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Rechercher : le déjeuner des canotiers

  • Genèse de l'impressionnisme

    14. Guy de Maupassant – Un écrivain canotier

     

     

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    Anthony Morlon – Les canotiers de la Seine, 1865, musée Fournaise, Chatou

     

         En cette fin de 19ème siècle, le grand divertissement des parisiens est le canotage sur les cours d’eau parisiens comme la Seine et la Marne.

         A partir des Années 1873, jusqu’à son décès en 1893, Guy de Maupassant était un fervent adepte de ce sport-divertissement. Il fait construire plusieurs canots. Il gare souvent ceux-ci chez Fournaise à Chatou. Il écrira plusieurs nouvelles sur le canotage et les canotiers dans lesquelles il croque ce petit monde des bords de l’eau, la Grenouillère et le restaurant Fournaise : Mouche, Yvette, La Femme de Paul, Sur l’eau

     

         29 juillet 1875 – Maupassant fait part à sa mère de son intention d’écrire plusieurs nouvelles sur le canotage :

    « Ma chère Mère,

    … Il fait aujourd’hui une chaleur torride et les derniers parisiens vont bien certainement se sauver. Quant à moi, je canote, je me baigne, je me baigne et je canote. Les rats et les grenouilles ont tellement l’habitude de me voir passer à toute l’heure de la nuit avec ma lanterne à l’avant de mon canot qu’ils viennent me souhaiter le bonsoir. Je manoeuvre mon gros bateau comme un autre manoeuvrerait une yole et les canotiers de mes amis qui demeurent à Bougival sont supercoquentieusement esmerveillés quand je viens vers minuit leur demander un verre de rhum. Je travaille toujours à mes scènes de canotage dont je t’ai parlé et je crois que je pourrai faire un petit livre assez amusant et vrai en choisissant les meilleures histoires de canotiers que je connais, en les argumentant, brodant, etc… »

     

         Dans une lettre, il est sermonné par Gustave Flaubert : « Il faut, entendez-vous, jeune homme, il faut travailler plus que ça. J’arrive à vous soupçonner d’être légèrement caleux. Trop de putains ! Trop de canotage ! Trop d’exercice ! Oui, monsieur ! (…) Vous êtes né pour faire des vers, faites-en ! Tout le reste est vain ».

     

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    Charles Edouard de Beaumont – gravure Le Charivari, 19e, musée Fournaise, Chatou

     

          En 1887, à Chatou, Maupassant allait recevoir des amis pour une partie de canotage.

    « Je suis bien entrainé, il y a de la force là-dedans et c’est naturel. J’ai tant canoté et tant fait d’exercices physiques de toutes sortes ! Malgré cela, mes mains ne sont pas développées, mais cela n’empêche pas la force… Dans ma poitrine aussi, il y a du souffle et de la résistance, choses que n’ont pas tous ces canotiers d’occasion… »

     

        Maupassant aime recevoir ses amis et ses amies à Chatou chez Fournaise. Il fréquente l’établissement jusqu’en 1889, avant que sa santé ne commence à décliner. Il écrit :

    « Je vous emmène demain à Poissy, où j’ai fait transporter mes bateaux ; car, à Chatou, ce n’était plus tenable à cause du voisinage. Il y avait trop de demi-mondaines. Je le regrette pour Alphonse et Mme Papillon (les enfants Fournaise) qui ont toujours été très gentils pour moi et prenaient grand soin de mes bateaux ».

     

     

     

    Extraits de nouvelles de Guy de Maupassant sur le canotage et ses plaisirs :

     

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    Anthony Morlon – Les canotiers de la Seine, 1865, musée Fournaise, Chatou

     

    MOUCHE

     

    « Ma grande, ma seule, mon absorbante passion, pendant dix ans, ce fut la Seine. Ah l la belle, calme, variée et puante rivière pleine de mirage et d’immondices. Je l’ai tant aimée ; je crois, parce qu’elle m’a donné, me semble-t-il, le sens de la vie. Ah les promenades le long des berges fleuries, mes amies les grenouilles qui rêvaient, le ventre au frais, sur une feuille de nénuphar, et les lis d’eau coquets et frêles, au milieu des grandes herbes fines qui m’ouvraient soudain, derrière un saule, un feuillet d’album japonais quand le martin-pêcheur fuyait devant moi comme une flamme bleue ! Ai-je aimé tout cela, d’un amour instinctif des yeux qui se répandait dans tout mon corps en une joie naturelle et profonde.

    Comme d’autres ont des souvenirs de nuits tendres, j’ai des souvenirs de levers de soleil dans les brumes matinales, flottantes, errantes vapeurs, blanches comme des mortes avant l’aurore, puis, au premier rayon glissant sur les prairies, illuminées de rose à ravir le cœur ; et j’ai des souvenirs de lune argentant l’eau frémissante et courante, d’une lueur qui faisait fleurir tous les rêves. »

     

     

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    Victor Geruzez dit Crafty – dessin de La Grenouillère de l’île de Croissy, Le Monde Illustré ,1869

     

     

    LA FEMME DE PAUL

     

    «  (…)

    L’immense radeau, couvert d’un toit goudronné que supportent des colonnes de bois, est relié à l’île charmante de Croissy par deux passerelles dont l’une pénètre au milieu de cet établissement aquatique, tandis que l’autre en fait communiquer l’extrémité avec un îlot minuscule planté d’un arbre et surnommé le « Pot-à-Fleurs », et, de là, gagne la terre auprès du bureau des bains.

    Le bras de la rivière (qu’on appelle le bras mort), sur lequel donne ce ponton à consommations, semblait dormir, tant le courant était faible. Des flottes de yoles, de skifs, de périssoires, de podoscaphes, de gigs, d’embarcations de toute forme et de toute nature, filaient sur l’onde immobile, se croisant, se mêlant, s’abordant, s’arrêtant brusquement d’une secousse des bras pour s’élancer de nouveau sous une brusque tension des muscles, et glisser vivement comme de longs poissons jaunes ou rouges.

    (…)

    Dans l’établissement flottant, c’était une cohue rieuse et hurlante. Les tables de bois, où les consommations répandues faisaient de minces ruisseaux poisseux, étaient couvertes de verres à moitié vides et entourées de gens à moitié gris. Toute cette foule criait, chantait, braillait. Les hommes, le chapeau en arrière, la face rougie, avec des yeux luisants d’ivrognes, s’agitaient en vociférant par un besoin de tapage naturel aux brutes. Les femmes, cherchant une proie pour le soir, se faisaient payer à boire en attendant ; et, dans l’espace libre entre les tables, dominait le public ordinaire du lieu, un bataillon de canotiers chahuteurs avec leurs compagnes en courte jupe de flanelle.

    (…)

    Ce lieu sue la bêtise, pue la canaillerie et la galanterie de bazar. Mâles et femelles s’y valent. Il y flotte une odeur d’amour, et l’on s’y bat pour un oui ou pour un non, afin de soutenir des réputations vermoulues que les coups d’épée et les balles de pistolet ne font que crever davantage. 

    (…)

    C’est, avec raison, nommé la Grenouillère. À côté du radeau couvert où l’on boit, et tout près du « Pot-à-Fleurs », on se baigne. Celles des femmes dont les rondeurs sont suffisantes viennent là montrer à nu leur étalage et faire le client. Les autres, dédaigneuses, bien qu’amplifiées par le coton, étayées de ressorts, redressées par-ci, modifiées par-là, regardent d’un air méprisant barboter leurs sœurs.

    Sur une petite plate-forme, les nageurs se pressent pour piquer leur tête. Ils sont peinture,canotiers,la grenouillère,maupassant,fournaiselongs comme des échalas, ronds comme des citrouilles, noueux comme des branches d’olivier, courbés en avant ou rejetés en arrière par l’ampleur du ventre, et, invariablement laids, ils sautent dans l’eau qui rejaillit jusque sur les buveurs du café. »

     

     

     

     

     

      

     

    19e – lithographie : Voici l’agent de change, c’est le moment de piquer une tête pour faire sa connaissance

     

     

    YVETTE

     

    « (…) En face de la demeure, l’île de Croissy formait un horizon de grands arbres, une masse de verdure, et on voyait un long bout du large fleuve jusqu’au Café flottant de la Grenouillère caché sous les feuillages. 

    Le soir tombait, un de ces soirs calmes du bord de l’eau, colorés et doux, un de ces soirs tranquilles qui donnent la sensation du bonheur. Aucun souffle d’air ne remuait les branches, aucun frisson de vent ne passait sur la surface unie et claire de la Seine. Il ne faisait pas trop chaud cependant, il faisait tiède, il faisait bon vivre. La fraîcheur bienfaisante des berges de la Seine montait vers le ciel serein.

     

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    Eugène Courboin – Embarque!, 19e, musée Fournaise, Chatou

     

    (…)

    Ils arrivèrent à la partie de l’île plantée en parc et ombragée d’arbres immenses. Des couples erraient sous les hauts feuillages, le long de la Seine, où glissaient les canots. C’étaient des filles avec des jeunes gens, des ouvrières avec leurs amants qui allaient en manches de chemise, la redingote sur le bras, le haut chapeau en arrière, d’un air pochard et fatigué, des bourgeois avec leurs familles, les femmes endimanchées et les enfants trottinant comme une couvée de poussins autour de leurs parents.

    Une rumeur lointaine et continue de voix humaines, une clameur sourde et grondante annonçait l’établissement cher aux canotiers.

    Ils l’aperçurent tout à coup. Un immense bateau, coiffé d’un toit, amarré contre la berge, portait un peuple de femelles et de mâles attablés et buvant ou bien debout, criant, chantant, gueulant, dansant, cabriolant au bruit d’un piano geignard, faux et vibrant comme un chaudron.

    De grandes filles en cheveux roux, étalant, par devant et par derrière, la double provocation de leur gorge et de leur croupe, circulaient, l’œil accrochant, la lèvre rouge, aux trois quarts grises, des mots obscènes à la bouche.

    D’autres dansaient éperdument en face de gaillards à moitié nus, vêtus d’une culotte de toile et d’un maillot de coton, et coiffés d’une toque de couleur, comme des jockeys.

    Et tout cela exhalait une odeur de sueur et de poudre de riz, des émanations de parfumerie et d’aisselles.

    Les buveurs, autour des tables, engloutissaient des liquides blancs, rouges, jaunes, verts et criaient, vociféraient sans raison, cédant à un besoin violent de faire du tapage, à un besoin de brutes d’avoir les oreilles et le cerveau pleins de vacarme.

    De seconde en seconde un nageur, debout sur le toit, sautait à l’eau, jetant une pluie d’éclaboussures sur les consommateurs les plus proches qui poussaient des hurlements de sauvages.

    Et sur le fleuve une flotte d’embarcations passait. Les yoles longues et minces filaient, enlevées à grands coups d’aviron par les rameurs aux bras nus, dont les muscles roulaient sous la peau brûlée. »

     

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    Henri Guydo – dessin A la Grenouillère, 1902, journal Le Rire

     

     

  • Genèse de l'impressionnisme

     

    12. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 5. Le Déjeuner des Canotiers

     

     

     

     

         J’étais à Chatou et l’automne débutait. Le balcon du restaurant Fournaise n’attendait plus que ses invités.

     

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    Balcon du restaurant de la maison Fournaise à Chatou – photo Alain Yvars

     

     

         Mes nombreuses esquisses ne m’avaient pas satisfaisait… Pouvais-je retarder plus longtemps le grand projet qui m’obsédait depuis que je fréquentais la maison Fournaise ?

         Je me faisais vieux pour un travail de cette importance… En serais-je encore capable plus tard ?

        La toile représentant Alphonsine Fournaise, peinte l’année dernière sur la terrasse du restaurant, n’avait fait que me conforter dans l’idée de cette grande composition que je souhaitais réaliser sur cette même terrasse. Je voulais reprendre le thème joyeux de mon Bal au Moulin de la Galette réalisé à Montmartre quatre années auparavant. Le plaisir de peindre ces danseurs dans un décor et une ambiance de fête avait été si intense... j’en tremblais encore en y pensant.

       « Renoir, vous devriez cesser d’exposer avec vos amis impressionnistes… Les critiques sont acerbes… On se moque de vous… ».

         Émile Zola, critique d’art influent, m’avait conseillé d’aller au Salon officiel : « On peut garder son indépendance dans ses œuvres, on n’atténue rien de son tempérament, mais ensuite on livre bataille en plein soleil, dans des conditions plus favorables à la victoire. », m’avait-il dit. « Les artistes impressionnistes ne devraient plus se contenter d’exposer seulement des esquisses peintes en plein air mais des toiles ambitieuses, réfléchies, tirées de la vie moderne » avait-il ajouté.

         J’avais gambergé longtemps avant de suivre les conseils de l’écrivain, puis je m'étais décidé. Dans ma technique et mes sentiments je me sentais toujours pleinement « impressionniste » mais, n’obtenant aucun succès, je ne participais plus depuis trois ans aux expositions de mes amis, préférant envoyer une ou deux toiles chaque année au Salon.

         Cette fois, j’étais sûr du succès…

        J’étais persuadé que la grande composition que j’allais entreprendre, sorte d’adieu à mes tableaux de canotiers et de canotières, m’obtiendrait enfin la reconnaissance de la profession. Le succès obtenu au Salon de l’année passée avec le portrait de Madame Charpentier et de ses enfants, ne pouvait que m’encourager à utiliser un autre style de peinture à la touche nouvelle et assagie, aux contours affinés.

     

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    Auguste Renoir – Madame Charpentier et ses enfants, 1878, Metropolitan Museum of Art, New York

     

     

     

        Le thème de la toile était ambitieux : au bord de l’eau, par une belle journée ensoleillée, deux tables sont installées sur la terrasse du restaurant. Une dizaine de jeunes femmes et jeunes gens de la bourgeoisie aisée s’amusent autour d’un déjeuner ; le repas se termine. 

      

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    Auguste Renoir – Le déjeuner des canotiers, 1880, Phillips Collection, Washington

     

     

        Il me restait à trouver les modèles parmi mes amis et les nombreuses connaissances qui fréquentaient l’établissement. Le baron Barbier, un habitué, passionné de canotage, habitait Chatou. Il m’avait aidé à trouver les modèles qui manquaient.

        Durant tout l’automne, le restaurant Fournaise et son balcon allaient devenir mon nouvel atelier en plein air.

      Quatorze personnes composaient le tableau. Le choix et l’emplacement des personnages étaient le plus laborieux à réaliser.

        Une grande table, couverte d’une nappe blanche, était placée au premier peinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnismeplan. Des fruits, bouteilles et verres se dressaient sur la nappe, superbe nature morte par laquelle j’avais commencé mon travail en premier. Un grand plaisir de peinture… Mes personnages principaux entouraient la table. Ceux-ci composaient un premier groupe, les plus en vue.

     

         De part et d’autre de ce groupe principal, en pendant, j’avais placé deux hommes, des canotiers sportifs, en chemise de plaisancier blanches à manches courtes, coiffés de chapeaux de paille.

         Sur la gauche, debout, immense, Alphonse, le fils Fournaise, dominait de ses braspeinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnisme puissants et sa haute stature le fleuve derrière lui. Son chapeau de paille allait jusqu’à toucher la tenture orangée et jaune.

     

     

     

     

     

     

         Une place de choix dans le motif avait été réservée à mon ami Gustave Caillebotte, peinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnismepeintre lui-même, riche mécène des impressionnistes, qui m’avait acheté souvent des tableaux pour m’aider financièrement. Je l’avais installé dans le coin droit de la toile, assis à califourchon sur une chaise, le regard dirigé vers la femme au petit chien lui faisant face. Ses bras étaient aussi musclés que ceux d’Alphonse. Grand sportif, il naviguait avec des bateaux qu’il construisait lui-même.

     

     

     

     

     

         Le personnage principal du tableau était ma compagne, Aline, la tête encadrée danspeinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnisme le torse d’Alphonse. On la remarquait au premier coup d’oeil dans le tableau. Elle faisait la moue à un petit chien griffon hirsute assis sur la table. J’adorais lorsqu’elle minaudait ainsi ! J’avais particulièrement soigné sa robe bleue bordée d’un col rouge et d’un décolleté blanc à volants. Les orangés et rouges intenses de son élégant bonnet décoré de fleurs violettes et rouges se reflétaient sur ses joues de porcelaine. Son visage accrochait si bien la lumière... Je gardais un très mauvais souvenir du petit chien dont la pose avait constamment ralenti mon travail. Cet animal n’en faisait qu’à sa tête et s’échappait subitement lorsque qu’Aline le prenait pour jouer. Je m’étais promis de ne plus repeindre d’animaux. Une vraie souffrance…

     

         Trois autres personnes faisaient partie du premier groupe.

         L’actrice Angèle Legault, une habituée du Moulin de peinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnismela Galette, dans une jolie robe bleue claire, portait un chapeau blanc avec un liseré bleu. Une broderie rouge et blanche encadrait son décolleté. Elle discutait avec mon excellent ami le journaliste Maggiolo à moitié écroulé sur elle, le regard très intéressé par la jeune femme.

     

     

     

     

         De dos, au centre de la toile, apparaissait le baron Barbier avec un chapeau melon marron. Cet ancien officier de cavalerie, était un grand amateur de vin et de femmes qu’il poursuivait sans cesse. Un obsédé cet homme ! Il était le danseur vedette et l’animateur des soirées Fournaise avec l’écrivain Paul Lhote. A la fin des repas, les deux hommes chahutaient constamment Adeline en la faisant tournoyer sans fin sur un air de valse au son du piano joué par Alphonsine Fournaise.

     

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         La belle Alphonsine… L’âme du restaurant, en robe blanche bordée de rouge, nonchalamment accoudée sur la balustrade, était coiffée d’un chapeau de paille jaune peinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnismeà bordure bleue semblable à celui de son grand gaillard de frère. Elle buvait les paroles du baron assis face à elle. A l’époque du tableau, elle était très amoureuse d’un jeune peintre habitant Chatou, Maurice Réalier-Dumas, qui fréquentait la maison Fournaise depuis peu. Ce garçon peignait au rez-de-chaussée du restaurant une fresque amusante intitulée « Les Quatre Ages de la Vie ». Comment pouvait-elle résister ! Ce grand et bel homme, au regard bleu très clair, avait immédiatement séduit Alphonsine qui ne cessait de venir voir l’avancement des fresques, ce qui l’intéressait beaucoup plus que l’avancement de mon tableau.

     

         La composition du premier groupe me satisfaisait. Au cours de l’automne, j’avais commencé à croquer rapidement les autres personnages du tableau, puis avais décidé de laisser reposer la toile quelques jours, fidèle à ma maxime préférée qui était : « Il faut savoir flâner en peinture ». Il m’arrivait ensuite de remarquer, longtemps après, des choses importantes que je n’avais pas perçues aux premiers coups de brosses.

     

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           Le temps passait. Il me fallait avancer dans mon travail. 

        Différents modèles choisis parmi mes relations ou les habitués du restaurant se tenaient debout au fond de la toile : Charles Ephrussi en haut de forme causant avec le poète Jules Laforgue ; en-dessous de lui, assise, portant un chapeau à fleurs, un de mes modèles préférés, l’actrice Ellen Andrée, également modèle favori de Degas, portait son verre à ses lèvres, le regard dans le vague.

         Dans le coin droit, Paul Lhote et mon ami d’enfance Lestringuez flirtaient avec la célèbre actrice parisienne Jeanne Samary ajustant son chapeau. J’appréciais cette comédienne de talent depuis que ses parents me l’avaient présentée : « Si vous avez besoin d’un modèle… Jeanne vous admire tant ». Tout le monde doutait de moi à l’époque. Je n’avais pas hésité et venais la peindre à la Comédie-Française où elle jouait les soubrettes. Je fis de nombreux portraits de cette jolie femme.

         Mon Déjeuner me plaisait. Il ne me restait plus qu’à peaufiner le paysage de fond du tableau. Brossée par petites touches, une fenêtre de nature ouvrait sur un grand espace donnant sur les arbres, la rivière, quelques voiles, et le pont de chemin de fer au loin.

     

         Ce tableau fut un de mes combats les plus rudes depuis mes débuts en peinture : un véritable duel qui m’avait vu harceler le motif comme un amoureux bousculant une fille qui se défend avant de succomber. Mais j’étais patient et, au bout de plusieurs semaines, le motif avait fini par céder pour laisser la place à l’impression visuelle que j’espérais obtenir : une atmosphère de bonheur et de joie de vivre. Le résultat final d’une œuvre était toujours une révélation émerveillée pour moi. Ma volupté de peintre devenait une volupté d’homme.

         A mes yeux, il était important qu'un tableau soit une chose aimable, joyeuse, et jolie. Pourquoi la grande peinture ne serait-elle pas joyeuse, pensais-je souvent ? Bon Dieu, il y avait assez de choses ennuyeuses dans la vie pour ne pas en fabriquer d’autres !

     

        Ce travail marqua un tournant dans mon oeuvre. Malheureusement, mon marchand Durand-Ruel ne tint pas compte de mes nombreuses demandes et me permit uniquement d’exposer la toile à l’exposition du groupe des indépendants de l’année 1881, et non au Salon Officiel comme je l’aurais souhaité.

        Cette époque des bords de Seine, des canotiers, et de la joie de vivre, se terminait.

       Après le Déjeuner, je sentais que j’avais tout dit en matière d’impressionnisme. 

       Etais-je encore un véritable impressionniste ?

     

     

        Je m’aperçois que cette longue étude consacrée à l’impressionnisme et ses années de jeunesse atteint déjà le douzième chapitre. Ce n’était pas vraiment prémédité lorsque je me suis lancé dans cette aventure. Et voilà ! Comme souvent, je me suis laissé emporter par ce thème qui me tenait à cœur, mélangeant récits inédits, comme celui d’aujourd’hui, et d’autres plus anciens réédités.

         Le pire est que je sens, au risque de lasser, que je ne suis pas encore au bout de mon idée sur ce thème qui est si vaste. Je vais devoir encore le poursuivre quelque temps.

         Mon prochain article, le dernier sur Auguste Renoir, rééditera un récit inspiré des trois merveilleux tableaux consacrés à la thématique de " la danse " peints par l'artiste peu de temps après " Le Déjeuner des canotiers " .

         On continue ?

     

  • La petite fille au ruban bleu

     

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    Auguste Renoir - Portrait de Mademoiselle Irène Cahen d'Anvers, 1880, Fondation Bührle, zürich

     

     

         Pour la première fois, samedi soir, j’ai vu à la télévision ce magnifique portrait d’Auguste Renoir peint en 1880, la même année que le fameux Déjeuner des canotiers dont j’ai déjà parlé dans d’autres articles.

         Imaginez le plaisir que j’ai ressenti devant la qualité de ce portrait qui m’a rappelé par certains côtés la Jeune fille à la perle de Johannes Vermeer, peinte elle aussi légèrement de trois quart avec cette même fraîcheur de coloris.

         Je vous donne quelques détails sur l’œuvre :

     

    Mise au ban, cachée puis spoliée durant la Seconde Guerre mondiale, «La Petite Fille au ruban bleu», peinte par Auguste Renoir en 1880, livre ses secrets et ceux de son modèle Irène Cahen d'Anvers. La toile est intimement liée aux heures les plus sombres de la France de la première moitié du XXe siècle. Bientôt exposée à la Kunsthaus à Zürich, le chef-d'oeuvre fait partie des pièces maîtresses de la Collection Emile Bürhle, une collection exceptionnelle mais très controversée. L'exposition de ce tableau de Renoir mondialement reconnu fait encore aujourd'hui ressurgir les fantômes du passé et révèle l'histoire qui se cache derrière.

     

         Pour ceux qui veulent revoir l’excellente émission TV visible jusqu’au 7 décembre prochain, je donne le lien :

     

    https://www.france.tv/documentaires/art-culture/1113769-renoir-et-la-petite-fille-au-ruban-bleu.html

     

         Le plus étonnant est que j’ai retrouvé un autre tableau du même Renoir que je connaissais, daté de 1888, nommé La jeune fille au ruban bleu dont le motif n’est guère éloigné du premier portrait :

     

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    Auguste Renoir – La jeune fille au ruban bleu, 1888, Musée des Beaux-Arts, Lyon

     

     

         Que c’est beau Renoir !

     

     

     

     

  • Mémoires de guinguettes

     

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    Jules Scalbert – Bords de Marne, 1908

     

     

     

         Pour mon dernier article de l’été, je vous offre un petit rafraichissement sur un air d’accordéon.

     

     

     

    Livre Mémoires de Guinguettes – Francis Dauby, Sophie Orivel, Martin Pénet

     

     

    « Le musette est l’âme des guinguettes. Il ne faut pas confondre guinguettes et goguettes, sociétés chantantes ouvrières et revendicatrices nées au cours de l’avant-dernier siècle. Ce qui n’empêche pas d’être en goguette dans une guinguette, où l’on servait autrefois le « guinguet » que l’on qualifiait ainsi : vin tellement aigre qu’il fait danser les chèvres ».

     

     

    Un art de vivre typiquement français, un air d’accordéon, des lampions la nuit, des rires et des chansons. Tout au long de ce livre on les imagine ces guinguettes : « les guinguettes n’ont pas d’histoires, elles n’ont que des histoires ».

     

    Vers la moitié du 19e siècle, progressivement, les guinguettes parisiennes, genre de cabarets dansant, vont s’éloigner de la capitale. Avec les nouvelles facilités de déplacement, les parisiens découvrent de nouveaux loisirs. Sur les bords de Seine, de l’Oise, et de Marne, la baignade, les fêtes nautiques et le canotage vont devenir des éléments indispensables de la sortie du dimanche.

     

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    Antony Morlon – Les canotiers de la Seine, 1865

     

    Tout le long de ces cours d’eau, de nombreuses guinguettes vont s’installer. Danse, ripailles et flirts se mélangent dans un rythme de polka très enlevé que de petits orchestres le plus souvent composés d’un piano, de violons et d’instruments à vent (piston ou clarinette), animent.

     

     

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    Miranda, illustrateur ; Yon, graveur – La Grenouillère, 1873, musée Fournaise, Chatou

     

    Curieux établissement que les bains froids de la Grenouillère, un café-guinguette flottant installé sur l’île de Croissy, face à Bougival, dans une boucle de la Seine. Le nom de la Grenouillère ne venait pas de ces batraciens qui peuplaient la rivière ou les prés environnant. On appelait « grenouilles » des femmes légères, de petite vertu, libres, s’amourachant rapidement.

     

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    Danse : Le chahut dans une guinguette

     

    Le dimanche soir on y dînait et dansait le quadrille ou la polka dans un joyeux désordre de groupes de canotiers qui venaient avec leurs compagnes habillées de robes courtes. Des filles au maquillage criard, le plus souvent des demi-mondaines ou des filles du peuple dévergondées, venaient se faire offrir un verre, voire plus… La soirée se terminait par cette nouvelle danse : le chahut. Un peu n’importe quoi : Les danseurs lançaient leurs jambes en avant, effectuaient des pirouettes, se saluaient, en totale liberté. Des femmes passaient, l’œil aguicheur. Un cancan endiablé s’invitait au final et la soirée se terminait autour d’une friture de goujons des bords de Seine arrosée de vin de chablis.

     

    Des chansons comme la « Polka des canotières » fleurissent (extrait) :       

     

     Ohé ! Ohé ! Mes belles amoureuses

    Surtout prenez garde à vous 

    Les rameurs vous font les yeux doux.

    Ohé ! Ohé ! Les ondes sont trompeuses 

    Et la vertu dans un coup d’vent 

    En canot chavire souvent.

     

    Les écrivains s’inspirent de ces lieux de plaisir. Emile Zola dans « Au bonheur des dames » nous emmènera passer un dimanche à Joinville. Guy de Maupassant décrira merveilleusement ces guinguettes qu’il fréquentait assidument.

      

    LA FEMME DE PAUL – Guy de Maupassant

     

    Dans l’établissement flottant, c’était une cohue rieuse et hurlante. Les tables de bois, où les consommations répandues faisaient de minces ruisseaux poisseux, étaient couvertes de verres à moitié vides et entourées de gens à moitié gris. Toute cette foule criait, chantait, braillait. Les hommes, le chapeau en arrière, la face rougie, avec des yeux luisants d’ivrognes, s’agitaient en vociférant par un besoin de tapage naturel aux brutes. Les femmes, cherchant une proie pour le soir, se faisaient payer à boire en attendant ; et, dans l’espace libre entre les tables, dominait le public ordinaire du lieu, un bataillon de canotiers chahuteurs avec leurs compagnes en courte jupe de flanelle.

     

    YVETTE – Guy de Maupassant

     

    Ils l’aperçurent tout à coup. Un immense bateau, coiffé d’un toit, amarré contre la berge, portait un peuple de femelles et de mâles attablés et buvant ou bien debout, criant, chantant, gueulant, dansant, cabriolant au bruit d’un piano geignard, faux et vibrant comme un chaudron.

    De grandes filles en cheveux roux, étalant, par devant et par derrière, la double provocation de leur gorge et de leur croupe, circulaient, l’œil accrochant, la lèvre rouge, aux trois quarts grises, des mots obscènes à la bouche.

    D’autres dansaient éperdument en face de gaillards à moitié nus, vêtus d’une culotte de toile et d’un maillot de coton, et coiffés d’une toque de couleur, comme des jockeys.

    Et tout cela exhalait une odeur de sueur et de poudre de riz, des émanations de parfumerie et d’aisselles.

     

     

    Les peintres fréquentaient aussi beaucoup ces lieux de plaisir qui leur fournissaient de nombreux thèmes de tableaux. En 1880, Auguste Renoir peindra son « Déjeuner des Canotiers », et sa série des « Danses ». En 1869, avec son ami Claude Monet, ils planteront leurs chevalets devant la « Grenouillère » dont j’ai parlé plus haut et feront dans un style différent les premières toiles impressionnistes.

     

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    Auguste Renoir – La Grenouillère, 1869, musée national, Stockholm

     

    Avant 1906, il ne faut pas oublier qu’une partie de la population ne pouvait se joindre à la foule en liesse pour profiter de ces amusements : ceux qui travaillaient sept jours sur sept ! Il faut attendre le 13 juillet 1906 pour que soit votée la loi sur le repos hebdomadaire obligatoire le dimanche.

     

    QUAND ON S’PROMÈNE AU BORD DE L’EAU (1936)

     

    Valse Musette créée par Jean Gabin dans le film de Julien Duvivier « La Belle Équipe ».

    Cette chanson, qui symbolise le mieux aujourd’hui l’échappée des guinguettes comme lieu de bonheur au moment de l’avènement du front populaire généralisant les congés payés, a curieusement connu un succès assez tardif.


    Refrain

     

    Quand on s’promène au bord de l’eau,

    Comm’tout est beau…

    Quel renouveau…

    Paris au loin nous semble une prison,

    On a le cœur plein de chansons.

    L’odeur des fleurs

    Nous met tout à l’envers

    Et le bonheur

    Nous saoule pour pas cher.

     

     

    Les guinguettes perdureront jusque dans les années 1960. Avec le développement des voies de communications autoroutières, une urbanisation dévastatrice, la voiture devenant reine les parisiens s’éloignent des environs de la capitale. Progressivement, les guinguettes disparaissent avant les prémices d’un renouveau possible dont on parle aujourd’hui.

     

    Si vous voulez retrouver des souvenirs anciens, revivre un monde de fêtes, d’eau et de musiques, vous entendre conter l’aventure trois fois centenaire des guinguettes, ce livre superbement documenté est fait pour vous.

     

     

         Excellentes vacances à tous.

     

     

  • Genèse de l'impressionnisme

    17. Paul Durand-Ruel – Un marchand visionnaire

     

     

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    Auguste Renoir – Paul Durand-Ruel, 1910, collection particulière

     

    « Ce n’est pas un marchand de tableaux c’est un apôtre, un prophète »

     

                                                                                Théodore Duret

                                                                   Lettre à Claude Monet du 29 novembre 1884

     

     

         Le musée parisien du Luxembourg avait frappé un grand coup pour son exposition d’ouverture de sa saison automnale, le 9 octobre 2014 : « Paul Durand-Ruel – Le pari de l’impressionnisme ».

         Cette année 2014 avait été somptueuse pour les peintres impressionnistes ! Après la superbe exposition au musée Marmottan « Les impressionnistes en privé », je venais, à nouveau, dans ce beau musée longeant le jardin du Luxembourg de mon enfance, de retrouver l’univers pictural que j’aime : léger, vaporeux, couleurs fragmentées tremblotantes dans la lumière, fugitivité des choses.

         Pour la première fois, une exposition était consacrée à celui qui fut l’un des plus grands marchands d’art du monde au tournant du 19e et du 20e siècle : Paul Durand-Ruel, visionnaire, amateur éclairé, collectionneur lui-même, mécène et ami des peintres modernes qui voulaient chambouler l’art académique.

         Durant des dizaines d’années, il allait se battre, jusqu’à risquer sa fortune personnelle, pour faire connaître et apprécier la peinture impressionniste. Au lieu de suivre la maxime « dans les affaires pas de sentiments », il ne pouvait refuser à un ami dans la détresse. Bien souvent, manquant lui-même du nécessaire, il empruntait à gros intérêts pour sauver un artiste de la misère, pour l’empêcher de mourir de faim ou de voir son atelier et ses meubles vendus par les huissiers. Dans les années 1870, cela lui arriva souvent pour aider Degas, Monet ou Sisley, entre autres.

         « Missionnaire de la peinture » l’appelait Renoir. (…) « Ils auront beau faire, ils ne vous tueront pas votre vraie qualité : l’amour de l’art et la défense des artistes avant leur mort. Dans l’avenir, se sera votre gloire. »

         « Sans Durand nous serions morts de faim, nous tous les impressionnistes. Nous lui devons tout ! » s’exclamait encore Claude Monet au soir de sa vie. 

         Au début du 20e siècle, la galerie du marchand avait été saluée comme un « second Louvre ». Librement ouvert à la visite, son appartement de collectionneur s’était transformé en un magnifique musée d’art contemporain.

     

     

         Grâce à la donation Caillebotte, le Musée du Luxembourg avait été, en 1896, le premier musée français à accueillir des œuvres impressionnistes.

         « Puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans », disait en 1874, lors de la première exposition des futurs impressionnistes, un critique du Charivari pour se moquer du tableau de Claude Monet « Impression, soleil levant ». Tout comme ce journaliste, en visitant l’exposition du Luxembourg s’ouvrant en octobre 2014, j’étais resté impressionné… ébloui…

      L’exposition était exceptionnelle. De nombreuses toiles venaient de musées étrangers. Toutes gardaient encore elle la mémoire ineffaçable de leur protecteur et marchand Durand-Ruel. Certaines étaient des chefs-d’œuvre universellement admirés : la série des « Peupliers » de Claude Monet ou celle des « Danses » d’Auguste Renoir (voir mon article 13. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 6. La Danse).

       Je montre, ci-dessous, une courte sélection des œuvres impressionnistes accrochées (près d’une centaine de tableaux, dessins, et photographies). Je n’ai choisi que des toiles des meilleures années de l’impressionnisme naissant demeurant dans des musées étrangers ou dans des collections particulières, dont plusieurs m’étaient inconnues.

     

     

         Pour le plaisir de nos yeux, le temps de l’exposition, les trois danseuses peintes au cours de la même année 1883 par Pierre Auguste Renoir sont réunies côte à côte surpeinture,impressionnisme,durand-ruel un même pan de mur. Elles sont le point d’orgue de l’exposition.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

      

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    Auguste Renoir - Les filles de Paul Durand-Ruel, Marie-Thérèse et Jeanne, 1882, Chrysler Museum of Art, Norfolk

     

         Peint à Dieppe, en août, on sent dans ce portrait l’amitié qui unit le marchand et le peintre. En cette belle journée ensoleillée, des taches lumineuses éclaboussent les deux fillettes.

     

     

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         Il s’agit d’Angèle, une jeune fille habituée du Moulin de la Galette à Montmartre.

    Heureux Durand-Ruel ! Cette « Jeune fille endormie » était l’un des fleurons de sa collection privée. Il ne s’en sépara jamais.

     

     

     

     

     

     

     

    Auguste Renoir – Jeune fille endormie, ou La jeune fille au chat, 1880, The Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

     

     

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    Claude Monet – Le pont de chemin de fer à Argenteuil, 1873, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie

     

         Argenteuil. La période heureuse de Monet dans cette banlieue parisienne où il habita plusieurs années avec son premier amour : Camille. Le pont de chemin de fer enjambait la Seine.

     

     

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    Alfred Sisley – Le pont à Villeneuve-la-Garenne, 1872, The Metropolitan Museum of Art, New York

     

         Durand-Ruel fit graver cette toile lumineuse pour la mettre dans le « Recueil d’estampes » où il réunissait les plus belles œuvres de son stock, celles qu’il appréciait le plus (toile déjà montrée dans mon récent article sur Alfred Sisley).

     

     

         Elle monte, elle monte, miss Lala, par la seule force… de la mâchoire. La célèbrepeinture,impressionnisme,durand-ruel acrobate attirait de nombreux visiteurs au cirque Fernando, boulevard de Rochechouart à Paris. Toulouse-Lautrec, Seurat, Renoir, aimait également venir croquer les clowns, écuyères et trapézistes.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Edgar Degas – Mademoiselle Lala au cirque Fernando, 1879,The National Gallery, Londres

     

     

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    Camille Pissarro – L’écluse de Pontoise, 1872, The Cleveland Museum of Art, Cleveland

     

         Pissarro a installé son chevalet sur la rive droite de l’Oise, en face des maisons de Saint-Ouen-l’Aumône. Des touches nerveuses éclaboussent de lumière argentée le triste déversoir de l’écluse servant à réguler les importantes variations de l’Oise.

     

     

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    Auguste Renoir – La tasse de thé, 1878, collection particulière

     

         Le Renoir de la pleine maturité artistique de la fin des années 1870. Le Moulin de  la Galette a été peint à la même période. Le peintre lui-même garda ce tableau 20 ans chez lui. Finalement il le vendra à Durand-Ruel qui lui donnera une place essentielle dans sa collection. Seul la mort du collectionneur permettra de la vendre en 1937.

     

     

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         Une danseuse de ballet, motif rare dans l’œuvre de Renoir. Celle-ci figura à la première exposition impressionniste de 1874 au milieu des gracieuses danseuses de Degas.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Auguste Renoir – Danseuse, 1874, National Gallery of Art, Washington

     

     

     

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             Claude Monet – Eglise de Varengeville, 1882, collection particulière

     

         En Normandie, Monet découvre cette petite église de marins du 12e siècle, perchée, à marée basse, en haut d’une falaise rocheuse dont la perspective est audacieuse. « Certaines falaises scintillent comme des amas de pierreries » s’émerveilla le critique d’art Gustave Geffroy, comparant Monet à un « géologue ».

      

     

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    Claude Monet – Liseuse, ou Printemps, 1872, The Walters Art Museum, Baltimore

     

         Monet peindra très souvent sa jeune femme Camille, surtout durant la période où le couple vivait à Argenteuil. A mes yeux, aucun doute, cette Liseuse est un chef-d’œuvre. Il s’agit de la plus belle représentation par l’artiste de Camille. Lors de sa critique d’une exposition où figurait la toile, Emile Zola écrit : « Il ne faudra pas oublier […] le portrait d’une femme habillée de blanc, assise à l’ombre du feuillage, sa robe parsemée de paillettes lumineuses, telles de grosses gouttes. »

     

     

         Il s’agit de Delphine Legrand, la fille d’un commanditaire de Renoir qui aidera peinture,impressionnisme,durand-ruelle peintre à survivre au milieu des années 1870.

        Le talent de Renoir pour rendre la fraîcheur de l’enfance est unique chez l’artiste. Une nouvelle fois, Zola remarque : « C’est une figure étrange et sympathique ; avec son visage allongé, ses cheveux roux, le sourire à peine perceptible, elle ressemble à je ne sais quelle infante espagnole ».

     

     

     

     

     

     

     

    Auguste Renoir – Portrait de Mademoiselle Legrand, 1875, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie

     

     

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    Edgar Degas – Le foyer de la danse, 1881, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie

     

         Curieusement, Degas, sûrement mécontent du côté droit du tableau où une ballerine ajustant son chausson figurait, la remplace par une femme assise lisant un journal.

     

     

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    Auguste Renoir – Sur la terrasse, 1881, The Art Institute of Chicago, Chicago

     

         Renoir a beaucoup peint sur la terrasse du Restaurant Fournaise sur l’île de Chatou près de Paris, dont la toile universellement connue Le déjeuner des canotiers (voir mon article 12. Auguste Renoir - Ma période impressionniste : 5. Le déjeuner des Canotiers). En ce printemps 1881, devant la Seine, la jolie mademoiselle Darlaud pose en compagnie d’une jeune enfant. Le peintre est au sommet de son art dans cette merveilleuse scène où les bleus et les rouges se répondent harmonieusement.

     

     

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    Alfred Sisley – Vue de Saint-Mammès, 1881, The Carnegie Museum of Art, Pittsburgh

     

         Petite ville tranquille au bord de la Seine finement colorée de tonalités bleutées. Cette toile sera le premier Sisley à entrer dans une collection publique américaine.

     

     

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    Auguste Renoir – Fin de déjeuner, 1879, Städel Museum, Francfort

     

         « Le tableau est tellement beau de qualité que je suis décidé à ne jamais m’en dessaisir si vous ne le prenez pas. » écrit Durand-Ruel en 1899 en demandant une très grosse somme au directeur du Städel Museum.

  • Genèse de l'impressionnisme

     

    10. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 3. Madame Papillon

     

     

     

    EXCELLENTE ANNÉE 2018 À TOUTES ET TOUS

     

     

     

      

     

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    Auguste Renoir – Alphonsine Fournaise, 1879, musée d’Orsay, Paris

     

     

         Quelle jolie fille, bon Dieu !

       La belle Alphonsine, comme l’appelaient les habitués, était l’âme de la maison Fournaise. Elle était veuve depuis 1871 d’un certain Joseph Papillon qui était décédé après seulement six années de mariage. Quelle malchance de mourir lorsque l’on possède une aussi belle femme ! Que pouvait-elle faire à seulement 26 ans lorsque l’on possède un teint de pêche, un sourire enjôleur éternellement accroché, et des yeux de velours : elle revint vivre chez ses parents à Chatou.

       Une brave fille cette Alphonsine. Rieuse, et pas bégueule ! Sa présence fut pour beaucoup dans la renommée de l’établissement. Servant au restaurant, la fille du patron attirait la nombreuse clientèle dont beaucoup ne venait que pour elle et la chaleur de son accueil. Elle ne manquait pas d’esprit et était devenue l’égérie et la confidente de la jeunesse dorée de la fin de l’Empire, ainsi que des nombreux artistes qui fréquentaient l’hôtel, dont je faisais partie. Je ne cessais de la contempler avec l’œil du jouisseur que j’étais.

         Je lui avais proposé de faire son portrait. Son acceptation me combla de joie.     

        J’avais souhaité la peindre assise sur la terrasse du restaurant, accoudée à une table, face au superbe paysage représentant la Seine, le pont ferroviaire de Chatou, et les collines de Bougival au loin.

         « Prenez ces cerises et accrochez-les à votre oreille. Le même rouge dessinera votre bouche en coeur et le large ruban ornant votre chapeau de paille. »

         Le contraste des cerises sur le fond bleu-vert du décor derrière elle était optimum. Ce tableau, comme tous ceux peints à cette période, confirmait mes théories impressionnistes : couleur appliquée par touches courtes, légères, lumière naturelle, dilution du personnage dans un effet atmosphérique vaporeux.

     

      

     

           A partir des années 1875, j’avais commencé à fréquenter de plus en plus souvent la maison Fournaise.

         Coincé dans un écrin de verdure entre les deux ponts de Chatou, le long des berges de la Seine, cet hôtel restaurant faisant guinguette était installé sur l’île de Chatou. En aval, le fleuve descendait vers Bougival et l’île de Croissy où j’étais venu quelques années auparavant, avec Monet, peindre le café-guinguette flottant de la Grenouillère. 

       Situé à dix kilométriques de Paris, l’accès était facile pour les habitants de la capitale. De la gare Saint-Lazare, un train omnibus pour Saint-Germain partait toutes les demi-heures et s’arrêtait au pont de Chatou. Le dimanche, les parisiens venaient souvent pour canoter et finir la journée devant une matelote ou une friture de Seine.              

        Pittoresque personnage que le propriétaire de l’établissement, Alphonse Fournaise ! Ses clients, qu’il promenait en bateau, le surnommaient le « Grand Amiral ».

       Il s’était installé en 1858 et construisait des canots, yoles, qu’il vendait, louait et entretenait. J’adorais madame Fournaise, sa charmante épouse. Elle se chargeait de la cuisine et de la direction du restaurant. Le fils, Hippolyte-Alphonse, grand, tout en muscles saillants, s’occupait des relations avec la clientèle, participait aux fêtes nautiques et joutes organisées par son père. Il partageait son temps entre les joutes et les petites femmes de la région qui appréciaient son torse puissant. Une vie trop facile pour ce garçon…

     

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    La maison Fournaise – Vue sur l’île depuis le pont de Chatou, 1900

     

         J’étais toujours fourré chez Fournaise. J’y trouvais toutes les plus belles filles que je n’osais en désirer : lavandières, cousettes, repasseuses. Pour une simple pose, elles me prêtaient leur jeunesse gourmande, leur fraîcheur, des sourires en prime. J’aimais les courbes de leurs corps qui dégageaient une sensualité animale. Bien souvent, elles ne me faisaient pas payer. Ainsi, je n’étais plus réduit à suivre des modèles moches durant une heure, comme cela m’arrivait souvent, pour finalement me faire traiter de vieux dégoutant.

         Aux beaux jours, tous les soirs c’était la fête chez Fournaise. On festoyait pour pas peinture,renoir,impressionnisme,orsay,chatou,maison fournaisecher. Après une journée sur l’eau qui leur avait ouvert l’appétit, les canotiers arrivaient par petits groupes bruyants, suivis de leurs compagnes. « A boire ! », ils chantaient, braillaient, blaguaient. Le « jinglet », ce petit vin acide de la région, échauffait rapidement les têtes. Les femmes se débarrassaient de leurs capelines, tout en libérant les boutons de leurs corsages pour mieux respirer, ce qui ne manquait pas d’énerver les hommes. Les verres étaient avalés d’un trait.

       Servi par Alphonsine, qui circulait de table en table sous les clameurs et hurlements, le repas était tumultueux. Elle repérait les beaux garçons qu’elle choyait tout particulièrement. Les intimes l’appelaient « Madame Papillon » qui restait son nom de veuve.

    Ferdinand Lunel - Le restaurant Fournaise, lithographie 19e, musée Fournaise, Chatou  

     

        Alphonsine !… Alphonsine !... Alphonsine !... A la fin du repas, éméchés, les habitués attendaient avec impatience qu’elle se mette à son piano couleur vert amande. Elle n’attendait que cela. L’œil allumé, elle s’installait devant l’instrument et, de son air ingénu, entamait des chansons à la mode, « La fille de madame Angot » ou « Le postillon de Longjumeau », que les tablées reprenaient en chœur.

         Connue dans toute la région, Madame Papillon était de tous les plaisirs et les cœurs chaviraient facilement. Il paraît même qu’elle fut la cause du suicide d’un architecte russe qui construisait, près du restaurant, un nouvel immeuble pour Alphonse Fournaise. « Mon Dieu, il s’est tué », avait-elle dit en s’évanouissant lorsqu’elle avait appris la mort de son amant.

       L’hôtel restaurant était aussi fréquenté pour ses nombreux plaisirs nautiques : canotage, joutes, régates. Ce décor convenait parfaitement à Alphonsine qui nageait comme un poisson. Devant ses admirateurs, son grand plaisir était d’apparaître sur le ponton devant le restaurant en costume de bain, puis de plonger d’un saut expert pour aller chercher au fond de l’eau des louis d’or que des godelureaux jetaient, rien que pour le plaisir de la voir déshabillée.

     

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    Félicien Rops  -Un dimanche à Bougival, 1874, musée félicien Rops, Namur

     

     

        Alphonse Fournaise et sa femme étaient devenus de grands amis. Je payais rarement. Une fois, alors que je voulais régler l’addition, Alphonse me lança :

         - Vous ne me devez rien. Vous nous avez laissé ce paysage. 

         - Cela n’a pas de valeur, personne n’en veut, avais-je répondu.

         Sa réponse m’avait fait sourire :

        - Qu’est-ce que ça peut me faire, puisque c’est beau. Et il faut bien mettre quelque chose sur le mur pour cacher les taches d’humidité.

       Que pouvais-je rajouter à la naïveté de cette réponse… Je fis son portrait qu’il m’avait commandé.

       J’avais installé ce brave homme, coiffé d’une casquette, sa chemise blanche de limonadier tranchant sous son gilet sombre, accoudé à une table devant un verre de bière, fumant tranquillement sa pipe. Le restaurateur fut tellement heureux du résultat obtenu qu’il me versa de suite, malgré mes protestations, une somme de 100 francs, et me commanda pour la même somme un portrait de sa fille.

     

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    Auguste Renoir – Monsieur Fournaise, 1875, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

     

     

        L’ancien balcon du restaurant s’était agrandi d’une grande terrasse toute en ferronnerie. Sous la terrasse, au rez-de-chaussée, des tonnelles construites en treillage étaient recouvertes de plantes grimpantes. De nombreux peintres, hommes du monde et écrivains, simples promeneurs, pouvaient diner ou boire un verre.

        Un joyeux drille ! J'avais sympathisé avec Guy de Maupassant, cet écrivain, passionné par l’eau et le canotage. Toujours amoureux ! Cet homme de plume sautait sur toutes les habituées du restaurant portant jupon ! Cela ne l’empêchait pas d’être mélancolique et de voir tout en noir. Nous n’avions rien en commun. « Il voit tout en rose » disait-il de moi. On s’accordait sur un seul point : « Maupassant est fou » disais-je en riant. « Renoir est fou » me rétorquait-il, en me donnant une bourrade amicale sur l’épaule.

         Ce décor de tonnelles au bord de la rivière m’inspirait. Par une belle journée, j’y avais réuni quelques amis et les avais peints en train de déjeuner devant la Seine et quelques bateaux.

     

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    Auguste Renoir – Le déjeuner des rameurs, 1879, The Art Institute, Chicago

     

     

          A la fin de l’année 1879, je savais que le moment était venu de réaliser l’important projet qui me démangeait depuis longtemps : un grand tableau de canotiers festoyant sur la terrasse du restaurant.

           Je venais de rencontrer Aline, ma nouvelle compagne...

     

     

  • Paul Durand-Ruel, défenseur des artistes

     

    Renoir

    Auguste Renoir – Le déjeuner des canotiers, 1880, Philips Collection, Washington

     

         « Sans Durand nous serions morts de faim, nous tous les impressionnistes. Nous lui devons tout ! » s’exclamait encore Claude Monet au soir de sa vie. 

     

      Quelle vie que celle de Paul Durand-Ruel ! « Missionnaire de la peinture », l’appelait Renoir.

    Paul-Louis Durand-Ruel, petit-fils du marchand, auteur du livre « Paul Durand-Ruel Mémoires du marchand des impressionnistes », le présente comme un patchwork de mémoires et documents divers écrit par son père, auquel s’ajoute des lettres et renseignements divers, un détail de ses expositions, des tableaux, et leurs prix de vente.

     

     

        Après s’être consacré pleinement à faire connaître les artistes de l’École de Barbizon des années 1830 (Corot, Rousseau, Millet…) qui seront reconnus en 1871, Paul Durand-Ruel s’installe rue Laffitte, comme son ami le marchand Ambroise Vollard. Une nouvelle avant-garde talentueuse arrive : Degas, Renoir, Monet, Morisot, Boudin, Sisley, Cassatt... Séduit par cette peinture de la fugacité des choses, et de la lumière changeante, il va se battre pour les faire connaître en s’octroyant l’exclusivité de leur travail et en les exposant dans ses galeries et son appartement familial.

     

         Un combat incessant durant une vingtaine d’années ! Cette nouvelle école lui vaut de graves déboires. Il a eu l’audace d’accueillir dans ses galeries les œuvres de peintres vilipendés par les partisans de l’académisme et des vieilles doctrines. Les critiques d’art, la presse, ses confrères l’attaquent. Il devient la risée des Salons et du public. « On me prédit à plusieurs reprises que je finirais mes jours à Charenton ». La ruine est proche. Il va jusqu’à risquer sa fortune personnelle pour faire connaître et apprécier la nouvelle peinture et aider ses amis dans la détresse. Il sauvera Monet, Degas ou Renoir.

     

        Quolibets, insultes, pleuvent lors de la deuxième exposition du nouveau groupe des peintres impressionnistes commencée le 30 mars 1876 dans la galerie Durand-Ruel 11 rue Le Peletier à Paris. Albert Wolf dans « Le Figaro » écrit un article particulièrement dur :

        « La rue Le Peletier a eu du malheur. Après l’incendie de l’Opéra, voici un nouveau désastre qui s’abat sur le quartier. On vient d’ouvrir chez Durand-Ruel une exposition, qu’on dit être de peinture. Le passant inoffensif, attiré par les drapeaux qui décorent la façade, entre, et à ses yeux épouvantés s’offre un spectacle cruel. Cinq ou six aliénés, dont une femme, un groupe de malheureux atteints de la folie de l’ambition, s’y sont donnés rendez-vous pour exposer leurs œuvres. Ils prennent des toiles, de la couleur et des brosses, jettent au hasard quelques tons et signent le tout. »

         La femme dont parle le critique est Berthe Morisot. Elle expose ma toile préférée de l’artiste : la magnifique « Femme à sa toilette ».

    Berthe Morisot

    Berthe Morisot – Femme à sa toilette, 1875, The Art Institute of Chicago

     

    Claude Monet présente ce superbe paysage « Le pont d’Argenteuil ».

    Monet

    Claude Monet – Le pont d’Argenteuil, 1874, musée  d’orsay, Paris

     

         Durand-Ruel s’acharne. Renoir lui écrit en 1885 : « Le public, la presse et les marchands auront beau faire, ils ne vous tueront pas votre vraie qualité : l’amour de l’art et la défense des artistes. Dans l’avenir, ce sera votre gloire ».

     

       Paul Durand-Ruel aura vu passer entre ses mains de nombreuses toiles renoirconsidérées comme des chefs-d’œuvre immenses aujourd’hui. Souvent, il les gardait : la « Jeune fille endormie » de Renoir était l’un des fleurons de sa collection privée. Il ne s’en sépara jamais. 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Auguste Renoir – La jeune fille endormie, 1880, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

     

         Les superbes « Danse à la campagne » et « Danse à la ville » de Renoir orneront le grand salon de son appartement rue de Rome jusqu’à sa mort.

    Renoir

    Auguste Renoir – Danse à la ville, 1883, musée d’Orsay, Paris

     

         L’exposition qu’il présente en 1886 à New York est un immense succès et voit enfin la reconnaissance des impressionnistes. À la fin de sa vie, il pouvait déclarer : « Enfin les maîtres impressionnistes triomphaient comme avaient triomphé ceux de 1830. Ma folie avait été sagesse. Dire que si j’étais mort à soixante ans, je mourais criblé de dettes et insolvable, parmi des trésors méconnus… ».

    En 1910, Renoir immortalise son ami et marchand en peignant son portrait après près de quarante ans d’amitié sincère. Durand-Ruel paraît heureux. Il s’éteint le 5 février 1922.

     

    Durand-ruel

    Auguste Renoir – Paul Durand-Ruel, 1910, collection privée

     

         « Ce n’est pas sur les bancs de l’école ni dans les milieux académiques qu’on trouvera les jeunes artistes qui aient des visions intéressantes. C’est parmi ceux qui ne cherchent leurs inspirations qu’en eux-mêmes, dans la contemplation des merveilles toujours nouvelles de la nature, et dans l’étude approfondie des chefs-d’œuvre des grands maîtres de tous les temps. »

     

     

  • Je m'appelle Louise

     

    RENOIR Auguste – La danse à la campagne, 1883, musée d’Orsay, Paris

     

     

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         Louise tourna son joli nez pointu vers un convive installé à une autre table et lui envoya des signes amicaux.

         La violoniste et le pianiste attaquèrent une valse. La jeune femme vida son verre de cidre et s’apprêtait, faute de cavalier, à valser avec une amie, lorsqu’un homme élégant, en costume sombre et canotier, la barbe taillée de près, s’approcha de la table. Il était brun, beau garçon, les traits plus fins que les gars de la région. Il sourit à Louise.

         - Vous m’accordez cette valse, mademoiselle ?

         - Euh !… Oui, dit-elle, surprise !

        Elle se leva, intimidée par la prestance de l’homme. Il lui prit la main et l’entraîna vers le centre de la piste.

       L’homme était un excellent danseur. Le couple tournait lentement en décomposant le peinture,renoir,orsaymouvement avec élégance. Les pas s’emboîtaient sans à coup. Louise serrait son éventail, le garçon lui tenant la main très haute en l’air, son autre main lui enveloppant le dos pour la maintenir contre lui. Agrippée à l’épaule du garçon, la jeune femme se laissait emporter, les yeux fermés. Sa capeline rouge accrochée à son cou par un ruban réchauffait ses joues. Elle la lança au passage, puis se colla contre le costume bleu foncé de son cavalier. Dénoué, le ruban qui retenait ses cheveux en arrière libera sa chevelure foncée qui s’enroula, tournoyante, autour de sa tête.

     

         La violoniste haussa le rythme de la valse, ce qui eut pour effet d’éliminer les plus peinture,renoir,orsaymauvais danseurs qui retournèrent s’asseoir. L’homme et Louise allaient de plus en plus vite, le corps bien droit, lovés l’un contre l’autre, ne formant plus qu’un. Les pieds soudés tourbillonnaient, leur donnant l’apparence d’une toupie humaine incontrôlable. Ils volaient littéralement sans presque toucher le sol. On ne voyait plus qu’eux voltigeant indéfiniment. Ebranlé, le canotier de l’homme roula sur le sol. Tout le monde regardait ce couple superbe que la musique emportait dans un univers de solitude.

     

     

         Lorsque l’orchestre s’arrêta de jouer, la jeune femme et son cavalier revinrent s’asseoir.

       L’homme, inconsciemment, tenait encore la main de Louise dans la sienne. Leur osmose avait été si grande qu’ils ne s’étaient pas séparés. Progressivement, ils refirent surface, déçus de ne pouvoir rester dans ces nuages qui leur appartenaient. Le garçon lâcha la main de la jeune femme, se leva pour appeler le serveur et commanda la fameuse friture de goujons de la maison avec un vin de chablis sec.

       Le serveur déboucha la bouteille. Une fine couleur ambrée allumait le vin. La friture, croustillante juste comme il faut, accompagnée de tranches de pain bis recouvertes du beurre de la région, était un régal. Le fin visage de Louise arborait un sourire béat qui indiquait qu’elle planait encore dans une atmosphère irréelle.

         Elle but une gorgée de vin blanc, ce qui eut pour effet de la ramener à la réalité. Elle sourit à son danseur.

         - Je m’appelle Louise, dit-elle à l’homme qui la contemplait avec tendresse.

     

     

  • Genèse de l'impressionnisme

     

    11. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 4. Aline Charigot

     

     

     

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    Auguste Renoir – Autoportrait, 1875, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown, USA

     

         Été 1879… J’avais trente-huit ans et j’étais amoureux…

     

     

     

         Ma vie de peintre s’organisait. Les Montmartrois m’avaient adopté et tout le monde connaissait mes vêtements gris rayés et mon petit chapeau de feutre. Je n’avais aucun mal à trouver des modèles. Les mères savaient que j’étais peintre et affluaient en me vantant les qualités de leurs filles. Entre les gamines de la Butte et les modèles professionnels, actrices ou demi-mondaines, mes journées étaient bien remplies. Parfois, en voyant la fraîcheur des jeunes adolescentes qui venaient à mon atelier, j’éprouvais des voluptés de peintre. Il arrivait, lorsque je leur plaisais, ce qui était rare, que certaines me regardent avec des yeux faussement candides. J’avais envie de peindre et pas autre chose…

       Ma méthode était efficace : « Présentez-moi à votre mère », leur disais-je. Cela m’amenait de nombreux modèles sans passer pour un satyre.

         Je vivais un rêve. Aline Charigot était entrée dans ma vie récemment.

       Je l’avais rencontrée très facilement pour la bonne raison qu’elle habitait avec sa mère, une bourguignonne qui roulait les « r », en face de mon atelier rue Saint-Georges à Paris. Madame Charigot mère avait été abandonnée par son mari et vivait de travaux de couture. Sa fille Aline était destinée à rester dans le métier elle aussi. Elle gagnait bien sa vie chez une couturière, une brave femme du bas de la Butte.

       « Prends-le riche et pas trop jeune ! Avec ta frimousse ce ne sera pas trop difficile ! », lui avait dit la couturière. Elle voulait la marier et lui prédisait un brillant avenir. J’étais pauvre, pas jeune, elle avait dix-neuf ans, et moi une vingtaine de plus. Comble de chance, c’était moi qu’Aline avait en tête !

        Un jour que la mère d’Aline, curieuse, était entrée dans mon atelier accompagnée de sa fille, elle s’était plantée devant la toile sur laquelle je travaillais et m’avait lancé d’un air ironique : « C’est avec cela que vous gagnez votre vie ? Eh bien, vous avez de la chance ! ». Aline donna l’ordre à sa mère de sortir aussitôt, ce qu’elle fit en courbant la tête, et ne revint jamais.

       De temps à autre, ma nouvelle amie me servait de modèle. Elle avait un côté « chatte ». J’avais toujours envie de la gratter dans le cou. Elle possédait ce que j’adore chez les femmes : une peau qui ne repousse pas la lumière. Tout s’éclairait autour d’elle. Des lèvres assez larges, ourlées, un teint clair, des cheveux blonds, un nez court et retroussé, des dents petites, un corps potelé, tout en elle correspondait aux critères que je recherchais pour mes modèles. Ses yeux légèrement en amande et une démarche légère ajoutaient à son charme. De plus, elle était gourmande et cela me ravissait. Je prenais plaisir à la voir manger ce qui lui donnait des formes rondelettes avec une taille de guêpe. Quelle différence avec les femmes à la mode qui se donnaient des rétrécissements d’estomac pour rester minces et pâles.

     

      

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    Maurice Leloir – La maison Fournaise, 1876, musée Fournaise, Chatou (toile volée en 1999)

     

         Nous étions constamment sur les bords de la Seine et la maison Fournaise était notre lieu de rendez-Vous. On descendait la rue Saint-Georges, et par la rue Saint-Lazare, on était à cinq minutes de la gare. Le train omnibus nous débarquait en moins d’une heure au pont de Chatou.

        Chez Fournaise, les habitués veillaient sur notre idylle avec un intérêt attendri. Mon ami, le peintre Caillebotte, notre mécène très souvent, couvait Aline comme un grand frère. Les actrices Ellen André et madame Henriot, presque toujours présentes, s’offraient comme modèles aux artistes, et j’en profitais. Elles n’étaient pas des modèles de vertu et recherchaient inlassablement la compagnie des jeunes gens qui fréquentaient le lieu. Ces deux actrices avaient pris Aline en amitié et s’étaient mises en tête de dégrossir cette jeune femme qui avait besoin, selon elles, de polir ses mœurs campagnardes d’origine bourguignonne.

        La région était merveilleuse ! Une fête perpétuelle. La Seine était recouverte peinture,renoir,chatou,fournaise,impressionnismed’embarcations de toutes sortes : périssoires, yoles, canots, emmenés par des gaillards en maillots rayés, parfois en costume élégant, qui se croisaient, s’abordaient, tous partageant le même plaisir d’appartenance à la communauté des canotiers. A l’arrière des embarcations, les canotières, barreuses d’un jour, en robes de flanelles colorées, protégées du soleil par des chapeaux et des ombrelles rouges, bleues, vertes, assorties à leurs robes, encourageaient les rameurs. Toutes plus jolies les unes que les autres, ces demoiselles offraient un concours d’élégance apprécié par les canotiers qui, d’une barque à l’autre, leur lançaient des œillades conquérantes.

    Guy de Maupassant avec Jeannine Dumas d’Hauterive et Geneviève Strauss, 1885

     

     

        Ma compagne adorait ramer et nous passions des journées sur l’eau.

      Je lui avais appris à nager. Au début, elle se cramponnait à une bouée, puis, rapidement, elle avait fini par nager aussi bien que la belle Alphonsine Fournaise qui, au moindre rayon de soleil, s’empressait de se mettre en costume de bain. Sa taille de sylphide et ses formes épanouies attiraient du monde et faisaient des jalouses. Toute la région connaissait son agilité de plongeuse pour aller chercher les quelques pièces de monnaie que ses admirateurs jetaient dans la Seine.

     

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    Antony Morlon – Ah ! La belle tête , 19e, musée Fournaise, Chatou

     

         Aline valsait divinement. Maladroit, je lui marchais sur les pieds. Le soir, emportée dans les bras de mon ami Paul Lhôte ou du baron Barbier, tout le monde s’immobilisait pour les regarder. Ensuite Lhôte, accompagné d’Alphonsine au piano, poussait son refrain favori « Mam’zelle Nitouche », sous les applaudissements des convives qui reprenaient en choeur.

     

        J’avais souhaité insérer mon amie dans un paysage au bord de l’eau. La journée était belle et je n’avais pas dû trop insister pour convaincre Aline de s’habiller en dame à la mode, élégante, relevant le bas de sa jupe, attendant derrière un homme en veste blanche. Un jeune rameur en canotier se proposait d’embarquer le couple à bord d’une yole dont la proue était posée sur la berge entre les jambes du fils Fournaise.

       Saupoudrée de petites touches bleutées, la Seine avait des vibrations qui me plaisaient. Aline était aux anges, ravie de figurer dans un paysage de son peintre favori…

     

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    Auguste Renoir – Les canotiers à Chatou, 1879, National Gallery of Art, Washington

      

         Nous étions heureux…

     

        J’imaginais déjà Aline, jouant avec un petit chien, personnage principal du grand projet artistique que j’avais en tête depuis longtemps. J’espérais, si je trouvais les modèles dont j’avais besoin, pouvoir commencer l’année suivante.

         Le restaurant Fournaise et son balcon allaient devenir mon atelier de travail…

     

     

  • Caillebotte dans la maison familiale d'Yerres

     

     peinture,caillebotte,yerresGustave Caillebotte - Autoportrait au chapeau d'été, 1875, collection privée

     

     

         Paris met l’impressionnisme en vedette cette année !

         Après « Les impressionnistes en privé » à Marmottan, je viens de rencontrer Gustave Caillebotte. Pas besoin d’aller loin de chez moi… il se cachait dans son ancienne propriété familiale de Yerres dans L’Essonne à laquelle je m’étonne encore de n’avoir jamais rendu visite. 

      

     

     Un impressionniste original, enfin reconnu

     

         Pour cette exposition « Caillebotte à Yerres, au temps de l’impressionnisme », les plus grands musées du monde et des collectionneurs privés, dont la famille de l’artiste, ont permis de présenter pour la première fois, dans le lieu où elles ont été peintes, 43 œuvres du peintre qui, pour la plupart, n’ont jamais ou très peu été exposées au public.

         Mais qui était Gustave Caillebotte ?

         Riche héritier de son père à 26 ans, il n’avait pas besoin de la peinture pour vivre. Avec talent, il peignait pour le plaisir. Un critique disait que « Caillebotte faisait de la peinture à ses moments perdus ».

         Caillebotte participe à l’épopée de l’impressionnisme. Les peintres avant-gardistes qui voulaient révolutionner la peinture académique deviennent ses amis, et il expose avec eux dès la deuxième exposition du groupe à Paris en 1876. Par tous les moyens, il les aide: organisation et financement de leurs manifestations, achats de tableaux (Bal au moulin de la Galette de Renoir, Le balcon de Manet, La gare Saint-Lazare de Monet, etc.), prêts d’argent. Mort prématurément à 45 ans, il lègue à l’Etat sa collection de toiles impressionnistes : le fameux « legs Caillebotte » comprenant 67 œuvres achetées à ses amis. Celui-ci forme aujourd’hui une part importante de la collection du Musée d’Orsay. La peinture impressionniste lui doit beaucoup…

         Il a douze ans lorsque son père achète à Yerres une superbe propriété entourée d’un grand parc longeant les bords de la rivière Yerres. La propriété offre à Caillebotte de nombreux motifs qui l’inspireront durant une vingtaine d’années avant la vente de celle-ci au décès de ses parents. Aujourd’hui, la ville d’Yerres a engagé un vaste programme de réaménagement de la propriété, du parc, du potager, des rives de l’Yerres, afin de leur redonner l’aspect du lieu à l’époque du peintre. Yerres est en passe de devenir un haut lieu de l’impressionnisme comme peut l’être l’atelier et les jardins de Claude Monet à Giverny.

         En dehors de la peinture, Caillebotte avait de nombreuses passions : jardinage, plaisancier victorieux de nombreuses régates, architecte naval. Elles se retrouvent dans les peintures présentées dans l’exposition de Yerres qui permet, jusqu’au 20 juillet prochain, de retrouver les œuvres du peintre dans le lieu même qui les a inspirées.

         Je connaissais bien les toiles les plus connues de l'artiste que j'avais croisées dans différents musées : Les raboteurs de parquet, Rue de Paris, temps de pluie, Le pont de l’Europe. J’en ai eu la confirmation en visitant l’exposition : Gustave Caillebotte exposait avec ses amis impressionnistes mais il n’était pas un véritable impressionniste. Sa peinture ne ressemble pas à celle des chefs de file du mouvement Monet, Renoir, Pissarro, Sisley ou Berthe Morisot. Elle est davantage inscrite dans la filiation du réalisme, tout en apportant par son originalité, ses compositions audacieuses, ses cadrages photographiques, une touche d’un modernisme nouveau pour l’époque.   

         Je montre, ci-dessous, quelques œuvres qui m'ont apparu comme les plus importantes des toiles exposées peintes dans la maison familiale à Yerres.

     

         Le graphisme de cette toile évoque, par sa composition, l’influence du japonisme et des peinture,caillebotte,yerresestampes que collectionnaient les peintres dans la deuxième moitié du 19e siècle : chemin tracé en diagonale, pluie invisible provoquant des ronds dans l’eau troublant l’horizontalité de la rivière, arbres verticaux sur la rive opposée.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gustave Caillebotte - L'yerres, effet de pluie, 1875, Indiana University Art Museum, Bloomington

     

     

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     Gustave Caillebotte - Périssoires sur l'Yerres, 1877, Milwaukee Art Museum

     

         Les périssoires glissent lentement. La rivière occupe toute la largeur de la toile. Des touches bleu et jaune juxtaposées font vibrer l’eau calme de cette belle journée d’été.

     

     

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    Gustave Caillebotte - Périssoires sur l'Yerres, 1877, National Gallery of Art, Washington

     

         Cette toile de périssoires, qui a servi à l’affiche de l’exposition, est bien différente de la toile précédente de périssoires du Milwaukee Art Museum : vision moins traditionnelle, plus dynamique qui se retrouve dans les lignes en diagonale de la perspective, dans les gestes des rameurs et les reflets de leurs rames, dans les nombreuses variations de tons verts confinant un espace sans ciel.

     

     

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    Gustave Caillebotte - Canotiers ramant sur l'Yerres, 1877, Collection privée

     

         Cette toile fut une aubaine pour les caricaturistes lors de l’exposition impressionniste de 1879. Le peintre, placé au-dessus du motif, présente les rameurs en gros plan, sans visage, dans une vision très photographique.

      

     

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      Gustave Caillebotte - Canotier au chapeau haut de forme, 1878, Collection privée

        

         Scène de canotage étonnante de par son cadrage et par la représentation du canotier : l’homme ne porte pas le traditionnel maillot sans manches et chapeau de paille, mais est peint en tenue de ville, gilet, cravate et haut de forme, la veste déposée sur le banc.

     

     

          De format identique, les trois tableaux suivants, montrant les bords de l’Yerres en 

    peinture,caillebotte,yerresété, ont été réunis en triptyque présenté comme « panneaux décoratifs » lors de l’exposition impressionniste de 1879. Les thèmes représentés sont l’eau, l’été, la nature et les activités offertes : pêche à la ligne, baignade, canotage. Il s’agissait d’un véritable manifeste de la peinture avant-gardiste de plein air, en opposition avec la peinture classique de l’époque.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gustave Caillebotte - Pêche à la ligne, 1878, Collection privée

     

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    Gustave Caillebotte - Baigneurs, bords de l'Yerres, 1878, Collection privée

     

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     Gustave Caillebotte - Périssoires sur l'Yerres, 1878, Musée des Beaux-Arts, Rennes

      

     

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    Gustave Caillebotte - Le boulevard vu d'en haut, 1880, Collection privée

     

         Ce boulevard réalisé en surplomb de son sujet, la vue décalée, est l’un des derniers tableaux de l’exposition. La vue plongeante exceptionnelle de cette peinture, novatrice en 1880, est empruntée aux estampes japonaises. Un siècle plus tard, la photographie rendra familière ce genre de représentation.

     

     

          « S’il avait vécu au lieu de mourir prématurément, il aurait bénéficié du même retour de fortune que nous autres, car il était plein de talent… Il avait autant de dons naturels que de conscience et il n’était encore, quand nous l’avons perdu, qu’au début de sa carrière. »  - Claude Monet

     

     

                                                                                                  Alain                

     

     

         Cette note est ma dernière avant le début de la saison estivale. J’espère que ces visions de canotage vous donneront des idées pour vos futures vacances que je vous souhaite reposantes et enrichissantes.

     

     

  • Genèse de l'impressionnisme

    13. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 6. La danse

     

     

     

     

    JE SOUHAITE DÉDIER CET ARTICLE À MON AMIE LORRAINE ICI QUI NOUS A QUITTÉ HIER MATIN.

    CETTE GRANDE POÉTESSE AIMAIT PROFONDÉMENT LES PEINTRES IMPRESSIONNISTES. LE 22 OCTOBRE 2017 SON DERNIER COMMENTAIRE ME DISAIT : « MONET OU RENOIR ME METTENT LE CŒUR À LEUR CADENCE ».

    JE PENSE QUE LORRAINE M'AURAIT PERMIS D’ILLUSTRER LA TOILE DE RENOIR « DANSE À LA VILLE », À LA FIN DE CET ARTICLE, PAR SON BEAU POÈME DE FÉVRIER 2010 QUI ÉTAIT ACCOMPAGNÉ DE CE MÊME TABLEAU.

    AU REVOIR LORRAINE ET MERCI

     

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    Auguste Renoir – Danse à Bougival, 1883, Museum of arts, Boston

     

         En 1883, Renoir peindra trois panneaux de même format sur le thème de la danse qui comptent parmi ses plus belles œuvres. Son ami Paul Lhôte semble être le danseur masculin des trois toiles. Aline Charigot, compagne du peintre, posera uniquement pour « La danse à la campagne ». Suzanne Valadon, modèle et peintre, mère de Maurice Utrillo, posera pour les deux autres « La danse à Bougival » ci-dessus et  « La danse à la ville » à la fin de l’article.

        Je réédite cette nouvelle qui permet de réunir les trois toiles. Ces œuvres font partie des plus connues de l’artiste dans le monde entier.

         Ce sera le dernier article consacré à Pierre-Auguste-Renoir de ma série consacrée à la genèse de l’impressionnisme.

     

     

     

         La guinguette se nichait, à l’abri des regards, dans un bois d’acacias proche de l’eau. Des tables étaient disséminées sous les arbres. Sur un large espace aménagé au centre, quelques danseurs tournaient lentement. Un jeune serveur nous guida vers une table éloignée. Il y avait encore peu de monde. Je remarquai que l’orchestre était composé d’un piano, d’un violon tenu par une jeune femme un peu triste, et d’un piston. Les trois musiciens, habillés de maillots rayés à manches, façon canotier, jouaient une valse molle.

        - Je vous conseille le cidre fabriqué dans la région. Il est un peu aigre mais, bien frais, il est agréable à boire, dit Alice en s’asseyant.

        Nous commandâmes du cidre. C’est Alice qui avait insisté pour que je vienne malgré mes refus répétés. Je dansais si mal. Rose, son amie, l’accompagnait. Elles étaient journalières toutes les deux et travaillaient dans des fermes voisines. Elles venaient tous les jeudis dans cette guinguette des bords de l’Oise. La musique leur faisait oublier la dureté de leur condition.

         Je surmontai ma timidité et lançai un regard malicieux à Rose.

         - Alice m’avait dit que vous étiez jolie ! C’est mieux que cela… Ce prénom vous va à ravir ! Une rose fraîchement éclose qui ne demande qu’à s’épanouir… Allez-vous ouvrir vos pétales pour nous ce soir, charmante demoiselle ?

       - Je n’ouvre pas mes pétales au premier venu, répondit-elle d’un ton sec. Et n’oubliez pas, monsieur, que la rose a des piquants. Et les miens peuvent parfois laisser des traces profondes.

         Mon humour lui déplaisait. J’adressai une grimace à Alice.

        La guinguette se remplissait. Les consommateurs s’interpellaient de table en table. Toute la jeunesse des environs venait se divertir ici : des ouvriers, des employés des chemins de fer, des artisans et beaucoup de cultivateurs que l’on reconnaissait à leur peau tannée. Une tablée se mit à taper violemment sur la table en hurlant : « Une polka… une polka… une polka… »

         Le rythme de la musique augmenta. Rose posa sa main sur mon bras.

         - On y va, monsieur ? Montrez-moi ce que vous savez faire !

       Elle sentit la crispation qui montait dans mon bras. Je ne connaissais pas le moindre pas de cette danse. Alice avait dû renseigner son amie de mes appréhensions. Elle voulait me tester.

        - Ne craignez rien ! La polka est facile ! Tout le monde apprécie cette danse pleine d’entrain.

         Elle m’entraîna derrière elle sans me laisser le temps de réfléchir.

         - Je vous montre d’abord ! Vous lancez votre pied droit en avant, suivez ensuite par deux pas saccadés du pied gauche marqué par un double appel du talon, et vous repartez en tournant rapidement.

       La jeune femme décomposa le mouvement plusieurs fois pour que je m’en imprègne. Elle dirigea ensuite ma main droite sur ses hanches, m’attrapa par le cou et serra fermement ma main libre.

         - Allez-y ! Répétez le geste plusieurs fois… lentement. Je vous suis en imprimant la bonne cadence.

        Je la laissais diriger la manœuvre. Je ne possédais aucune souplesse et cela se voyait. Elle me tirait, tournait, accentuait le pas exprès. Je n’arrivais pas à sautiller au même rythme que cette musique trop rapide pour moi. Plusieurs fois, en tentant de virer sur un appel de pied mal engagé, j’accrochai la pointe des chaussures de Rose qui eut un rictus d’agacement. Le souvenir de ma première danse à 15 ans dans ce bal de village, me revint en mémoire. Mon sabot avait failli casser le tibia de la malheureuse jeune paysanne qui était devant moi. J’en avais encore honte aujourd’hui.

         - Si vous continuez à ne pas suivre mes conseils, je vous laisse tomber, monsieur ! Détendez-vous ! Vous connaissez le pas maintenant. Et bien, laissez-vous aller, vos jambes suivront naturellement le rythme de l’orchestre !

        Progressivement, je finis par me laisser gagner par la gaîté et la vigueur de la musique. Je sentais la chaleur du corps de Rose près du mien. Je serrai ses hanches un peu plus fort tout en évitant de penser à mes pas. Son regard ne lâchait pas le mien et me donnait confiance. J’étais bien contre elle. Mes jambes devinrent moins raides, plus dociles. J’appréciais le plaisir, nouveau pour moi, de tourner avec une femme. La musique s’accéléra. Emporté dans l’ambiance, j’arrivais à suivre le rythme endiablé.

         L’orchestre s’arrêta. Les danseurs essoufflés retournèrent à leurs tables. J’étais en eau. Rose était aussi fraîche qu’une fleur cueillie du matin. Elle me regarda, satisfaite de son nouvel élève.

         - Vous voyez, monsieur, il suffisait de suivre la musique !

       Elle tourna son joli nez pointu vers un convive installé à une autre table et lui envoya des signes amicaux.

     

     

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    Auguste Renoir – La danse à la campagne, 1883, musée d’Orsay, Paris

     

         La violoniste et le pianiste attaquèrent une valse. Je ne m’étais pas trop mal tiré de la polka, mais la valse ce n’était pas pour moi. Cela tournait trop. Et puis, les valseurs dégageaient une grâce que je n’avais pas.

        Rose vida son verre de cidre et s’apprêtait, faute de cavalier, à valser avec Alice, lorsqu’un homme élégant, en costume sombre et canotier, la barbe bien taillée, s’approcha de notre table. Il était brun, beau garçon, les traits plus fins que les gars de la région. Il sourit à Rose.

         - Vous m’accordez cette valse, mademoiselle ?

         - Euh… Oui… dit-elle, surprise.

         Elle se leva, intimidée par la prestance de l’homme. Il lui prit la main et elle le suivit vers le centre de la piste.

        L’homme était un bon danseur. Le couple tournait lentement en décomposant le mouvement avec élégance. Les pas s’emboîtaient sans à coup. Rose avait gardé son éventail dans la main droite. Le garçon lui tenait la main très haute en l’air, son autre main lui enveloppant le dos pour la maintenir contre lui. La jeune femme agrippait l’épaule du garçon et se laissait emporter, les yeux fermés. Sa capeline rouge accrochée à son cou par un ruban jetait des reflets chauds sur ses joues. Sa robe blanche pailletée de fleurs roses, collée contre le costume bleu foncé de son cavalier, envoyait des reflets argentés.

         La violoniste haussa le rythme de la valse, ce qui eut pour effet d’éliminer les plus mauvais danseurs qui retournèrent s’asseoir. Ils allaient de plus en plus vite, le corps bien droit, lovés l’un contre l’autre, ne formant plus qu’un. Les pieds serrés tourbillonnaient, leur donnant l’apparence d’une toupie humaine incontrôlable. Ils volaient littéralement, sans presque toucher le sol. On ne voyait plus qu’eux, voltigeant indéfiniment. C’était un couple superbe. La valse les emportait dans un univers de solitude. Le canotier de l’homme roula sur le sol. Tout le monde les regardait. Lorsque l’orchestre s’arrêta de jouer, j’applaudis spontanément.

         Ils revinrent s’asseoir à notre table. Les pommettes colorées de Rose avaient viré au rouge bonbon.

         - Vous avez été magnifiques, dis-je, excité par ce spectacle somptueux ! Lorsqu’elle atteint un tel niveau la danse est un art. Je vous envie. Vous voguiez sur une autre planète.

        L’homme, inconsciemment, tenait encore la main de Rose dans la sienne. Leur osmose avait été si grande qu’ils ne s’étaient pas séparés. Ils refirent surface progressivement, déçus de ne pouvoir rester dans ces nuages qui leur appartenaient. Il lâcha la main de la jeune femme et se leva pour appeler le serveur. Il commanda la fameuse friture de goujons de la maison avec un vin de chablis sec. Il m’apostropha :

         - Vous n’avez pas été tenté par la valse, monsieur ? Dommage pour vous… Votre amie est une merveilleuse partenaire. Elle est d’une telle légèreté… Ce ne sont pas des pieds qui la portent, mais des ailes…

         Le serveur déboucha la bouteille. Le vin avait une belle couleur dorée. La friture, croustillante juste comme il faut, accompagnée de tranches de pain bis recouvertes du beurre de la région, était un régal. Le sourire béat de Rose indiquait qu’elle planait encore dans une atmosphère irréelle. Je lui servis un verre de vin blanc dont elle but une gorgée.

         - Je m’appelle Rose, lança-t-elle au garçon qui la regardait avec tendresse…

                                                                                                        

                          

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    Auguste Renoir – Danse à la ville, 1883, musée d’Orsay, Paris

     

     

    AVEU

    Poème écrit par Lorraine, le mercredi 10 février 2010

     

     

    Je ne vous dirai pas ce que j’aurais du dire

    En ce soir de gaîté où vous vîntes vers moi

    Vous m’avez invitée, la danse en son délire

    M’a plus que de raison enserrée dans vos bras

     

    En ce soir de gaîté où vous vîntes vers moi

    Vous étiez un ami avec qui j’aimais rire

    L’imperceptible émoi, le son de votre voix

    M’ont soudain alertée . En vos yeux je pus lire…

     

    Vous étiez un ami avec qui j’aimais rire

    Mais c’était un amour qui enlaçait sa proie

    La valse m’emportait. Avant qu’elle n’expire

    L’étrange envoûtement m’enveloppait, sournois

     

    C’était donc un amour qui enlaçait sa proie

    Je m’enfuis de la valse avant qu’elle n’expire

    L’étrange envoûtement s’évaporait, sournois

    Vous ne saurez jamais ce que j’aurais pu dire…

     

     

  • Jade a séjourné au parc Disneyland Paris

     

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         Le livre que nous avons écrit en commun "Métiers improbables" en 2019 grâce à Quichottine a permis de réaliser pendant la période de Noël, le 13 décembre dernier, le rêve de la petite Jade, âgée de 3 ans, qui voulait découvrir Disneyland Paris. Elle y est allée en famille, a découvert les attractions et a pu déjeuner avec les princes et princesses de l'auberge Cendrillon. 

     

    Association Rêves