une piscine.
    Je n’ai effectivement jamais été fichu de trouver un détail permettant de les différencier. L’imagination a fait le reste. Rien à voir avec la peinture…

  • Un moment je me suis demandée quelle peinture pouvait bien avoir suscité cette histoire, j'étais perplexe ! ça m'a bien fait rire de m'être posée la question ! on sent le vécu ! une jolie petite histoire légère pour l'été et les vacances, c'est bien imaginé merci ALAIN.

  • Il faut bien se changer les idées. Peut-être même que la prochaine fois je mettrai un poème avant d'aborder une rentrée plus fournie.
    Bon dimanche

  • Bonjour Alain,

    Il y a longtemps que nous ne nous étions pas écrit. Toujours mes félicitations pour le choix de vos subtiles sujets, que j'imprime toujours avec autant de joie.

    Par contre je suis étonnée que quelqu'un d'aussi poétique que vous n'aime pas l'opéra. Des voix pour moi c'est comme des étoiles qui scintillent dans mon coeur. Les vibrations qu'elles émettent me donne des frissons et beaucoup de bonheur. C'est dommage que vous n'éprouviez rien à leur écoute... Bon Wee-end.

    Cordialement. C.

  • Rien à voir avec une peinture ? Pas si certain que toi ...
    Et si "Ceci n'est pas une pipe" était devenu : "Celles-ci ne sont pas des jumelles" ?
    Un peu de surréalisme à la belge, non ?

    Quoi qu'il en soit, cette nouvelle histoire dès ma rentrée de vacances dans une Belgique évidemment pluvieuse m'a ravi : car si je n'ai fréquenté aucune plage, j'ai moi aussi constaté, au bord de certaines piscines privées, le jeu quasiment chronométré de belles se tournant dans tous les sens afin d'être uniformément bronzées (presque) partout ...

    Bravo pour cette humoristique historiette.

  • Bonjour Colette

    Je réponds tardivement pour cause de mariage landais.
    Je sens à vous lire que l’opéra vous fait vibrer. Je suis désolé mais j’ai vraiment un problème avec cet opéra. Pourquoi ?
    Effectivement, les voix sont très belles. J’aime les beaux textes et le fait de ne rien comprendre aux paroles doit m’enlever de la réceptivité. Pourtant, j’avais apprécié le final du « Dialogue des carmélites » vu récemment. Alors… il reste un espoir ?

  • Bonjour Richard

    Je rentre d’un mariage dans les Landes. J’espère que tu as passé de bonnes vacances malgré la météo. Satané soleil !
    Je n’avais pas pensé à Magritte en écrivant cette petite histoire effectivement un peu surréaliste. Ce côté un peu mystérieux de personnes aussi semblables (dont j’ai un peu exagéré les mimiques) aurait certainement pu inspirer ce grand peintre.
    Bon week-end.

  • Bonjour Alain, je viens enfin de mettre ton URL de blog sur le mien, je vais pouvoir lire avec tout l'intérêt que je leur porte, tes "posts" sur l'art!!! Comme je reviens la semaine prochaine, j'espère avoir le temps de m'y consacrer! En attendant BISOUS FAN (olgafg)

  • Bonjour Fan

    La lecture de mes histoires va prendre du temps. Qand on aime on ne compte pas...
    Bon dimanche

  • Excellent ! J'aime bien l'humour là-dedans... J'ai deux frangins jumeaux, mais faux, tu ne te serais jamais usé les nerfs en tentant de les différencier (tu en connais un... rappelle-toi notre virée au Louvre...)
    Bon début de semaine Alain et je file... comme l'araignée... (facile, je sais, mais c'est lundi et je sature un peu en tentant de rattraper mon retard hé, hé)

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