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Rechercher : un pastelliste heureux

  • La puce

     

     

     la tour - la femme à la puce - musée nancy.jpg

    Georges de la Tour – La femme à la puce, Musée historique lorrain, Nancy

     

       

     

    Poème

     

      Une jeune puce insouciante

     Escaladait nonchalante

     La manche tricotée

     D’un vieil homme attablé.

      

    Celui-ci, brusquement, leva son verre

     Dans une attitude familière,

     Bousculant la bestiole volage

     Qui plongea dans l’épais lainage.

      

    Le calme revenu aux alentours

     Et profitant d’un contre-jour,

     La puce se remit à sauter

     Sous l’œil surpris du bonhomme amusé.

      

    Etonné par son allure peu farouche

     Il l’examinait d’un œil louche,

     Evitant de trop bouger

     Ne voulant pas la déranger.

     

    L'animal s’aventura jusqu’à la main

     Qu’il escalada d’un bond opportun,

     Atterrissant sur le pouce

     Qui frémit sans aucune secousse.

      

    Le vieillard solitaire, en manque de tendresse,

     De la puce appréciait la joliesse,

     Admirait sa grâce coquine

     Et son allure mutine.

      

    Il s’apitoyait devant sa petitesse,

     Son apparente faiblesse,

     Pouvait-elle devenir son amie

     Pensait-il attendri ?

      

    La puce sautillait sur la peau accueillante,

     Souple et attirante.

     L’homme séduit, ravi,

     Etait heureux, déjà conquis.

        

    La puce prenait ses aises,

     Un petit doigt lui servit de trapèze,

     Elle s’élança vers l’annulaire

     D’une savante pirouette dans les airs.

     

    Le bonhomme voulu dans un élan de tendresse

     Lui donner une simple caresse.

     Il approcha doucement l’autre main

     Dans un geste incertain.

     

    Du vieillard, le discret mouvement furtif

     effraya l’insecte craintif.

      La puce hésita à piquer

     Et d’un saut s’enfuit apeurée.

      

    Accablé par sa maladresse,

     Le vieil homme, en grande détresse,

     contempla sa main désertée

     Par son amie soudainement envolée.

     

    Effondré, il saisit la bouteille familière,

     Sans hésiter approcha son verre,

     L’emplit du liquide carmin

     Et dans l’alcool noya son chagrin.

     

     

                                                                                               Alain

     

      

  • A Michel Delpech, le chanteur populaire

         

    michel delpech

     

         POPULAIRE : C'est le mot qui me vient à l'esprit lorsque je pense à Michel Delpech qui nous a quitté hier soir. Ce décès m'a profondément touché.

         Les artistes vraiment populaires, que ce soit en littérature, peinture ou musique, ne sont pas si nombreux. On ne sait pas bien pourquoi, ils nous parlent, nous accompagnent, on ne les oublie jamais, on les aime. 

         Michel Delpech a rejoint les noms des grands auteurs-interprètes de chansons aujourd'hui disparus : Jacques Brel, Georges Brassens, Jean Ferrat, Léo Ferré... Il appartient désormais au patrimoine de la chanson française.

         Comme je l’avais fait à la mort de Jean Ferrat en 2010, j’ai eu envie, en guise d’hommage, de déposer en vrac quelques bouts de refrains et phrases de chansons qui restent dans nos mémoires et qui, personnellement, me font du bien lorsque je les écoute :

     

         En premier, le refrain de ma chanson préférée de Michel : Chez Laurette

     

    C'était bien, chez Laurette
    Quand on faisait la fête
    Elle venait vers nous.. Lau - rette
    C'était bien, c'était chouette
    Quand on était fauché
    Elle payait pour nous.. Lau - rette

     

    Je ferais l'amoureux
    Pour te câliner un peu
    Pour un flirt avec toi
    Je ferais des folies
    Pour arriver dans ton lit
    Pour un flirt avec toi

     

     

    Si c'est fichu
    Entre nous,
    La vie continue
    Malgré tout.

    À présent, ça va beaucoup mieux
    Et finalement je suis heureux
    Que tu te fasses une vie nouvelle.
    Tu pourrais même faire aussi
    Un demi-frère à Stéphanie :
    Ce serait merveilleux pour elle.

     

     

    Par dessus l'étang
    Soudain j'ai vu
    Passer les oies sauvages
    Elles s'en allaient
    Vers le midi
    La Méditerranée
    Et tous ces oiseaux
    Qui étaient si bien
    Là-haut dans les nuages
    J'aurais bien aimer les accompagner
    Au bout de leur voyage

     

     

    Dieu ! Mais que Marianne était jolie
    Quand elle marchait dans les rues de Paris
    En chantant à pleine voix :
    "Ça ira ça ira... toute la vie."
    Dieu ! Mais que Marianne était jolie
    Quand elle embrasait le coeur de Paris
    En criant dessus les toits :
    "Ça ira ! Ça ira ! Toute la vie."
     

     

    J'ai mon rhumatisme
    Qui devient gênant.
    Ma pauvre Cécile,
    J'ai soixante-treize ans.
    Je fais de la chaise longue
    Et j'ai une baby-sitter.
    Je traînais moins la jambe
    Quand j'étais chanteur.

     

     

    Ils me disent, ils me disent :
    "Tu vis sans jamais voir un cheval, un hibou."
    Ils me disent :
    "Tu viens plus, même pour pécher un poisson.
    Tu ne penses plus à nous.
    On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue,
    On dirait que ça te gêne de dîner avec nous.
    On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue,
    On dirait que ça te gêne de dîner avec nous."

     

    O la vie la vie la vie la vie
    Si belle soit la vie c'est une tombola
    Mais la vie la vie la vie la vie
    Si moche soit la vie c'est un joli combat
    O la vie la vie la vie la vie
    Si belle soit la vie c'est une corrida
    Mais la vie la vie la vie la vie
    Si moche soit la vie c'est du beau cinéma

     

     

    Nous ne t'oublierons pas Michel. Tu restes dans nos coeurs.

     

     

     

    Je profite de cet article pour souhaiter une exceptionnelle année 2016 à tous mes amis blogueurs ou sur Facebook.

     

     

     

     

  • Une Joconde hollandaise peut en cacher une autre

     

    VERMEER Johannes - La jeune fille au chapeau rouge, 1667, National Gallery of Art, Washington

     

     

         La foule est impressionnante. Difficile d’approcher… Je contemple longuement le petit portrait installé dans une salle de la National Gallery…

         Le moins que l’on puisse dire est que cette « Jeune fille au chapeau rouge », minuscule tableau de Johannes Vermeer (22,8 x 18 cm), ne passe pas inaperçue ! La toile est tout aussi éblouissante que La jeune fille à la perle, la Joconde hollandaise qui m’avait fait l’aumône d’un sourire lors d’une visite au Mauritshuis à La Haye.

     

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    Johannes Vermeer – La jeune fille au chapeau rouge, 1667, National Gallery of Art, Washington

     

         Ma première impression, devant l’aspect du vêtement et l’étonnant chapeau rouge, est qu’il s’agit d’un jeune homme adolescent. Un regard plus inquisiteur ne peut tromper sur le sexe du personnage : un doux visage au regard curieux, des lèvres entrouvertes qui rappellent la bouche humide de La jeune fille à la perle, une boucle sous le lobe de l’oreille dans l’ombre des cheveux qui paraissent frisés.

         Nul doute, il s’agit bien d’une jeune fille, pensai-je ! Le génie du maître de Delft explosait dans cette peinture exceptionnelle de talent et de sensibilité. Je savais que certains historiens d’art, encore de nos jours, contestaient la paternité de l’oeuvre à Vermeer. Ma conviction intime est faite : seul Vermeer avait pu réaliser ce petit bijou.

         La technique est semblable aux tableaux de l'artiste peints à partir du milieu des années peinture, vermeer, national gallery, 1660 : légères touches de peinture transparente très diluée en glacis recouvrant de minces couches de pigments colorés plus opaques. Le résultat est lumineux…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

         Je remarque qu’un homme est installé à mes côtés et examine le tableau silencieusement.

         - Dire qu’elle a failli ne pas être attribué à Vermeer, lui dis-je en souriant ! Difficile de ne pas reconnaître la patte de l’artiste… Tout le talent du peintre est condensé dans ce petit portrait.

         L’homme était décomposé.

         - Ce peintre est un diable qui nous enserre dans ses griffes et ne nous lâche plus. Il utilise la technique des futurs « impressionnistes »... la lumière est disséminée sur toute la toile... mais il est meilleur qu’eux…

         Inconsciemment, il saisit mon bras et lance fougueusement :

         - Tout est admirablement peint : ce saisissant contraste de rouge vif et de bleu froid… les reflets subtils renvoyés par l’étrange chapeau à plumes rouge orangé en forme d’aile empourprant de flammèches les joues de la jeune fille… ce blanc éclatant sous le menton… tous ces rehauts clairs, virgules posées sur la robe, le chapeau et la tête de lion tout en bas… Vermeer est un magicien !

         Des gouttes de rosée étaient déposées sur la bouche et la pointe du nez. En m'approchant, je distinguai une minuscule tête d’épingle vert clair éveillant la pupille de l’œil droit. Jugeant sans doute que l’effet n’était peinture, vermeer, national gallery, pas suffisamment fort, en plein milieu de la toile, l’artiste avait brossé vigoureusement en pâte d’un blanc pur le plastron sous le menton de la femme, l’éclairant fortement et animant son visage. Vincent Van Gogh et ses pâtes épaisses écrasées puissamment aurait aimé ce travail, pensai-je…

     

     

     

     

     

         La fascination s’était installée dans le regard de mon voisin. Il va avoir du mal à s’en remettre, pensai-je, heureux pour lui.

         Troublé, je le laissai en pleine méditation et m'éloignai.

     

     

  • Eugène DELACROIX écrivain

     

    Journal – 6. Extraits choisis, année 1847

     

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    Eugène Delacroix – Autoportrait au gilet vert, 1837, musée du Louvre, Paris

     

     

         Au début de l’année 1847, Eugène Delacroix se décide à reprendre son journal qu’il avait abandonné en octobre 1824 pour se consacrer exclusivement à son métier de peintre.

        La carrière de l’artiste est à son sommet. Il est mêlé au mouvement intellectuel de son temps et connaît tous les hommes illustres. Dans son journal, écrit dans un agenda, il va parler d’un foisonnement de personnes, dont la plupart vont laisser une place dans le monde de la littérature, de la politique et des arts. Il y traite de tous les sujets : l’art, la littérature, la musique, la nature, la société, l’histoire. Il nous livre l’histoire d’une époque.

     

     

    LE JOURNAL

     

     

     

    Paris, mardi 19 janvier 1847

     

    […] J’écris ceci au coin de mon feu, enchanté d’avoir été, avant de rentrer, acheter cet agenda, que je commence un jour heureux. Puissé-je continuer souvent à me rendre compte ainsi de mes impressions ! J’y verrai souvent ce qu’on gagne à noter ses impressions et à les creuser, en se les rappelant.

     

     

    Paris, 25 janvier 1847

     

         Rubens, au 17e siècle, reçoit une commande du  prince-électeur Maximilien Ier de Bavière, sur le thème de la chasse, genre très populaire. Reprenant la composition de « La Bataille d’Anghiari » par Léonard de Vinci, il en fera un ensemble décoratif de 4 tableaux.

       Dans son journal, Delacroix les étudiera et parlera de deux de ces scènes particulièrement spectaculaires : La chasse aux tigres et La chasse à l’hippopotame.

     

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    Pierre Paul Rubens – Chasse à l’hippopotame et au crocodile, 1615, Alte Pinakothek, Maxvorstadt, Allemagne

      

    […]

         Au contraire (de la Chasse aux tigres), dans la Chasse à l’hippopotame, les détails n’offrent point le même effort d’imagination ; on voit sur le devant un crocodile qui doit être assurément dans la peinture un chef-d’œuvre d’exécution ; mais son action eût pu être plus intéressante. L’hippopotame, qui est le héros de l’action, est une bête informe qu’aucune exécution ne pourrait rendre supportable. L’action des chiens qui s’élancent est très énergique, mais Rubens a répété souvent cette intention. Sur la description, ce tableau semblera de tout point inférieur au précédent ; cependant, par la manière dont les groupes sont disposés, ou plutôt du seul et unique groupe qui forme le tableau tout entier, l’imagination reçoit un choc, qui se renouvelle toutes les fois qu’on y jette les yeux, de même que, dans la Chasse aux lions, elle est toujours jetée dans la même incertitude par la dispersion de la lumière et l’incertitude des lignes.

         Dans la Chasse à l’hippopotame, le monstre amphibie occupe le centre ; cavaliers, chevaux, chiens, tous se précipitent sur lui avec fureur. La composition offre à peu près la disposition d’une croix de Saint-André, avec l’hippopotame au milieu. L’homme renversé à terre et étendu dans les roseaux sous les pattes du crocodile, prolonge par en bas une ligne de lumière qui empêche la composition d’avoir trop d’importance dans la partie supérieure, et ce qui est d’un effet incomparable, c’est cette grande partie du ciel qui encadre le tout de deux côtés, surtout dans la partie gauche qui est entièrement nue, et donne à l’ensemble, par la simplicité de ce contraste, un mouvement, une variété, et en même temps une unité, incomparables.

     

     

    Paris, 26 janvier 1847

     

         Dîné chez M. Thiers. Je ne sais que dire aux gens que je rencontre chez lui, et ils ne savent que me dire. De temps en temps, on me parle peinture, en s’apercevant de l’ennui que me causent ces conversations des hommes politiques, la Chambre, etc.

        Que ce genre moderne, pour le dîner, est froid et ennuyeux ! Ces laquais, qui font tous les frais, en quelque sorte, et vous donnent véritablement à dîner… Le dîner est la chose dont on s’occupe le moins : on le dépêche, comme on s’acquitte d’une désagréable fonction. Plus de cordialité, de bonhomie. Ces verreries si fragiles… luxe sot ! Je ne puis toucher à mon verre sans le renverser et jeter sur la nappe la moitié de ce qu’il contient. Je me suis échappé aussitôt que j’ai pu.

     

     

    Paris, 4 février 1847

    […]

        Quel dommage que l’expérience arrive tout juste à l’âge où les forces s’en vont ! C’est une cruelle dérision de la nature que ce don du talent, qui n’arrive jamais qu’à force de temps et d’études qui usent la vigueur nécessaire à l’exécution.

     

     

    Paris, 1er mars 1847

     

    Dans le même temps où Delacroix reprend son journal début 1847, il commence une œuvre qui sera un grand motif de satisfaction : « Christ au tombeau ». Grâce à une palette ténébreuse il obtient une nouvelle maîtrise de l’émotion, et ainsi une unité dramatique et plastique qui le satisfont pleinement et qu’il reprendra dans d’autres toiles religieuses.

     

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    Eugène Delacroix – Christ au tombeau, 1847, Museum of Fine Arts, Boston

     

        Je me suis mis, après mon déjeuner, à reprendre le Christ au tombeau. C’est la troisième séance d’ébauche ; et, malgré un peu de malaise au milieu de la journée, je l’ai remonté vigoureusement et mis en état d’attendre une quatrième reprise.

         Je suis satisfait de cette ébauche, mais comment conserver, en ajoutant des détails, cette impression d’ensemble qui résulte des masses très simples ? La plupart des peintres, et j’ai fait ainsi autrefois, commencent par les détails et donnent l’effet à la fin.

        Quel que soit le chagrin que l’on éprouve à voir l’impression de simplicité d’une belle ébauche disparaître à mesure qu’on y ajoute des détails, il reste encore beaucoup plus de cette impression que vous ne parviendrez à en mettre quand vous avez procédé d’une façon inverse.

     

    Charles Baudelaire : "L’imagination de Delacroix ! Celle-là n’a jamais craint d’escalader les hauteurs difficiles de la religion ; le ciel lui appartient, comme l’enfer, comme la guerre, comme l’Olympe, comme la volupté. Voilà bien le type du peintre-poète ! Il est bien un des rares élus, et l’étendue de son esprit comprend la religion dans son domaine. Son imagination, ardente comme les chapelles ardentes, brille de toutes les flammes et de toutes les pourpres."

     

     

     

         Suivent quelques pensées diverses…

     

    Champrosay, 22 mai 1847

    […]

         Le bonheur matériel est donc le seul pour les modernes. La révolution a achevé de nous fixer à la glèbe de l’intérêt et de la jouissance physique. Elle a aboli toute espèce de croyance : au lieu de cet appui naturel que cherche une créature aussi faible que l’homme dans une force surnaturelle, elle lui a présenté des mots abstraits : la raison, la justice, l’égalité, le droit. Une association de brigands se régit aussi bien par ces mots-là que peut le faire une société moralement organisée. Ils n’ont rien de commun avec la bonté, la tendresse, la charité, le dévouement. Les bandits observent les uns avec les autres une justice, une raison qui les fait se préférer avant tout, une certaine égalité dans le partage de leurs rapines qui leur semble justice exercée sur des riches insolents ou sur des heureux qui leur semblent l’être à leurs dépens. Il n’est pas besoin d’y regarder de bien près pour voir que la société actuelle se gouverne à peu près d’après les mêmes principes et en en faisant la même interprétation.

     

     

    Paris, 9 juin 1847

    […]

        Chez la plupart des hommes, l’intelligence est un terrain qui demeure en friche presque toute la vie. On a droit de s’étonner en voyant une foule de gens stupides ou au moins médiocres, qui ne semblent vivre que pour végéter, que Dieu ait donné à ses créatures la raison, la faculté d’imaginer, de comparer, de combiner, etc., pour produire si peu de fruits.

         La paresse, l’ignorance, la situation où le hasard les jette, changent presque tous les hommes en instruments passifs des circonstances. Nous ne connaissons jamais ce que nous pouvons obtenir de nous-mêmes. La paresse est sans doute le plus grand ennemi du développement de nos facultés. Le Connais-toi toi-même serait donc l’axiome fondamental de toute société, où chacun de ses membres ferait exactement son rôle et le remplirait dans toute son étendue.

     

     

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    Eugène Delacroix – Bouquet de fleurs, 1848, musée du Louvre, Paris

     

     

         Des prosateurs…

     

    Paris, 19 septembre 1847

    […]

         Je vois dans les peintres des prosateurs et des poètes. La rime les entrave ; le tour indispensable aux vers et qui leur donne tant de vigueur est l’analogue de la symétrie cachée, du balancement en même temps savant et inspiré qui règle les rencontres ou l’écartement des lignes, les taches, les rappels de couleur, etc. Ce thème est facile à démontrer, seulement il faut des organes plus actifs et une sensibilité plus grande pour distinguer la faute, la discordance, le faux rapport dans des lignes et des couleurs, que pour s’apercevoir qu’une rime est inexacte et l’hémistiche gauchement ou mal suspendu ; mais la beauté des vers ne consiste pas dans l’exactitude à obéir aux règles dont l’inobservation saute aux yeux des plus ignorants : elle réside dans mille harmonies et convenances cachées, qui font la force poétique et qui vont à l’imagination ; de même que l’heureux choix des formes et leur rapport bien entendu agissent sur l’imagination dans l’art de la peinture.

        Les Thermopyles de David sont de la prose mâle et vigoureuse, j’en conviens. Poussin ne réveille presque jamais d’idée par d’autres moyens que la pantomime plus ou moins expressive de ses figures. Ses paysages ont quelque chose de plus ordonné, mais le plus souvent chez lui comme chez les peintres que j’appelle des prosateurs, le hasard a l’air d’avoir assemblé les tons et agencé les lignes de la composition. L’idée poétique ou expressive ne vous frappe pas au premier coup d’œil.

     

  • Au revoir Camille

     

    MONET Claude - Camille Monet sur sont lit de mort, 1879

     

     

    Vendredi 5 septembre 1879  

     

        Un silence glacial avait envahi la petite maison de Vétheuil faisant face à la Seine où Claude et Camille s’étaient installés l’année passée avec la famille Hoschedé. Les cris habituels des enfants ne raisonnaient plus.

     

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        Claude Monet avait souhaité rester seul à ses côtés. Une lucarne éclairait faiblement la pièce où elle reposait sans vie depuis ce matin.

         Camille… ma chère Camille… Enfin elle ne souffre plus…

         L’artiste contemplait le fin visage devenu rigide de sa femme. Il y avait un instant, le regard mouillé, il avait accroché autour de son cou, sous la parure transparente qui recouvrait le corps et le lit, le médaillon qu’il avait dégagé du mont-de-piété, et l’avait ensuite recouvert avec des fleurs. C’était le seul souvenir qu’elle avait conservé.

         Une mariée… Le voile en tulle qui enveloppait la jeune femme lui rendait l’apparence de la jeune mariée qui souriait à Claude, heureuse, le jour de leur mariage il y avait seulement neuf années.

       La tête de la morte avait été recouverte d’un bonnet qui lui enserrait les joues et le menton. Les yeux clos, elle semblait dormir paisiblement, dans un vague sourire.

      Le peintre se surprit à noter machinalement la décomposition des coloris que la mort imprimait sur le visage immobile. Il voyait des tonalités nuancées de mauve, de bleu, de jaune, des gris rosés. Il estimait les ombres, les endroits précis où la lumière se déposait sur le visage, le voile, le lit. Il percevait la succession des valeurs.

         La face ravagée de Camille devenait une réflexion picturale…

        C’était plus fort que lui. Un besoin organique qu’il ne maîtrisait pas le submergeait. Il prit une toile vierge suffisamment grande dans le sens de la hauteur, et son matériel de peintre.

         La toile se couvrait de touches immatérielles, de hachures colorées, nerveuses, inhumaines. Des formes estompées, floues, se recréaient, redonnaient une apparence à l’image de ce corps éteint. Monet peignait dans une sorte de détachement qui lui donnait la sensation inexplicable d’entrevoir un mystère, celui de la vie.

         Les traits émaciés de la femme qu’il aimait envahissaient la toile. C’était le plus beau portrait qu’il ait fait d’elle.

         La toile fraîche posée contre le mur près du lit, il fixa longuement le portrait de la femme qu’il avait peinte si souvent. Etrangement, il ne l’avait jamais sentie aussi près de lui que sur cette toile. Monet avait conscience qu’une période importante de son existence se terminait devant le visage glacé de cette morte dont les beaux yeux s’étaient définitivement fermés.

        Monet revoyait Camille si jolie qui posait inlassablement autrefois : la Femme à la robe verte des débuts de leur rencontre, celle dont l’ombrelle violaçait le visage sur la plage de Trouville, les formes flottantes de sa robe qui balayait les hautes herbes d’une prairie d’Argenteuil piquetée de coquelicots. Tous ces souvenirs des jours heureux…

         Le regard obscurci par les larmes, il la discernait à peine. Il savait qu’il ne peindrait plus jamais de personnages avec la même tendresse.

        Il se leva, saisit la toile et la coinça dans un angle du mur, derrière l’armoire. Il ne la montrerait à personne. Elle lui appartenait pour toujours.

     

     

  • VAN GOGH donne sa vérité

     

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    Vincent Van Gogh – Rue d'Auvers, 1890, Ateneum, Helsinki

     

     

         L’autoédition de mon roman « Que les blés sont beaux » a été envoyée ce matin. Je ne suis pas mécontent d’avoir réussi à surmonter les difficultés inhérentes à ce genre de projet. Mes amies Quichottine et Emma connaissent bien… Ce fut un combat.

         J’ai dû me résigner, comme je le pressentais un peu, à publier un livre sans pouvoir montrer, à mon grand regret, les tableaux couleur de l’artiste. La publication d’un ouvrage de 252 pages avec intérieur couleur coûtait trop cher.

         Lorsque j’ai démarré ce projet d’autoédition j’avais deux soucis en tête :

         - Réhabiliter la vraie version que Vincent m’a soufflée de ses deux derniers mois de vie à Auvers-sur-Oise. Grâce aux informations contenues dans son importante correspondance avec sa famille et ses amis, et à notre rencontre dans l’ambiance d’Auvers, il a pu me raconter son activité durant ces deux mois : sa recherche, ses joies, ses doutes, ses souffrances parfois. Il m’a parlé de son amour pour son frère Théo qui l’aidait financièrement, et, surtout, m’a expliqué sa technique et son immense passion pour cette peinture que personne ne comprenait.

        - M’inspirer d’une femme généreuse, Quichottine, qui publia l’année dernière le livre « Voyage » fait à plusieurs mains aux éditions The BookEdition.com. Les bénéfices de ce livre furent versés à l’association Rêves qui permet à des enfants gravement malades de réaliser leurs rêves. J’ai décidé, moi aussi, je sais qu’elle en sera heureuse, de donner intégralement tous les éventuels bénéfices de ma publication à cette association afin d’offrir aux enfants malades la possibilité de s’évader un instant de leur monde de douleur.

         La parution du livre pourrait se faire le week-end prochain ou semaine prochaine. Il sera proposé en deux versions : version numérique (tablettes, liseuses, Smartphones, ordinateurs) à 4,99 €, et version papier à 16,50 € qui pourront être commandées sur le site d’Amazon.fr.

         Je vous préviendrai de la parution. Les étrennes approchent. Merci infiniment.

     

     

    Extrait du premier chapitre QUE LES BLÉS SONT BEAUX :

     

     

     

    1 - LE RETOUR DE PROVENCE

     

     

    Samedi 17 mai 1890.

     

         J’aspirai l’air parisien. La locomotive à l’arrêt crachait encore quelques nuages de fumée gris bleuté dont l’odeur m’apparaissait délicieuse.

        27 mois… Cela faisait 27 mois que j’étais parti vers la Provence afin de découvrir cette lumière et ces couleurs du sud dont mon ami Toulouse-Lautrec m’avait tant parlées : longs mois de joies, de création intense, mais aussi de souffrances intolérables qui me laissaient épuisé, fragilisé, brisé.

         Je venais de sortir d’une crise longue et dure qui ne s’était calmée que peu de jours avant mon départ d’Arles. Théo m’avait incité à rentrer au plus vite : « Je suis très heureux de pouvoir te dire que j’ai rencontré le docteur Gachet, ce médecin dont Pissarro m’avait parlé. Il a l’air d’un homme qui comprend bien les choses. » Le docteur habitait Auvers-sur-Oise près de Paris. Selon lui, mes crises n’avaient rien à faire avec la folie. Il répondait de ma guérison.

         Contrairement aux appréhensions de Théo qui craignait de me laisser voyager seul, l’interminable trajet de retour d’Arles à Paris s’était bien déroulé. Je me sentais assez frais en arrivant ce samedi matin à la gare de Lyon. Mon frère m’attendait. Coincé dans son costume étriqué, il présentait toujours la même allure de jeune homme, éternel adolescent. La main solide que je lui tendis le rassura sur ma vigueur retrouvée. « Tu vois, tout s’est bien passé, lui dis-je en souriant crânement. J’ai une faim de loup ! »

        Le fiacre stoppa devant l’appartement de la cité Pigalle. Jo nous adressait des grands gestes joyeux par la fenêtre. Le couple s’était marié en Hollande l’année dernière. N’ayant pu venir à la cérémonie, j’étais heureux de rencontrer enfin ma petite belle-sœur que je ne connaissais que par nos échanges de courriers. Elle me plut instantanément : jolie jeune femme au regard vif, intelligent, dont je me rappelais les cheveux courts sur une photo récente qu’elle m’avait envoyée. Sans se soucier de ma barbe mal peignée, elle me claqua deux bises en s’exclamant : « Pour un malade, votre mine est superbe ! ».

         De suite, ils m’amènent devant le berceau de Vincent, mon petit homonyme âgé de trois mois. Nous l’épiions en silence dans son sommeil lorsque, brusquement, il s’éveilla. Je lui tendis une main timide qu’il accrocha prestement de ses petits doigts déjà fermes, sans lâcher. Jo avait souhaité lui donner mon prénom. Dans une lettre, elle m’avait dit : « Nous appellerons notre enfant Vincent Willem et vous serez le parrain ». Les yeux bleus du bébé qu’il tenait de notre famille me scrutèrent, puis se refermèrent doucement.

         Théo entreposait chez lui, faute de place ailleurs, toutes les toiles que je lui envoyais régulièrement. Elles emplissaient l’appartement : les Vergers en fleurs que j’avais pris tant de plaisir à peindre en arrivant à Arles paraient les murs de la chambre à coucher ; mes Mangeurs de pommes de terre, peints à Nuenen, montrant des paysans mangeant leurs pommes de terre à la maigre lueur de leur lampe à pétrole, étaient accrochés au-dessus de la cheminée de la salle à manger. Comme je l’avais suggéré à Théo, un cadre doré renforçait les tonalités brunes de cette peinture d’un intérieur paysan. A mes yeux, les cadres faisaient partie du tableau, ils l’habillaient, le mettaient en valeur.

        — J’aime ce tableau, Vincent… j’ai suivi ton conseil pour l’encadrement, me dit Théo en fixant sur moi son regard translucide.

       Les heures passées dans la chaumière des De Groot pour peindre cette toile déjà ancienne me revenaient en mémoire : un faible éclairage accentuait les ombres et donnait du relief aux traits plutôt laids de ces humbles gens. Le peintre Millet et ses peintures de la vie paysanne m’avaient inspiré. Très loin de ma palette actuelle aux couleurs vives, le tableau que je revoyais maintenant me plaisait toujours autant malgré l’utilisation de teintes sombres.

        — L’œuvre la plus réussie de mes débuts en peinture, dis-je à Théo !… Je voulais exprimer pleinement ce que je voyais. Pour ces petites gens, manger avec leurs mains à même le plat ces patates dont ils avaient eux-mêmes bêché la terre était la récompense de leur dur labeur.

        Des piles de toiles s’amoncelaient sous le lit ou à même le sol dans la salle à manger. Toute cette peinture dispersée dans l’appartement représentait des heures de travail, des journées entières devant le motif. Débauche d’énergie inutile puisque que ma peinture est invendable, pensai-je… Je me demandais encore comment Théo avait pu vendre pour 400 francs un de mes tableaux en février dernier : ma première et unique vente…

       Pour occuper cette première journée parisienne nous décidâmes de revoir mes toiles. Théo savait que cela me ferait plaisir. L’une après l’autre, nous les accrochions sur un mur inoccupé, près de la fenêtre pour la lumière, les examinions longuement, pensifs, puis les remettions à leur place initiale. Les couleurs vives de la Provence éclaboussaient le mur à chaque nouvel accrochage.

       Le meilleur moment de la journée fut celui où nous dénichâmes, sous un tas de toiles accumulées sous le lit, le portrait du Facteur Roulin que j’avais fait à Arles au cours de l’été 1888. Quelle joie de revoir cet ami. Faute de modèles, je l’avais peint plusieurs fois, lui et sa famille. Ce brave homme me prévenait de l’arrivée des lettres de Théo que j’attendais avec impatience car elles contenaient l’argent qu’il m’envoyait chaque mois.

         Nous examinions le portrait de Roulin lorsque j’entendis un discret gloussement à côté de moi.

        — Quelle allure fière et altière pour un facteur, dit Jo, enjouée ! Cet uniforme à boutons dorés et sa casquette barrée de la mention « Postes » au-dessus de la visière lui vont à merveille. Il me fait penser à un capitaine de navire s’apprêtant à embarquer. Et cette curieuse barbe jaunâtre coupée au carré qui lui descend jusqu’à la poitrine, s’étouffa–t-elle en ne retenant plus son plaisir.

          Je regardai Théo, surpris par le rire communicatif de sa femme. La joie nous gagna sans que l’on puisse la contrôler. Nous sanglotions tous les trois devant un facteur. Je crus bon de rajouter, entre deux spasmes, pour compléter la description :

        — Socrate… Je lui donnais ce surnom pour sa ressemblance avec le philosophe grec… Ce bonhomme mesurait près de deux mètres. Un colosse ! Républicain convaincu, il entonnait une Marseillaise vibrante lorsqu’il avait bu, ce qui lui arrivait trop souvent. Il avait même voulu appeler son dernier bébé Marcelle, « comme la fille du brav’ général Boulanger » disait-il au grand scandale de la famille. En échange des séances de poses qu’il m’offrait, je nourrissais l’énorme carcasse de ce personnage qui mangeait trois fois plus que moi. Pantagruel ! Imaginez l’état de mon maigre budget à la fin du mois, d’autant qu’il fallait ajouter à son menu de nombreuses bières qu’il s’enfilait d’un trait.

       L’hilarité atteignait son paroxysme. Assis par terre, nos corps tressautaient en rythme, des larmes inondant nos visages. Cela dura un long moment.

         Jo s’enfuit vers la cuisine et revint portant sur un plateau des verres et une boisson fraîche. Cet épisode burlesque nous avait détendus et nous pûmes terminer l’étude des toiles restantes. Les remarques de Théo et Jo fusaient : « Quel délice ces amandiers en fleurs !... Tes couleurs ont une force ! ». Ils me voyaient heureux. Théo finit par lancer d’un ton doctoral : « Vincent, je suis certain que ton talent ne va pas tarder à être reconnu ! »

        Le lendemain après-midi, à ma demande, nous allâmes à la boutique de la rue Clauzel chez le père Tanguy mon vieux copain, l’ami de tous les peintres impressionnistes qu’il soutenait et aidait. Nos toiles étaient entassées dans une mansarde. Certaines étaient exposées dans sa vitrine. Sans grand succès, Tanguy tentait de vendre notre travail à sa clientèle.

         Je considérais cet homme trapu, plus tout jeune, comme un saint. Combien de fois, lors de mes années parisiennes de 86-88, m’avait-il fourni des tubes de peinture en échange de ma production ! Militant socialiste, il avait fait la Commune de Paris en 1871 et considérait les impressionnistes comme les peintres des petites gens. C’était chez lui et à la galerie de Théo que j’avais fait connaissance avec cette nouvelle peinture que je connaissais mal avant de débarquer à Paris alors que j’habitais encore en Hollande. Elle allait modifier ma vision des couleurs et des formes.      

         Nous tombâmes dans les bras l’un l’autre. De ses larges mains puissantes, de vrais battoirs, il me tambourinait le dos de grandes tapes en criant :

         — Quel plaisir ! Quel plaisir ! Vincent, depuis tout ce temps…

        Il recula et me regarda. Il avait appris mes déboires provençaux : la dispute avec Gauguin, mes crises, mon enfermement à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence.

         — Vincent… je ne pensais plus te revoir, me dit-il très ému. Tu parais être dans une forme éclatante !

         — C’est l’air de Paris et le plaisir de vous retrouver tous, dis-je d’un rire forcé pour cacher mon trouble.

         — Je ne t’ai pas encore écoulé de toiles mais cela ne saurait tarder, s’exclama-t-il ! Les goûts sont en train de changer. Les meilleurs impressionnistes se vendent de mieux en mieux, surtout Monet et Renoir, et les collectionneurs commencent à s’intéresser à la nouvelle génération. J’ai appris que tes tableaux avaient eu beaucoup de succès auprès des artistes à la dernière exposition des indépendants. Monet a même dit que tes toiles étaient les meilleures de l’exposition.

        Lui aussi voulait me faire plaisir. Je n’insistais pas connaissant les difficultés à placer ma peinture.

        Nous ne restâmes pas longtemps car la femme de Tanguy ne m’aimait guère et cela se voyait. Elle se souvenait de nos escapades parisiennes anciennes dans lesquelles j’entraînais son mari accompagné de l’ami Toulouse-Lautrec. Nous rentrions titubants au petit matin abrutis pas l’absinthe.

        La visite du Salon du Champ-de-Mars clôtura mon séjour à Paris. Je fus subjugué devant la dernière œuvre de Puvis de Chavannes intitulée Inter Artes et Naturam, heureux compromis entre l’art ancien et nouveau. Le talent de ce peintre symboliste, à la recherche d’une harmonie universelle, m’impressionnait.

         Étourdi par tous ces évènements, je décidai de partir pour Auvers le lendemain.

     

     

  • Merci Catherine

     

    Je viens de recevoir ce matin un superbe commentaire de Catherine, chroniqueuse littéraire :

    https://www.cathjack.ch/wordpress/?p=8396

    Un grand talent et une solide argumentation. Je n'aurais pu faire mieux et vous laisse juger la qualité de cette chronique. 

     

     

    Yvars, Alain « Que les blés sont beaux : L’ultime voyage de Vincent Van Gogh » (2018)

     

     

    Tout d'abord je souhaite remercier l'auteur pour le petit moment d'intimité qu'il m'a offert. Deux mois en compagnie de van Gogh à Auvers-sur-Oise … Que rêver de mieux ? Il arrive à Auvers en mai 1890 et en deux mois il y peindra 70 tableaux. Voilà pour les faits ; et maintenant découvrons Auvers en sa compagnie. Et on pensera non seulement à Van Gogh mais aussi à Daubigny, Corot, Daumier, Pissarro, Cézanne, qui tous ont passé par Auvers.
    Ce qui est magnifique c'est que dès le tout début j'ai eu l'impression d'être avec lui physiquement… et dans un petit coin de sa tête et pas du tout spectatrice… et je me suis plongée dans mes livres, l'auteur m'a donné envie de réviser mon Van Gogh. le livre parle non seulement de la vie de Vincent pendant les deux derniers mois de son existence mais aussi de peinture (et pas que de la sienne). Ce livre fait revivre Vincent van Gogh, mais pas que… Il fait aussi vivre le trait, les pinceaux, les couleurs, les personnes qui l'entourent, la nature, les chemins, les monuments. La scène de la peinture de l'Eglise montre à quel point un lieu peut se révéler vivant. L'importance des couleurs de la nature, des couleurs chez Van Gogh. D'ailleurs c'est le peintre de la couleur : le jaune, le violet, le bleu, qu'il soit couleur du ciel ou de la nuit…
    Dans la majeure partie du roman Vincent respire la joie de vivre, de peindre. Après son calvaire dans le Sud, on le sent revivre, frémir, et avoir envie de vivre, de faire des projets. le fait que tout le monde (mis à part le Dr Gachet) ignore les troubles dont il a souffert par le passé facilite aussi les choses je pense. Il prend un plaisir intense à peindre les jeunes filles de son entourage, les toiles vibrent sous le jaune éclatant du soleil et des blés. Il vibre et ressent les êtres, les choses et la nature et le traduit dans son art ; les couleurs vibrent à l'unisson ; les toiles s'enchainent à une vitesse hallucinante, tout est vie au bout de ses doigts. D'une incroyable générosité, il offre un festival de couleurs et rend la vie éclatante. Certes il peint des paysages à Auvers mais il peint aussi ce qu'il préfère peindre depuis toujours : il fait des portraits. Et l'auteur met aussi l'accent sur les mains que le peintre aime mettre en valeur. Van Gogh donne aussi des conseils : « Soyez vous-même, mon garçon ! Servez-vous de la couleur pour ressentir. Ensuite, vous serez bien » D'ailleurs tout a toujours été couleur dans sa vie, y compris la « fée verte » (1).
    Dans le livre, Van Gogh fait des rencontres ; le Dr Gachet – qui commettra des toiles sous le pseudo de Paul van Ryssel – et sa famille ; les tenanciers de l'hôtel où il séjourne et les résidents du lieu ; les habitants du village. L'entente avec son frère et sa belle-soeur est fusionnelle et participe à son bonheur. Puis survient « la » cassure… Un voyage à Paris, une atmosphère pesante, et Van Gogh reperd ses repères et prend le chemin de la rechute. Une rechute due à la solitude qui l'étreint, au sentiment que jamais il ne pourra fonder une famille, qu'il sera toujours un poids pour ses proches.
    Au final il repasse sa vie en revue, se revoit avec ses amis Toulouse-Lautrec et Aristide Bruant … il parle aussi de la littérature qui tenait une place importante dans sa vie. J'en retiens un homme lumineux qui souffrait de ne pas être reconnu par ses contemporains mais qui dégageait par ses peintures une vivacité, un charisme, une vigueur, un esprit visionnaire en avance sur son temps. Un homme entier, qui ne supportait pas non plus qu'on ne soit pas en accord avec ses idées et ne pouvait accepter que l'on ne se conforme pas à ce qu'il disait. Un artiste à fleur de peau, avec ses défauts et ses qualités.
    Mais je vous laisse découvrir, vous immerger dans son univers et faire connaissance avec l'homme et je suis certaine que, comme moi, vous aurez envie de vous replonger dans les livres sur ce peintre et que germera en vous l'envie de faire un petit séjour à Auvers-sur-Oise… Un énorme merci à Alain Yvars pour avoir donné autant de consistance, de vie, de couleur à cet homme et pour ne pas avoir réduit à un simple « lieu de suicide » la tranche de vie de van Gogh passée à Auvers, car c'est tout sauf vrai. Dans ces derniers mois de vie, il a continué d'innover, testant un nouveau format de toile, tout en longueur (ou hauteur) et il rayonne. Il est au sommet de son art et sa seule crainte est la solitude, de voir arriver une nouvelle crise de maladie qui le ferait replonger dans une période noire, solitaire et angoissante. Pour moi il est mort comme il aura peint : solaire, en jaune pétant !


    (J'ai également entendu parler de Adolphe Monticelli pour la première fois…) 


    Lien : HTTPS://WWW.CATHJACK.CH/WORD..

     

    1. La fée verte était le nom donné à l'absinthe.

     

     

    Voici la réponse que je lui ai faite sur le site de Babelio où je suis inscrit :

     

    "Exceptionnelle chronique. Que dire de plus. Vous avez parfaitement résumé, Catherine, mieux que je ne l'aurais fait, tout ce que Vincent a ressenti et fait durant deux mois à Auvers. C’est une très belle lecture.
    Tout avait tellement bien commencé pour Vincent. Il allait retrouver une joie de vivre, de peindre. Auvers lui plaisait « C'est gravement beau », il retrouvait une nouvelle famille de personnes qui l'appréciaient, il était heureux, il peignait, peignait…
    Je repense à ce petit faucheur dont il parle à la fin du livre : « Une image tremblotante, la vision du faucheur s'installa devant mes yeux. Je l'avais peint en plein travail dans un champ en Provence. Il luttait comme un diable en pleine chaleur pour venir à bout de sa dure besogne. Pourquoi avais-je vu en lui l'image de la mort ? Je m'imaginais que l'humanité était le blé que ce petit homme était en train de couper ? Pourtant cette mort n'avait rien de triste, elle était même joyeuse car cela se passait en pleine lumière avec un soleil inondant tout de rayons d'or fin. » Cette phrase, Vincent l'a écrite dans sa correspondance. Comme toutes celles de sa correspondance, car Vincent était aussi un grand écrivain, elle est belle…
    Vincent, là où il est, très ému après avoir lu cette chronique que je lui ai transmise, vous fait la bise, Catherine."

     

     

  • Toulouse-Lautrec au cirque

     

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    Henri de Toulouse-Lautrec – Au cirque Fernando, Écuyère, 1888, The Art Institute of Chicago

     

         Au début de 1899, l’alcool, le manque de sommeil, les femmes faciles, avaient fait chuter le peintre Toulouse-Lautrec.

        Il n'avait cessé de se moquer de la bourgeoisie à la pointe de son crayon. La presse s’était déchaînée en apprenant la nouvelle de son internement dans une clinique parisienne : « Cette loque qui n’arrivait plus à tenir un pinceau ». Il était devenu un objet de compassion, de risée.

     

     

         Misia, l’atout charme de la Revue Blanche à Paris, accompagnait son mari Thadée Natanson, cofondateur et directeur de la revue, à la maison de santé. Elle s’était prise d’affection pour Lautrec, un des fidèles du « Relais » où ils recevaient, l’été, les nombreux artistes de leur cercle d’amis.

         Le petit bonhomme riait aux larmes lorsque nous pénétrâmes dans la chambre.

         — V’tombez bien, dit Lautrec. J’suis en plein cirque.

       Il se remit à rire, ce rire d’autrefois qui le faisait hoqueter jusqu’à s’en étouffer lorsqu’il venait au Relais. Désintoxiqué, il semblait en bonne forme.

       — J’suis heureux que vous soyez venus. J’m’ennuyais. Alors j’ai demandé à récupérer ma boite d’aquarelle et des crayons. Des souvenirs anciens sur le cirque… Dis-moi la vérité, Thadée ! Que penses-tu de mes dessins ?

         Plusieurs dizaines de dessins sur le cirque traités au crayon noir et aux crayons de couleurs m’apparaissaient. La main était ferme. Une perfection hallucinante se dégageait de chaque dessin. Je retrouvais l’affichiste le plus recherché à Paris, celui qui avait peint à l’huile « Au cirque Fernando, l’écuyère » : un maître de piste un fouet à la main faisait gambader un cheval monté par une amazone sur une piste de cirque. Celle-ci, un rictus canaille sur les lèvres, dévoilait ses cuisses avec impudeur.

         Lautrec continuait à sourire, concentré sur un dessin qu’il finissait, une caricature du clown Chocolat, écroulé, les bras autour du cou d’un cheval incontrôlable tournant au galop. Hilarant ! Le peintre allait voir régulièrement le couple célèbre de clowns Footit et Chocolat. Il ne cessait de dessiner l’enfariné Pierrot blanc et le Scapin nègre toujours maltraité et ahuri sous les coups de son comparse.

     

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    Henri de Toulouse-Lautrec – Au cirque - Chocolat, 1899, Sterling and Francine Clark Art Insitute, Williamstown

     

        Le peintre n’avait rien oublié de ses heures d’observations, attentif au bord de la piste, des nombreux cirques qu’il fréquentait : Médrano, Molier, Cirque d’Hiver, Nouveau Cirque. Le résultat était stupéfiant de vérité : dresseurs d’éléphants, écuyères, clowns, équilibristes.

        Sur un dessin une écuyère s’apprêtait à sauter à travers un cercle de papier. Une autre était suspendue en arc sur le côté d’un cheval dans une acrobatie de voltige. À côté du dresseur, je reconnaissais le clown Foottit avec sa tête surmontée d’un toupet de cheveux blonds.  

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    Henri de Toulouse-Lautrec – Au cirque - Voltige, 1899, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

     

         Misia s’approcha de son ami et lui prit la main affectueusement.

         — Tu m’as manqué, Henri. Tu as retrouvé ta patte d’artiste.

       — Qu’t’es belle Misia ! J’voudrais te peindre à nouveau. Le corps des femmes, un beau corps de femme comme le tien vois-tu… c’est tellement chouette, hein ? Mais il ne faut pas qu’elles raisonnent de trop, les femmes savantes… rreur de ça !...

         Il lâcha la main de Misia, puis se mit à vociférer contre ceux qui l’avaient enfermé :

         — J’me vengerai. J’leur arracherai les côtelettes. C’est sûr…

         Il se leva et fit quelques pas sur ses petites jambes en claudicant.

         — Quand ils verront mes dessins, sûr, ils me laisseront sortir.

       Sur un dernier dessin, un personnage accomplissait une prouesse : une sorte de caniche nain se tenait en équilibre sur ses pattes avant dans la main du dresseur, son derrière et ses pattes arrières étaient dressés en l’air.

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    Henri de Toulouse-Lautrec – Au cirque – Un dresseur de chien, 1899, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

     

       Je voyais dans toutes ces caricatures un incroyable numéro d’artistes du spectacle mettant en évidence l’absurdité du monde. Lautrec cherchait-il dans ces figures dérisoires de l’univers du cirque qu’il adorait à explorer son propre monde, celui d’un périlleux équilibriste tentant de comprendre son infortune, sa raison de vivre.

         — Formidable, Henri ! Tes dessins sont exceptionnels de virtuosité, de lucidité.

         Le peintre émit un dernier rire d’enfant qui vient de faire une bonne farce. Il prit un dessin au hasard et le dédicaça à Misia : « À la colombe de l’Arche »

         Nous partions. Il se tourna vers moi.

         — Thadée, tu leur diras ! Mes dessins… Tu sais maintenant que ma main ne tremble plus. Dis-leur que je suis guéri. Ils me laisseront sortir…

         Nous embrassâmes notre ami, très émus.

         Reverrons-nous le Lautrec d’autrefois, pensai-je…

     

     

     

    Cette série de 39 dessins aux crayons noirs et de couleurs permirent à l'artiste de démontrer qu'il avait retrouvé sa santé mentale et sa capacité à travailler. Son internement sera abrégé et il sortira en mai 1899. Il retournera à sa vie festive et alcoolique et décèdera deux années plus tard.

     

     

  • Van Gogh écrivain : St-Rémy - 6. 1 mars/13 mai 1890

     

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

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    Vincent Van Gogh – Vieil homme triste, mai 1890, Kröller-Müller Museum, Otterlo

     

          Lucien exultait.

          – Eh bien, voilà ! C’est de l'art, mon petit... l'art c'est ça !... Des visions ?...

          Un paysage, c'est un état de ton esprit, comme la colère, comme l'amour, comme le désespoir... Et la preuve c'est que, si tu peins le même paysage, un jour de gaieté, et un jour de tristesse, ils ne se ressemblent pas du tout. La nature, la nature !... Parbleu ! Je crois bien la nature !... Elle est admirable, la nature... admirable en ceci – écoute moi bien – qu'elle n'existe pas, qu'elle n'est qu'une combinaison idéale et multiforme de ton cerveau, une émotion intérieure de ton âme !...

     

                                                                  Octave Mirbeau – Dans le ciel, Roman, chapitre 15 et 16, 1893

     

     

          Cet article est le dernier que je consacre aux extraits de la correspondance de Vincent Van Gogh à Saint-Rémy-de-Provence. Il sera plus long que les précédents. 

          Avant d’entamer la lecture, je conseille aux lecteurs de s’accompagner d’une tasse de café (ou plusieurs) et quelques biscuits… pour pouvoir espérer terminer cette lecture dans de bonnes conditions…

           Je montre quelques-unes des toutes dernières toiles de cette période du Midi qui s’achève. Toutes les œuvres produites dans le Sud par le peintre démontrent que le climat, le soleil, la lumière, et les couleurs de cette région, auront métamorphosé sa peinture.

     

      

          Le 24 février, le docteur Peyron écrit à Théo que son frère vient d’avoir une attaque après avoir passé deux jours à Arles. Elle va durer longtemps.

           Le 17 mars, Vincent envoie une courte lettre à Théo : « Et voilà je désespère presque ou tout à fait de moi. Peut-être, peut-être je guérirais en effet à la campagne pour un temps. » Le 19 mars, Théo lui répond : « Ne te fatigue pas trop. Comme j’aurais été content si tu avais été là à l’exposition des indépendants. J’y étais avec Jo. Il y en a beaucoup qui sont venus pour me prier de te faire leurs compliments. Gauguin disait que tes tableaux sont le clou de l’exposition. J’ai reçu de Bruxelles l’argent du tableau que tu as vendu. »

           Sans nouvelles de Vincent, Jo et Théo lui écrivent le 29 mars, pour sa fête : « Est ce que ce sera une fête pour toi ou est ce que tu es toujours dans un état où tu te trouves malheureux. Mon cher frère, comme c’est triste d’être si loin l’un de l’autre et de savoir si peu ce que l’autre fait. C’est pourquoi je suis très heureux de pouvoir te dire que j’ai rencontré le Dr Gachet, ce médecin dont Pissarro m’avait parlé. Il a l’air d’un homme qui comprend bien les choses. Il te ressemble un peu comme physique. Quand tu viendras ici, nous irons le voir ; il vient consulter à Paris plusieurs fois dans la semaine. Il me disait, quand je lui racontais comment se produisaient tes crises, qu’il ne croyait pas que cela avait quelque chose à faire avec la folie et que si c’était ce qu’il croyait, il répondait qu’il te guérirait.

           Le 23 avril, Théo s’inquiète vivement : « Ton silence nous prouve que tu souffres toujours et j’ai besoin de te dire, mon cher frère, que Jo et moi nous souffrons aussi te sachant toujours malade. Oh ! nous serions si heureux si nous pouvions faire quelque chose pour toi qui puisse te soulager. Le Dr Peyron nous écrit qu’il ne faut pas s’inquiéter et que cette crise, quoique plus longue que les autres, passera aussi. Tes tableaux à l’exposition ont beaucoup de succès. Monet a dit que ceux-ci  étaient les meilleurs de l’exposition. Beaucoup d’autres artistes m’en ont parlé. »

           

    Lettre à Théo – vers le 29 avril 1890

     

    Jusqu’à présent je n’ai pu t’écrire, mais de ces jours ci allant un peu mieux, je n’ai pas voulu tarder pour te souhaiter une heureuse année puisque c’est ta fête, à toi, à ta femme, et à ton enfant. En même temps je te prie d’accepter les divers tableaux que je t’envoie avec mes remerciements pour toutes les bontés que tu as pour moi, car sans toi je serais bien malheureux.

     

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    Vincent Van Gogh –  les trois grands platanes, nov. 1889, la collection Phillips, Washington

    […]

    Que te dire de ces deux mois passés, cela va pas bien du tout, je suis triste et embêté plus que je ne saurais t’exprimer et je ne sais plus où j’en suis.

     […]

    Etant malade j’ai bien encore fait quelques petites toiles de tête que tu verras plus tard, peinture,van gogh,saint-rémy,midides souvenirs du nord,

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vincent Van Gogh – Chaumières au lever du soleil : Réminiscence du Nord, février 1890, The Barnes Fondation, Mérion

     

    et à présent je viens de terminer un coin de prairie ensoleillée, que je crois plus ou moins vigoureux.

     

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    Vincent Van Gogh –  Pins et pissenlits dans le jardin de l’asile Saint-Paul, avril 1890, Kröller-Müller Museum, Otterlo

    […]

    Veuillez prier M. Laurier * de ne plus écrire des articles sur ma peinture, dites le lui avec instance, que d’abord il se trompe sur mon compte, puis que réellement je me sens trop abîmé de chagrin pour pouvoir faire face à de la publicité. Faire des tableaux me distrait, mais si j’en entends parler, cela me fait plus de peine qu’il ne le sait.

    * Journaliste ayant écrit un article élogieux sur Vincent dans « Le modernisme illustré. »

     

    Lettre à Théo – vers le 1er mai 1890

     

    Maintenant tu le proposes et je l’accepte de revenir plutôt dans le nord.

    J’ai eu la vie trop dure pour en crever ou pour perdre la puissance de travailler.

    […]

    Ah, si j’avais pu travailler sans cette sacré maladie ! – que de choses j’aurais faites, isolé des autres, selon que le pays m’en dirait. Mais oui, c’est bien fini ce voyage ci. - Enfin ce qui me console, c’est le grand, le très grand désir que j’ai de te revoir, toi, ta femme et ton enfant, et tant d’amis qui se sont souvenus de moi dans le malheur, comme d’ailleurs moi aussi je ne cesse pas de penser à eux.

    Je suis presque persuadé que dans le Nord je guérirai vite, au moins pour assez longtemps, tout en appréhendant une rechute dans quelques années, mais pas tout de suite. Voila ce que je m’imagine après avoir observé les autres malades ici, qui en partie sont considérablement plus âgés que moi.

    […]

    Si tu le trouves bien et si tu indiques une date pour quand tu m’attends là-bas à Paris, je me ferais accompagner un bout de chemin, soit jusqu’à Tarascon soit jusqu’à Lyon, par quelqu’un d’ici. Puis tu m’attendrais ou me ferais attendre à la gare à Paris. Fais comme cela te semblera le mieux.

    [...]

    Je considère cela comme un naufrage, ce voyage ci.

     

     

          Le 3 mai, Théo se réjouit que Vincent ait pu recommencer à lui écrire régulièrement. Il regrette que sa maladie l’ait fait manqué la saison des arbres en fleur, et admire les copies de Millet comme étant ce qu’il à fait de plus beau.

          Il lui parle de sa venue prochaine à Paris : « Il faut absolument te faire accompagner durant tout le trajet par quelqu’un en qui tu as confiance. Si possible, j’aimerais tant t’avoir avec nous au moins pendant quelque temps et si tu fais tout pour te ménager, il est très probable que tout marchera bien. »

     

     

    Lettre à Théo – vers le 2 mai 1890

     

    Je crois que le mieux sera que j’aille moi-même voir ce médecin à la campagne le plus tôt possible ; alors on pourra bientôt décider si c’est chez lui ou provisoirement à l’auberge que j’irai loger ; et ainsi on évitera un séjour trop prolongé à Paris, chose que je redouterais.

    […]

    Je me fais fort de prouver à ce médecin duquel tu parles, que je sais encore travailler logiquement, et lui me traitera en conséquence, et puisqu’il aime la peinture, il y a assez de chance qu’il en résulte une amitié solide.

    […]

    peinture,van gogh,saint-rémy,midiJ’ai aussi essayé une copie du Bon Samaritain de Delacroix.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vincent Van Gogh –  Le bon samaritain (d’après Delacroix), mai 1890, Kröller-Müller Museum, Otterlo

     

    Lettre à Théo – vers le 4 mai 1890

     

    Il y a une chance réellement que le changement me fasse du bien. […] Je serai là-bas dehors. Je suis sûr que l’envie de travailler me dévorera et me rendra insensible à tout le reste, et de bonne humeur. Et je m’y laisserai aller non pas sans réflexion, mais sans m’appesantir sur des regrets de choses qui auraient pu être.

    Ils disent que dans la peinture il ne faut rien chercher, ni espérer, qu’un bon tableau et une bonne causerie et un bon dîner comme maximum de bonheur, sans compter les parenthèses moins brillantes. C’est peut-être vrai et pourquoi refuser de prendre le possible, surtout si ainsi faisant on donne le change à la maladie.

     

     

          Théo s’est mis en relation avec le docteur Gachet et prépare l’installation de Vincent à Auvers. Il lui écrit : « Est ce que enfin tu pourras trouver un endroit un peu au calme sans qu’il y ait autour de toi des gens et des choses qui te tracassent. Je l’espère de tout mon coeur et il est possible qu’en tous cas ceci soit une amélioration, mais les gens sont partout à peu près les mêmes et quand les choses d’art vous préoccupent on trouve bien peu de gens qui vous comprennent. C’est du latin pour eux et ils n’y voient qu’un passe-temps qu’il ne faut pas prendre au sérieux.

          Je n’ai pas encore été au Salon qui doit être bien médiocre dit-on, mais il y a une exposition de dessins et crépons japonais, que tu verras quand tu viendras, qui est superbe. Je voudrais que tu fusses déjà ici. N’oublie pas de me télégraphier. »

     

     

    Lettre à Théo – vers le 11 mai 1890

     

    Toute l’horrible crise a disparu comme un orage et je travaille pour donner un dernier coup de brosse ici avec une ardeur calme et continue. J’ai en train une toile de roses sur fond vert clair,

     

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    Vincent Van Gogh – Vase avec roses, mai 1890, National Gallery of Art, Washington

     

    et deux toiles représentant de grands bouquets de fleurs d’Iris violets, l’une contre unpeinture,van gogh,saint-rémy,midi fond rose où l’effet est harmonieux et doux par la combinaison des verts, roses, violets.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vincent Van Gogh – Vase avec iris, mai 1890, The Metropolitan Museum of Art, New York

     

    Je compte partir cette semaine le plus tôt possible et je commence aujourd’hui à faire ma malle.

    Je t’enverrai de Tarascon une dépêche. Oui, à moi aussi il me semble qu’il y a une époque très longue entre le jour où nous avons pris congé à la gare et ces jours ci. Pour mon travail, mon cher frère, je me sens plus d’aplomb qu’en partant, et il serait ingrat de ma part de médire du Midi, et j’avoue que c’est avec un gros chagrin que je m’en retourne.

    Comme je désire te revoir et faire la connaissance de Jo et du bébé.

     

  • De la passion adolescente à la mélancolie dernière

     

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    Eugène Delacroix - Autoportrait (l’artiste a 17 ans), 1816, Musée des Beaux-Arts, Rouen

     

         Romantique, Delacroix l’est tout jeune… À 17ans… Deux jours de suite, les 20 et 21 août 1815, il écrit à son ami Achille Piron. J’ai déjà publié la première lettre que je montre à nouveau avec celle envoyée le jour suivant dans la continuité de la première. La passion amoureuse anime le futur emblème du romantisme dont la qualité littéraire est déjà très présente.

     

    Lettre à son ami Achille Piron, le 20 août 1815

     

    Que de choses j’aurais à te dire, mon bon ami, si je n’avais pas perdu la tête, mais malheureusement voilà mes anciennes folies qui me reprennent et tu n’as pas de peine à deviner pourquoi. Quel moment que celui où on revoit après des siècles, un objet qu’on croyait avoir aimé et qui était presque entièrement effacé du cœur… Au milieu de tout cela je tombe de mon haut quand je songe à l’empire que j’ai eu sur moi-même hier dans cet instant délicieux et terrible qui m’a réuni pour quelques minutes à celle que j’avais eu l’indignité d’oublier. Il m’arrive souvent qu’une sensation morale, de quelque nature qu’elle soit, ne me frappe guère que par contrecoup, et lorsque livré à moi-même ou rentré dans la solitude de mon âme, l’effet s’en renouvelle avec plus de force par l’éloignement de la cause. C’est alors que mon imagination travaille et que, contraire à la vue, elle agrandit les objets à mesure qu’ils s’éloignent. Je m’en veux de n’avoir pas joui avec assez de plénitude de l’instant que le hasard m’a procuré ; je bâtis des châteaux de chimères et me voilà divaguant et extravagant dans la vaste mer de l’illusion sans bornes et sans rivages. Me voilà donc redevenu aussi sot qu’auparavant. Dans le premier instant mon cœur battit d’une force… Ma tête se bouleversa tellement que je craignis de faire une sottise : je ne faisais pas un pas sans songer que j’étais près d’elle, que nos yeux contemplaient les mêmes objets et que nous respirions le même air : lorsque je lui eus parlé et que tu m’entraînas dans l’autre salle… je t’aurais, je crois, battu et néanmoins je n’étais pas fâché d’un autre côté de m’éloigner d’elle, mais je crois que l’enfer et les démons ne seraient par parvenus à me faire quitter cette maison bienheureuse tant que j’y aurais su ma Julie. Et puis ces habits noirs, cette tête pâle et défaillante, ces tombeaux, ce froid vague qui me saisissait, cette mort que je voyais partout, ces charmes pleins de jeunesse et rayonnants de beauté, ce pied vif et léger qui foulait les froides reliques de mille générations et la poussière de quelques tyrans… que de sensations, que de choses… Une tête plus forte que la mienne n’y eût pas résisté, et ma foi, à quoi bon s’arracher de l’âme un sentiment qui la remplit si bien, qui cadre si bien avec mes idées.

    Peu à peu mes sens se rassirent : nous parlâmes, nous fîmes quelques plaisanteries, cela me calma, mais dès que je t’eus quitté, mon esprit et mon cœur furent tout aux petits Augustins.  Enfin que veux-tu, je suis le plus grand des fous ; moi, je m’en moque, il faut que je la voie, il le faut, je donnerais le diable pour en venir à bout. Tu sais à peu près à quels termes j’en suis avec elle, elle m’a contemplé hier avec une certaine attention et une fréquence qui persuade à ma vanité que je ne lui suis pas indifférent, tandis que d’un autre côté, je n’y vois qu’une simple curiosité. Il faut dans tout cela me donner au plus vite ton avis, il faut éclaircir tout ceci. Je t’en supplie par l’amitié que j’ai pour toi, cherche, travaille de ton côté, retourne-toi l’esprit de mille manières pour me trouver le moyen de la voir, de lui parler, de lui écrire. Voilà de belles choses, d’étranges folies. Que dirais-je dans un an, dans un mois peut-être si je voyais une misérable lettre comme celle-ci. Mais je suis jeune et… non je ne suis pas encore amoureux : mais c’est à toi à décider si je dois le devenir ou non.

    Réponds moi au plus vite, sur-le-champ, cherche, médite. Songe que je suis sur les épines, j’ai grand besoin que Cupidon jette  sur moi un regard de compassion, car je me vois bien loin de mon but.

    Écris, écris, écris et surtout que je la voie.  Que d’obstacles ! Que de barrières à surmonter.

     

    Eugène

     

     

    Lettre à Achille Piron – le 21 août 1815

     

    L’as-tu éprouvé, mon ami, cette fièvre du cœur, ce délire de la raison et des sens qui remplit tout notre être de ce mélange inconcevable de souffrance et de délices ; il faut sentir comme moi cet orage tumultueux qui gronde dans mon sein lorsque la moindre pensée vient me rappeler un cher souvenir. Parler morale, philosophie, tranquillité d’âme aux passions, c’est vouloir éteindre un édifice en flammes avec un verre d’eau. Ce n’est pas avec des émolients, des dulcifiants, des anodins et tout le petit étalage subalterne des médecins qu’on guérit les fous.  C’est en les jetant par les fenêtres ou en les assommant. Ce n’est pas que je me soucie d’être assommé pour les beaux yeux d’une princesse, mais il me faudrait à moi des remèdes violents. Malheureusement, je le sens trop, il n’en est qu’un pour moi, c’est le temps. Il faut attendre que le bouillonnement s’apaise ; que les jours et les mois viennent, dans leur succession monotone, user les sensations en effaçant l’image. C’est une chose terrible que de ne pouvoir compter même sur l’ignorance. Lorsque ma tête a bien travaillé et que, tout rempli d’illusions riantes, je jette les yeux devant moi sans y voir d’avenir, c’est alors que je me désespère. Je ne connais rien d’effroyablement atterrant comme l’impuissance ; se dire je t’aime… mais sans espoir, sans moyens, sans espoir en un mot… Voilà qui est fait pour écraser un homme.

    Hier, tout plein encore de mon délire, je pris la route de ce faubourg St-Honoré et je me mis à chercher la fatale rue d’Anjou. Je parvins à la déterrer, j’allai, je vins, je passai plus de dix fois devant cette terrible maison, regardant aux fenêtres, dans la cour, dans le jardin, partant, revenant encore au risque de se faire fusiller par un escogriffe d’Autrichien qui montait la garde à cette porte et qui me prenait peut-être pour un conspirateur. Deux ou trois fenêtres étaient ouvertes et éclairées. Je vis de loin des ombres se dessiner sur le plancher. Mon Dieu, que j’aurais donné quelque chose pour la voir une seconde, mais il fallut s’arracher, le cœur bondissant d’amertume. J’allai derrière la maison pour reconnaître un tant soit peu les lieux et voir si le jardin n’offrirait pas quelque derrière favorable à mes petits desseins. Je ne trouvai rien. Il fallut renvoyer mes recherches à un autre jour, et je fus chassé par la nuit de cet endroit infernal. Aujourd’hui je suis étonné de me trouver plus tranquille. Je ne sais si le soleil avait rafraîchi la tête (car, ne t’en déplaise, l’amour ne m’empêche pas de dormir), je fus étonné de mon calme, quoique de temps en temps je me sentisse de légers accès. Tout d’un coup, l’idée me vint d’aller aux petits Augustins… Ah ! mon ami : il eût fallu voir ma mine allongée en allant faire ma cour à tous les endroits où je l’avais vue s’arrêter quelques instants. Heureux pavé !… Non, je ne dis rien de plus, car je ne sais ce que je pourrais imaginer de pire. Heureux pavé !… Marbres terribles !… Si vous aviez des yeux et un cœur.

    Bref, mon cher ami, me voilà à peu près de même. Je me suis rappelé une foule de circonstances de ce jour dernier et de nos dernières entrevues il y a quelques mois et comme il faut que je m’éclaircisse enfin sur tout cela et que j’en prenne une bonne fois mon parti, j’ai dressé un petit plan que je lèche tous les jours et que je cherche de tout mon cœur à rendre praticable. J’espère la revoir, mais le terme est si long… Cela me renvoie à cinq jours au moins, et d’ici là je n’y penserai peut-être plus.

    Mon bon ami, je te le répète : travaille de ton côté à améliorer ma situation. Trouve aussi quelque moyen honnête de me la faire voir, je t’en supplie. En le combinant avec le mien, nous en pourrons peut-être faire un tout supportable, et sois persuadé que tu me rendras un plus grand service, qu’en faisant de moi par tes conseils, le plus sage et le plus posé des hommes.

    Ton cher ami,

     

    EUGÈNE DELACROIX

     

    P.S. — Me répondre le plus tôt possible. Je ne sais si mes lettres te fatiguent, mais il faut que je me décharge un peu de ce qui me pèse. Si je m’en croyais, je ne ferais que cela toute la journée parce que tu es le seul à qui je puisse parler de tout ce qui m’arrive.
    Réponds donc vite et surtout ne viens pas les mains vides.

    Je t’aime de tout mon cœur.

     

     

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    Félix Nadar – photographie d’Eugène Delacroix à 60 ans, 1858

     

     

         Un avant son décès, Delacroix s’épanche mélancoliquement sur sa vie.

         47 années séparent la lettre ci-dessous des lettres adolescentes écrites lorsqu’il a 17 ans à Achille Piron. La qualité littéraire est restée semblable.

     

     

    Lettre à Charles Soulier - 1862

     

    Nous sommes si rapides, nous sommes si volages, l’existence nous fuit si vite, que nous nous repaissons avec délice de ces moments où le torrent a coulé dans une plaine charmante, et où il n’a réfléchi qu’un ciel pur. Me comprends-tu ? Il me semble pour suivre mon idée que notre triste vie, comme une source tantôt bourbeuse, tantôt claire, arrache de petites paillettes d’or dans les situations heureuses où elle se trouve. Elle les roule au milieu des soucis et des regrets. Quand nous reposerons-nous, délivrés de soucis et de travaux, pour ne jouir que de nous mêmes ? Qu’en penses tu, ami ? Ce temps là n’arrive jamais. Les tendons deviennent des cartilages. Les cartilages deviennent os. Les rhumatismes nous fixent sur nos fauteuils et nous rendent chagrins et grondeurs. La cervelle n’a plus cette flexibilité qui permet à l’imagination ses caprices et ses fantaisies fixés uniquement sur le sentiment de nos souffrances et de notre vie qui s’éteint. Le souvenir de nos douces affections, s’il parvient quelquefois à briser toute cette glace, et à montrer sa tête au dessus du marais, n’excite que notre bile amère. Adieu les plaisirs simples, les épanchements qui rafraîchissent le sang. Les autres goûtent du plaisir, nous sommes plus tristes, et nous, nous n’en goûtons aucun.

     

     

  • Am Römerholz

     

     

    La collection Reinhart

     

         On a tous en mémoire un musée, une collection, que l’on a apprécié tout particulièrement, parfois vu une seule fois dans sa vie à l’occasion d’un voyage ou au hasard d’une promenade.

        Je vous donne un coup de cœur personnel qui va à un musée que, peut-être, peu de gens connaissent, petit bijou niché dans une ville de nos voisins suisses.

         Mine de rien cette villa « Am Römerholz » située dans un beau parc à Winterthur est un paradis pour les amateurs d’arts. L’ancien propriétaire des lieux Oskar Reinhart l’avait acquise en 1924 pour y abriter ses achats de collectionneur averti durant la première moitié du 20ème siècle. En 1971, cette villa est devenue un musée. Et quel musée ! Pour ceux qui aiment la diversité, il faut s’y précipiter.

         be054de760ded5ee73c6386b6b6f0ba7.jpgPresque tous les peintres qui ont enrichi l’histoire de la peinture du 15ème au 20ème siècle en Europe sont présents dans ce lieu enchanteur. Prenez votre temps, il ne faut rien manquer…

         Ce n’est pas le Louvre en quantité, mais la qualité est incroyable. Que du beau !  Rien que des chefs-d’œuvre !  De Cranach l’ancien à Picasso, à part les grands hollandais du 17ème, il est difficile de faire un choix, car tout est étonnant. Je citerais plus particulièrement un excellent paysage de Claude Lorrain, un petit Fragonard savoureux « Satyre et bacchantes », des Delacroix en grand nombre, de superbes Corot, Millet, Daumier, Courbet, et puis une importante représentation d’impressionnistes et post-impressionnistes dont un des tout meilleur Utrillo « Le dcb3fced1e172be4fd2e68b61d12f77f.jpgmoulin de la galette sous la neige » et trois Van Gogh de la période d’Arles.

    ed7e8315400138dc461a030715a96291.jpg 

     

     

     

     

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    fd04d23ce9beeff4fc550faa25bf21f8.jpg     Renoir est le plus représenté avec 13 toiles et je dois reconnaître que ma passion pour ce peintre a vraiment pris forme le jour de ma visite dans ce musée. Je l’appréciais déjà beaucoup auparavant mais la vision de deux de ses toiles me porta le coup de grâce et m’obligea à m’asseoir devant elles un bon moment. Il c88500a6107561d58cbfeabc0d342453.jpgs’agissait de « Confidences », deux jeunes femmes aux tons vaporeux évoquant un bouquet de fleurs des champs ou quelques pêches bien mures (à croquer !) ; et puis un superbe nu « La dormeuse » : La femme est plongée dans un sommeil heureux qui la fait sourire. Sa pose de déesse magnifie sa peau nacrée transparente. Il s’agit assurément d’un des plus beau nu du peintre daté de 1897. 

     

         Je pourrais parler longuement de ce musée mais je vous laisse le plaisir de le découvrir. Ce n’est pas si loin…

     

                                                                                                                                    Alain

     

    -         Nicolas Poussin – Repos pendant la fuite en Egypte, 1632, huile sur toile 87 x 66 cm

    -         Jean-Honoré Fragonard – Satyre et bacchantes, 1773, huile sur toile 32 x 41 cm

    -         Claude Monet – La débâcle, 1881, huile sur toile 60 x 99 cm

    -         Edgar Degas – Loge de danseuse, 1878, huile sur toile 60 x 40 cm

    -        Vincent Van Gogh – La salle de la maison de santé à Arles, huile sur toile 72 x 91 cm

    -         Pierre-Auguste Renoir – Confidences, 1878, huile sur toile 61 x 50 cm

    -         Pierre-Auguste Renoir – La dormeuse, 1897, huile sur toile 82 x 66 cm

     

    -    Photos : Site Internet et catalogue du Römerholz – Winterthur, Suisse

     

     

  • Le maître de la nuit

     

         « Une masse brune, une flamme citron, un rouge franc, un vermillon plus sourd, une grandeur triste. »

     

         Pascal Quignard, l'auteur du livre "Georges de La Tour" se parle à lui-même. Une sorte de spiritualité mystique se dégage des mots qu’il utilise pour exprimer cette peinture d’ombre et de lumière. La flamme serait-elle Dieu ?

     

    georges de la tour

    Georges de La tour - La Madeleine à la veilleuse, 1640, musée du Louvre, Paris

     

     

     

         Georges de La Tour, ce fils d’un boulanger de Vic-sur-Seille en Lorraine, est réputé à son époque : en 1639, il se rend à Paris et reçoit le titre de « Peintre ordinaire du roi » ainsi qu’un logement au Louvre. Le roi Louis XIII possède un « Saint Sébastien soigné par Irène » qu’il admire dans sa chambre.

        Caravage, mort depuis peu lorsque La Tour commence sa carrière, influence la plupart des peintres par des effets de clair-obscur soulignant les reliefs, appuyant les contrastes violents d’une forte dramatisation lumineuse.

        La Tour s’en inspire mais son clair-obscur est bien différent de celui de l’artiste italien. Un rapport unique s’établit entre la lumière et l’ombre : « Il obéit aux leçons du Caravage. Il sacrifia toutes les auréoles qui encerclent la tête des dieux et des saints pour leur substituer les reflets d’une bougie. »

     

         Les pensées de Pascal Quignard vagabondent. La poésie de ses mots introduit la beauté des toiles. Il s’interroge : « La Tour fut un des derniers génies de la Renaissance. Il a emprunté à Honthorst l’artifice qui consiste à cacher le luminaire par un écran de fer, par une main, par un personnage, par un crâne. » 

     

    georges de la tour

    Georges de La tour - La Madeleine au miroir, 1635, National Gallery of Art, Washington

     

         La « Madeleine au miroir » médite : « La clarté ne se concentre que sur le visage, le buste, la main qui hésite et les longs doigts qui effleurent et qui s’efforcent de reconnaître à tâtons le relief de la mort. »

         De toutes les « nuits » de La Tour, Cette Madeleine est peut-être celle où l’effet de silence et de solitude est le plus poignant. Tournée vers un miroir, abîmée dans une sorte d’extase, la pécheresse songe, revenant sur sa vie :

    « Ce n’est pas une Vénus repentie mais une femme grave dont le corps a aimé le plaisir et qui pense. La séductrice ne nous regarde plus, nous, les hommes. Ni ne regarde directement le crâne et la mort. Elle regarde le reflet. Son reflet n’est pas son reflet. Là ou Madeleine s’attendait à découvrir les traits de son visage, le monde des morts est là, et son silence. »

     

         1638. La Tour a 45 ans pendant la guerre de trente ans. Les troupes françaises ravagent la Lorraine. Les villages brulent. La peste décime la région. L’artiste s’est-il spécialisé dans les nuits au moment de l’incendie de Lunéville ? La Tour va devenir le maître de la nuit.

     

    georges de la tour

    Georges de La tour - Saint Joseph charpentier, 1642, musée du Louvre, Paris

     

         Son « Saint Joseph Charpentier » du Louvre m’impressionne toujours autant. L’effet lumineux est intense. L'homme usé par la vie est en plein travail dans son atelier, le corps tout entier dans le labeur, les reins cassés, les bras forts :

    « L’homme est la force même devenue chair, grand tablier serré à la taille, veines gonflées sur le front, muscles saillants, mains énormes, pieds larges. »

         Assis face à lui, l’enfant Jésus, d’une beauté irréelle, éclaire la scène avec une chandelle, georges de la tourla main traversée par la flamme : « La main qui tient la chandelle est seule à avoir des doigts qui sont si longs. Le visage est le vrai foyer de la clarté, lèvres gonflées, l’œil grand ouvert sur plus grand et sur plus lointain que ce qu’il voit. »

     

     

     

     

     

     

     

        Cette nativité est le tableau le plus émouvant de l’artiste. Un chef-d’œuvre exceptionnel ! Ce « Nouveau-né » réside au musée des Beaux-Arts à Rennes. Heureux Bretons !

    georges de la tour

    Georges de La tour - Le nouveau-né, 1640, musée des Beaux-Arts, Rennes

     

         Le nouveau-né dort dans les bras de Marie emmailloté dans ses langes. Une lumière de vie s’accroche en le faisant luire au front de l’enfant. L’ineffable et le sacré se révèlent : or, rouge flamboyant et nuit obscure. Pendant que la Vierge Marie tient l’enfant Jésus, la sainte Anne adoucit avec sa main la lueur de la bougie qu’elle tient pour éclairer la scène.

         « Le bébé devient le foyer dont la clarté vient sculpter de sollicitude les deux visages des jeunes femmes qui sont penchées vers lui. Chez La Tour, les dieux sont sans nimbes, les anges sont sans ailes, les fantômes sans ombre. »

     

     

    georges de la tour

    Georges de La tour - La femme à la puce, 1638, Musée Historique Lorrain, Nancy

     

         Une scène d’intimité montre une femme demi-nue au ventre lourd écrasant une puce entre ses doigts.  La lumière de la chandelle sculpte son corps. Une prostituée ? Une servante ? Une Madeleine ? :

         « Je ne m’expliquerai jamais le caractère à ce point non érotique de cette femme au bout du compte si féminine et jeune et belle. »

     

         La production de Georges de La Tour a dû compter environ 300 toiles. L’incendie de Lunéville en a brûlé une bonne moitié. Après sa mort, le peintre sombre dans l’oubli. Ses toiles, essentiellement connues pour ses scènes religieuses, seront souvent attribuées aux frères Le Nain. Début 20ème ce maître du clair-obscur est redécouvert et replacé parmi les plus grands peintres français du 17e. Aujourd’hui, ses « nocturnes », ne cessent de nous éblouir. Il ne reste plus qu’une bonne trentaine des lumineuses toiles de l’artiste.

     

         « La beauté est une flamme de chandelle dans la tristesse, dans l’argent, dans le mépris, dans la solitude. Dans la nuit. Une haleine d’enfant la courbe ; un souffle la menace ; le vent définitif l’éteint. »